In Tormentata Quiete - Krononota

In Tormentata Quiete - Krononota

Chroniques 3 Mars 2022

J’ai toujours apprécié l’italien dans le Black Metal. Que ce soit avec Deadly Carnage ou Arctic Plateau, c’est une langue qui se prête bien à la narration chantée. Ce n’est rien d’étonnant pour la culture de Monteverdi et de Rossini, mais cela explique peut-être tout le talent d’In Tormentata Quiete. Comme tous les autres albums du groupe, la pochette de Krononota est composée d’un visuel sur sa moitié gauche et d’une page blanche avec simplement le titre sur la droite, comme si nous avions laissé un livre ouvert et que nous nous apprêtions à reprendre l’histoire. 


Dès l’ouverture du morceau, Urlo Del Tempo témoigne déjà d’un solide sens du groove avec le duo basse-batterie. On découvre aussi une belle construction de morceau puisque le piano commence par suivre les accords de la guitare pour inaugurer sa propre ligne, les transitions sont fluides malgré des atmosphères radicalement différentes et la guitare joue du chromatisme pour créer une tension qui nous prépare à la fois au passage plus grave et à l’arrivée du tremolo picking aigu qui fera office de toile sonore par la suite. On peut aussi noter la diversité des instruments qui sont mobilisés dans ce seul morceau d’introduction : guitare, batterie, basse (évidemment) mais également synthétiseurs, piano, saxophone, violon, etc. Le mixage joue par conséquent un rôle important car c’est à la fois lui qui équilibre les instruments mais c’est aussi lui qui isole la voix du chanteur pour que son texte nous soit parlé en face à face, pas comme un acteur qui déclamerait son texte à une foule mais comme un conseil qui nous est donné de vive voix. En résumé, la vraie réussite dans tout ça est que tous les éléments se marient fluidement, aucune incorporation n’est forcée ou brutale, ce qui permet de garder une réelle cohérence d’un bout à l’autre du morceau tout en y découvrant une vraie variété. Ce morceau d’introduction est donc à la fois une franche réussite et un programme pour l’album à travers duquel nous allons pouvoir l’analyser plus légèrement.

La suite va crescendo car Sapor Umbro commence par un riff à la croche bien plus lourd et surtout on y découvre le chant guttural. Ou plutôt les chants gutturaux car il y a trois chanteurs et chanteuses sur cet album et le groupe en joue à merveille. On alterne d’un chant guttural grave à la voix lyrique aigue de la chanteuse en passant par un chant guttural glaireux et aigu ou des chœurs qui viennent mettre appuyer des mots en exergue ou faire une seconde voix gutturale en arrière-plan. On découvre aussi dans ce morceau de l’accordéon, une guitare piccolo, de la guimbarde, autant d’éléments qui vont puiser dans le folklore italien. Cela est très bien marié au Black Metal car ils ne viennent qu’en contrepoint des passages déjà lyriques, sans sacrifier la rudesse du Black. 

L’album continue avec Color Daunia qui reprend les mêmes réussites que l’album précédent. Bien qu’un peu moins rugueux que le titre précédent, sans doute à cause de l’absence de chant guttural râpeux, on peut néanmoins noter tout le coffre et la tessiture de la chanteuse. Lo Sguardo D’anteo continue de même, en reprenant la basse, le saxophone du premier morceau tout en proposant une approche plus lourde, plus proche de Sapor Umbro avec des riffs lents et lourds, un chant guttural glaireux. Mais on y retrouve également un sample d’atmosphère, ce que nous n’avions pas encore entendu de l’album, pour retrouver un enregistrement de musique légère des années 40 qui s’entremêle à l’accordéon. Cet air est ce que nous allons retrouver en trame du passage suivant, qui clôt le morceau avec des échanges de chants gutturaux et de chant lyrique, entre les strophes de la chanson et des blocs clamés. Finalement, même sur la fin où le morceau retourne à sa lourdeur originelle, le synthétiseur continue de reprendre les morceaux de l’accordéon en ne jouant que la première note (la plus importante dans cette mélodie ternaire), preuve d’un fin travail des motifs musicaux. 

La suite de l’album continue dans cette belle lignée, sans forcément dévier de la ligne initiale. Il y a bien Odor Mediterranao qui apporte des chuchotements, des samples inquiétants, des accords de piano dissonants, mais ceux-ci viennent plutôt en ornements d’appoints qu’en réels outils dans la construction musicale. On peut néanmoins noter la présence d’un beau pont de guitare qui mène sur une des rares fois où on peut entendre tous les instruments et chanteurs ensemble, ce qui confère beaucoup de force à cet avant-dernier morceau.  

Finalement, Kronometro apporte les derniers ajouts à l’album : des cloches qui accompagnent le piano et surtout UN PUTAIN DE BEAT RAP. S’il y avait bien une chose à laquelle on ne s’attendait pas après cet opéra-Black Metal, c’est bien un beat rap. Ce n’est toutefois pas mauvais, loin de là, et le groupe continue d’incorporer des dissonances, d’ajouter des claviers en fond, des samples, etc. S’il est habituellement difficile pour un groupe de finir des albums, car tous les ressorts musicaux ont souvent été usés par l’album, il faut reconnaître que Kronometro sait redonner du souffle au groupe. On pourrait déplorer qu’il tranche avec l’album et la musique du groupe en général, ce qui est vrai et qui ternit cette fin d’opus, mais si l’on prend en compte que cet album est la fin d’une série de cinq albums suivant l’évolution d’un personnage, il semble clair que ce morceau n’est pas un renoncement mais un nouveau départ. 


Krononota est donc un album extrêmement fin, qui fait preuve d’une grande finesse mélodique et thématique et qui sait à la fois reprendre des éléments pour les retravailler et les polir mais aussi en chercher de nouveaux et faire la part belle à la diversité. De bout en bout on est happé par les échanges de chants, la narration, les samples, tous ces éléments créent non seulement une atmosphère mais une histoire que l’on vit comme à l’opéra. In Tormentata Quiete réussit donc l’exploit de mettre le théâtre en musique autrement que par l’opéra tout en reprenant certains codes de l’opéra lui-même et sans perdre en expressivité, ce qui ravira à la fois les blackeux à la recherche d’avant-garde qui ne perd pas en rugosité et les personnes qui cherchent une porte d’entrée mélodique dans le Black Metal.  

A propos de Baptiste

Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.