Glaciation - Ultime éclat

Glaciation - Ultime éclat

Chroniques 31 Mars 2020

Nouveau line-up pour les Français de Glaciation et nouvel album en prime. Porté par Hreidmarr au chant, le groupe revient à un Black Metal plus orthodoxe après l’excellent bien qu’atypique hiatus qu’est Sur les falaises de marbre. Fort de sept titres et d’une durée de plus de cinquante minutes, les chiffres sont satisfaisants ; mais que dit la musique en elle-même ?

 

Les trompettes qui tintent par-dessus le vent et les rudiments militaires nous font comprendre que nous sommes propulsés à l’aube d’une charge. La caisse claire de la batterie prend ensuite le relais avec un son plus rond et les guitares remplacent les trompettes pour imposer le son criard de l’album. En chœur, les blastbeats lancent la composition en trombe et préludent à la voix virulente et bien distincte de Hreidmarr. Son chant se distingue assez nettement sans être trop lisse, gardant son grain Black Metal tout en permettant de bien apprécier les paroles. Elles se font cris d’un oiseau de mauvais augure car il ne faut pas longtemps pour que les cadavres s’amoncèlent et que le ternaire marque la dimension fatidique d’Ultime éclat. Le titre passe alors d’un Black aux emprunts militaires à une ambiance post-apocalyptique avec notamment des samples d’ambiance, les thèmes évoqués ou bien la pochette qui rappelle le Paris calciné de Corot. Un pont vient mettre fin à ce deuxième mouvement et prétend terminer le morceau sur un fade-out mais la caisse claire se fait balle perdue et relance la rafale de blastbeats, comme la frénésie fanatique de guerriers d’une nation à l’agonie l’accent est alors mis sur l’ « ultime » de cet éclat, en dernier spasme d’un Black impétueux.

Alors que tout semble se calmer avec Le rivage dont les bruits marins rappellent des samples de Déluge. Sirènes de l’apocalypse, les guitares chantent leurs mélodies en arpèges dédoublés avant de passer au son froid et saturé du Black Metal. Ce titre est en ternaire lui aussi, mais n’a pas la dimension implacable de son prédécesseur ; au contraire, sa composition le rend plus absorbant, encore plus avec les chœurs entrecoupés de chant Black qui créent une impression de foule qui accentue l’aspiration à la grandeur du morceau. Ce n’est pas un pont, mais un long cri tenu qui vient cette fois-ci bousculer les habitudes du morceau pour le faire se ralentir jusque dans une ambiance malsaine où les guitares dissonantes émanent une corruption dans une composition viciée à invoquer Méphistophélès comme on en retrouverait dans le dernier Barshasketh. Le troisième mouvement nous permet de souffler et de respirer un air plus libre avec le retour des guitares et des arpèges, sans que ce soit un temps mort pour autant car la batterie garde un tempo qui nous rappelle immanquablement à l’ordre. Mais cette fin de morceau reste somme toute plus agréable avec la voix de Hreidmarr et l’orgue qui tendent à la solennité, auxquels s’ajoutent une voix aiguë – que je suppose féminine – dans l’image de ces femmes oracles qui augurent la fin des temps, l’apocalypse que les chœurs qui résonnent et grésillent nous font deviner.

N’ayant que faire de cette bouffée d’air, Et puis le soufre démarre avec les guitares saturées en chœur qui prennent énormément d’espace sonore. Pour la rythmique, l’accent est cette fois-ci mis sur les toms, jusqu’à trouver un rythme mid-tempo martial qui raidit la composition et lui donne un côté perfide qui émane dans ses paroles hurlées vers les cieux mutilés. Et puis le soufre inaugure par ailleurs le retour de la voix parlée dans Glaciation, bien que l’interprétation manque de relief à mon goût, ce qui rend le passage agréable mais pas mémorable pour autant. La véritable force de se passage se trouve plutôt dans le mixage puisque la voix et les guitares ressortent toutes sans se couvrir l’une l’autre. Cependant, le morceau semble un peu terne au regard de son prédécesseur qui se distingue nettement du reste de l’album et qui cristallise selon moi sa force intrinsèque.

Tonne enfin Acta est fabula, probablement mon moment préféré d’Ultime éclat ; ne serait-ce que pour son ouverture dont le son est plus proche du titre Glaciation de l’EP 1994. Dans tout le morceau, les différentes voix alternent entre la complainte et la vindicte, et le contraste est le maître mot dans la composition avec les ensembles de guitare ou l’enchevêtrement de passages Black et de passages plus tranquilles soutenus par un back beat. J’apprécie aussi particulièrement le retour de la dimension intellectuelle qui va au-delà du simple titre en latin mais qui passe par l’introduction d’un extrait d’une lecture d’Antonin Arthaud, sample couvert d’un piano malade dont la dissonance fait ressortir la tare de la production industrielle hystérique. Alors que la bombe est lancée, que le morceau a atteint le cœur de sa revendication, il explose avec une guitare suraiguë et des blastbeats pour un passage à couper le souffle. Glaciation explose en plein ciel, malgré toute sa crasse et sa haine, et parvient tout de même à sublimer cette négativité en une beauté éphémère. C’est là, selon moi, que se trouve le véritable ultime éclat de ce morceau ; car on pourrait tout à fait clore Ultime éclat sur ce morceau : il a tout dit. Acta est fabula.

Il est alors difficile de suivre Acta est fabula. C’est pourtant le rôle de Ce qu’il y a de chaos qui met fin à ce moment cérébral pour exulter la volonté de puissance d’un Black moins lyrique mais plus véhément. Le morceau peut alors sembler trop classique par rapport à son prédécesseur, mais ça ne l’empêche pas d’avoir ses particularités comme un passage à l’orgue qui se fait porte-voix d’une chapelle malveillante. C’est d’ailleurs à partir de ce passage que le morceau prend le plus de charme à mes yeux puisqu’il dérive vers un rythme medium plus carré que les riffs précédents et nous permet ainsi de mieux apprécier ses mélodies, qui méritent une oreille attentive car on y retrouve régulièrement des arrangements subtils et des riffs prenants tels massive, pesante et en tous sens brute.

Finalement, Vers le zéro absolu préémine la fin de l’album en réinstaurant le calme d’après la bataille par son introduction qui laisse plus de place aux temps longs pour instaurer une atmosphère moins oppressante, confirmée par la voix parlée de Hreidmarr. Ce n’est qu’à la deuxième minute que le chant guttural arrive, sans que l’ambiance du morceau change radicalement, si ce n’est par l’ajout de quelques violons et de ras à la double-pédale. Ce morceau presque flottant exemplifie l’atmosphère, terme énormément repris et galvaudé de nos jours, toujours présente dans le Black Metal en tant que tel ; mieux encore, le tapis sonore du trémolo picking saturé qui instille cette atmosphère est accompagné d’un bourdon aigu qui pourrait sembler anecdotique à première vue mais qui ajoute de la profondeur à la composition et lui donne une résonance hypnotique. L’entropie semble avoir fini sa bataille gagnée d’avance, il ne reste plus rien que l’écho et la dimension aspirante de ce dernier morceau, gémissement d’en-deçà du ciel, gisant à la gloire du néant.

Alors, les guitares résonnantes des Grands champs d’hiver viennent clore Ultime éclat en douceur avec un morceau au titre poétique, cortège funèbre mêlant cantate et requiem.

 

Difficile de résumer cet album en quelques mots tant il y a à dire. La première chose à faire serait de le distinguer de son prédécesseur, car Ultime éclat ne sonne pas comme les autres albums de Glaciation. Si le son Black rugueux et autoritaire peut être rapproché de celui de 1994, le groupe semble avoir mis en retrait sa dimension intellectuelle qui me plaisait tant. Bien sûr, de belles phrases se font toujours saisir au détour d’un couplet, mais il y a beaucoup moins d’extraits, beaucoup moins de références littéraires, qui faisaient de Glaciation un projet élitiste certes, mais un projet à part. C’est probablement pour ça qu’Acta est fabula sort particulièrement du lot, car il introduit de la diversité dans un Black bien produit et efficace mais sans doute un poil trop classique. Cet aspect est donc très bien réalisé, notamment avec le chant et l’esthétique d’ensemble qui placent l’album au-dessus des inanités litaniques du Black ordinaire. Ultime éclat est donc pétri de cohérence car l’idée d’un retour à un Black Metal traditionnel a toujours été revendiquée, seulement cet aspect s’est affirmé au détriment de cette saveur subtile d’un spleen qui faisait toujours mouche.

A propos de Baptiste

Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.