Interview Decline of the I

Interview Decline of the I

Interviews 20 Février 2020

Axé autour de l'oeuvre du docteur Laborit, Escape propose un Black Metal troublé dont la forme protéenne illustre un propos chaotique mais pas superficiel. C'est pourquoi cette interview d'A.K. tente de décrypter le contenu sans le mutiler dans un filtre d'interprétation. 


Radio Metal Sound : Escape comporte beaucoup d’influences diverses, tant musicales que littéraires et, parmi toute cette diversité, pourquoi avoir choisi le Black Metal comme medium d'expression ?

A.K. : Decline of the I, dans le fond, parle de moi. Ça reste une traduction, à travers un prisme, de ce qui m’habite, me remue. Tout mon cheminement personnel s’y retrouve, et c’est donc le cas, également, pour la musique que j’écoute et qui me convient. C’est pour ça que, de la même façon qu’en tant qu’auditeur, je continue à écouter beaucoup de Black Metal, je me retrouve à en composer.
Après, pour ce qui est de l’expression plus générale, j’aurais pu effectivement choisir la littérature, par exemple.  Mais voilà, j’ai toujours trouvé la musique plus profonde, supérieure aux mots pour décrire une émotion, une sensation.
« Celui qui regarde ma peinture est dans ma peinture » dit Pierre Soulages. Je ne peux que paraphrasé à peu près : « celui qui écoute ma musique, est dans ma musique ».
Et puis, j’écris, d’ailleurs, à peu près tous les jours, mais ça n’a aucune vocation à être diffusé.


Radio Metal Sound : Pour ce qui est du Black Metal justement, le style même est très peu (ou jamais) présent en propre dans l'album. Est-ce spécifique au style de Decline of the I ou est-ce ton idiosyncrasie musicale qui a changé pour évoluer vers de styles plus « expérimentaux » ?

A.K. : C’est pour ça que j’avais pondu, pas forcément très sérieusement, ce terme de « troubles black metal ». Je crois que je prends le BM trop au sérieux pour m’en revendiquer directement. Il y a cette base, aussi bien musicale qu’atmosphérique dans Decline of the I, mais rarement, effectivement, à nue. Il y a pas mal de raisons à cela. L’une d’elle est que, je pense, toutes les formes primitives ont déjà été explorées. C’est un pratique finalement quasi-mathématique : c’est un peu comme si les riffs BM existaient avant que quelqu’un les trouve (un peu comme les idées chez Platon, si tu veux). Et selon moi, cette réserve n’est pas infinie. Je trouve ça de plus en plus rare d’être vraiment remué par un riff BM et se dire qu’on ne l’avait jamais entendu auparavant. Et c’est pour ça qu’il y a énormément de groupes qui travaillent essentiellement sur l’arrangement, la dissonance. Là, il y a plus de possibilités.
Dans mon travail, j’essaie d’évoluer dans un entre 2. Dans chaque morceau, j’essaie de trouver des riffs qui peuvent marquer, puis je travaille les arrangements, les contre points. Il y en a finalement très peu de foncièrement différents au sein d’un morceau : je trouve quelques motifs que j’espère pertinent et je les triture dans tous les sens pour leur donner une vie, une histoire. Quitte à complètement oublier qu’à la base, ce sont des riffs BM.


RMS : Pour ce qui est du fond, tu déclarais dans une interview privilégier le pathos au logos. Pourtant, on a beaucoup de références et de samples culturels dans tes compositions, ne penses-tu pas que ces domaines peuvent entrer en concurrence ?

A.K. : Je crois qu’il y a diverses manières d’écouter mes albums. Certains vont essayer d’y « comprendre » ce qui est dit plutôt que de le ressentir. C’est là-dessus que j’ai joué avec la lyrics video d’Enslaved by Existence
Mais finalement, j’utilise les références conceptuelles comme des éléments musicaux. Je travaille les extraits d’entretiens, ou de films comme des pièces musicales avant tout, et pas pour forcément faire sens. J’essaie, en un sens, de faire l’inverse que l’opéra : la musique y est au service d’une histoire, d’un propos. Dans Decline of the I, c’est l’inverse. Le propos est là pour magnifier la musique.
Je sais que, par exemple, je n’utiliserai jamais de samples de films ou de philosophe si leur voix ne m’émeut pas, même si le propos est passionnant. Tout est musique.


RMS : Ce « Je pense donc je fuis », qui marque ce dernier album s'inscrit en contre-pied de la compréhension classique de la pensée (vue comme bienheureuses pour les Antiques, libératrice pour les Lumière, etc.). Peux-tu éclairer ta position à ce propos pour les auditeurs qui ne seraient pas familiers avec la philosophie contemporaine ?

A.K. : Ecoute, je vais peut-être te surprendre mais je peux relier ça plutôt à Spinoza (bon, et évidemment à Laborit). La raison n’est pas première, mais elle est un outil. Un outil, à peaufiner, qui a pour but de maximiser les affects positifs, de joie, et éviter la tristesse. Et bien souvent, fuir, plutôt que s’obstiner et la bonne solution. Et c’est par la pensée, parfois, que l’on peut arriver à cette conclusion. Elle est donc alliée (mais elle est un moyen, non une fin).
Bon, et on ne va pas se mentir, il y a le jeu de mot, également, qui m’a attiré dans le choix de ce titre. Il y a beaucoup de jeu, dans Decline of the I. Le nom même de ce projet vient d’une anagramme (mais pas en anglais). J’aime ces rencontres improbables qui font finalement sens, par accident. Un peu comme les jeux de mots chez Lacan. Je trouve que le « Les noms du père » (les non du père, les non-dupes errent etc.) super riche et inspirant.


RMS : Sur scène, Decline of the I s'offre comme un ciné-concert avec des extraits de films, des citations… Comment cette dimension s'est-elle inscrite dans ta démarche artistique et ne vient-elle pas briser l’équilibre entre performance musicale et projection visuelle ?

A.K. : Je pars sur cette idée d’art total. On travaille même parfois avec des danseurs. Disons que l’expérience de l’auditeur solitaire est une chose, et celle que je privilégie. Mais sur scène, j’ai envie de créer d’autres mondes, ou disons des extensions de ceux que je ressens à partir de ma musique. Que ça ne soit pas seulement des musiciens qui exécutent. Mais après, c’est intéressant. J’en discutais avec le chanteur d’Amenra : il ne faut pas non plus en être esclave et pouvoir assurer quelque chose de consistant, même sans aucun autre apparat que 4 musiciens qui suent sang et eau.


RMS : Comment abordes-tu justement la scène au regard de ta musique plus intimiste et misanthrope que le Black traditionnel – ou du moins plus explicitement - ?

A.K. : Je crois que j’y réponds avec ma réponse précédente


RMS : Maintenant que tu as fini la trilogie sur l'œuvre du Dr. Laborit, y a-t-il une actualité prévue pour Decline of the I ?

A.K. : Oui, le projet va définitivement continuer et j’ai une idée assez précise de la suite. L’illumination m’est venue cet été en marchant sur les chemins de St Jacques de Compostelle, mais je n’en dis pas plus (et non, je ne vais pas sortir un album de « christian born again »).


Et que l'on se rassure: un nouvel album est en projet! Une gravure de Kierkegaard a été publiée sur le Facebook de la page - passera-t-on d'une conscience fuyante à une conscience sacrifiée? 
Quoi qu'il en soit, merci à A.K. pour ses réponses et au temps qu'il nous a accordé, n'hésitez pas à suivre le groupe sur tous ses réseaux et à l'écouter pour un Black Metal subtil et vulnérable.

A propos de Baptiste

Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.