Limbes - Ecluse

Limbes - Ecluse

Chroniques 28 Février 2023

Ecluse, le nouvel album de Limbes sorti en début janvier chez le label Les Acteurs de l'Ombre, a attiré l'attention grâce à la communication du label et à sa pochette artistique qui rappelle celle de Glaciation. Son artwork perturbant, rappelant la mutilation artistique met en avant la carnation de l’être humain comme lieu où se retrouvent à la fois sa mécanique corporelle et sa sensibilité humaine. Il semble que le changement de nom du groupe, passant de Blurr Thrower à Limbes, ait permis de clarifier sa démarche esthétique – et dans ce cas, de mettre l’accent sur le flou. En effet, Limbes propose un mélange de Black Metal et de Noise, deux genres dont le principal ressort musical est la perturbation et l’agressivité musicale. Dans cette chronique, nous n’allons donc pas tâcher à lever ce flou, car rien ne se cache derrière, mais plutôt d’en saisir la valeur. 



Après l’introduction noisy de Lâcheté, on plonge immédiatement dans un Black Metal dont la saturation n’a rien à envier au grain de la Noise. Mêlant saturation et bruits parasites, les guitares sont complètement fondues, et seuls les sont aigus tels que la raide ou la caisse claire en blast-beats arrivent à percer ce mur sonore. La voix réussit aussi à se distinguer, grâce à son timbre écorché caractéristique du DSBM, et rappellera aux auditeurs le chant de Silencer. C'est ce mélange de Black Metal et de Noise, aux riffs lissés par la saturation, qui constitue les fondations d'Ecluse. Un équilibre se forme alors, car on peut y trouver un caractère "ambiant" en raison de la continuité homogène des sons. Cette impression est renforcée par un pont au synthétiseur à mi-parcours et un pattern de tom basse clair, qui surprend dans un morceau jusqu'à présent opaque. Car c’est là le contrepoids de chaque morceau : tout est certes fondu, mais conserve toutefois efficacité par l’agressivité intrinsèque de la rythmique et du chant. L’album procède ainsi par une dualité au sein même de son matériau musical, expliquant ainsi le retour du Black Metal dans une structure plus linéaire pour clôturer le morceau.
L’étude du matériau musical nous permet ainsi de comprendre comment est composé Ecluse. Mais il nous faut alors noter que l’album garde cette même « recette » tout du long, ce qui fond aussi les morceaux les uns dans les autres, en les rendant indistinguables. 

On passe donc instinctivement à De courbes et de peaux, dont les sonorités sont dans l’ensemble les mêmes que celles du morceau précédent. On note toutefois une augmentation de la dimension rythmique grâce à des hi-hats qui percent plus facilement le mur sonore du bruit blanc et du tremolo picking saturé. Pour le reste, le morceau reste dans la continuité d'un mélange de Black Metal et de Noise efficace et rapide, qui plaira aux amateurs d'efficacité, mais qui peut être lassant s'il dure trop longtemps. Pour ma part, je préfère les quelques progressions qui réussissent à percer à travers la Noise, car elles ne deviennent audibles qu'à mesure qu'elles atteignent les aigus et créent ainsi des tensions que l’on présume avant de pouvoir réellement les saisir, ce qui renforce leur capacité à créer une tension. La plus notable se trouve sans aucun doute dans le dernier tiers du morceau, où le riffing froid se fait de plus en plus perçant et remplaçant sur sa fin les grésillements de la Noise. A ce moment-là, en échangeant ses artefacts parasites par la guitare saturée, le morceau renforce son expressivité, car on quitte la production mécanique de la musique au profit d’une fabrication humaine de la tension - qui suit note par note le chant, ultime apôtre de la sensibilité humaine dans cette machinerie infernale. 

Toutefois, il semblerait que cette expressivité suit un chant du cygne, car en débutant par une intro’ plus grave et quelques modulations de guitare, Corridors continue la démarche de désorientation de l’auditeur en mêlant saturation et bruitisme. Son chromatisme s’inscrit dans cette même logique en sortant momentanément de la gamme et en créant un sentiment de malaise musical par la perte de repères musicaux « traditionnels ». La mélodie se dissout alors d’elle-même, là où la Noise vient quant à elle la brouiller de l’extérieur, tandis que les blast beats envahissent le reste de l'espace sonore et brouillent les repères rythmiques en ignorant les temps forts et faibles pour se concentrer sur une frénésie en doubles-croches. La subjectivité semble désormais n’avoir plus aucun terrain, et s’être elle-même associée à la perturbation régnante. 

Une Noise ambiante nous fait alors passer au dernier morceau, Leurre, qui suit une trame similaire aux précédentes pistes de l'album, avec une saturation importante et une combinaison de Black Metal et de Noise. Le morceau reste dans la lignée de ce qui a été fait précédemment et que nous avons déjà évoqué. Cependant, à son deuxième tiers, le morceau se démarque en retirant les guitares et en mettant en avant la batterie qui tient la croche à la ride mais fait varier les autres éléments. Ce passage permet un moment plus structuré, bien que les breaks floutent un peu les lignes, comme si le brouillage n’aboutissait pas sur plus de liberté, mais sur l’automaticité mécanique de la machine. Pour nous autres auditeurs cependant, cela nous offre le temps de souffler avant que le morceau ne se termine par un dernier passage Black/Noise qui s'essouffle progressivement en laissant de côté la voix, puis la batterie, puis les guitares, pour tout unifier dans le bruit blanc de la Noise. La perturbation semble alors être la norme, et en son sein seul peut prospérer le mouvement autonome du non-vivant. 



C’est dans cette mesure qu’Ecluse est un témoignage de l’aliénation. En restant dans une logique de perturbation tant dans son timbre, dans sa composition, dans son agencement que dans ses rythmiques et ses mélodies, l’album s’inscrit tout entier dans une logique de brouillage qui semble mettre à distance la réalité musicale. Le bruit blanc qui demeure en permanence n’est certainement pas un simple « hommage » aux bruits du Black Metal et de la Noise, c’est un choix artistique dont l’objectif est d’être délibérément perturbant. Il met à distance la sentimentalité que pourrait générer la musique, en rappelant sans cesse l’artificialité de celle-ci, mais est aussi le creuset dans lequel tout est fondu et tout est digéré. N’en coule ensuite qu’une musique qui abandonne sa prétention à l’expressivité, mais qui vaut comme témoin de l’aliénation d’un sujet dissolu car trop intégré, sans repères auxquels s’accrocher, et contraint d’adopter la mécanicité qui prospère seule.

A propos de Baptiste

Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.