Interview Conjurer avec Noah See
Interviews
2 Novembre 2025
Conjurer est de retour, après les albums Mire, Curse these metal hands et Pathos, le groupe nous livre Unself, un album plus personnel et plus sombre encore.
En tournée européenne pour défendre celui-ci, ils nous ont accordés une interview avec Noah See, le batteur du groupe, pour en apprendre plus sur l'album, le processus créatif, les différents projets passés et l'avenir du groupe.
(La traduction de l'interview est disponible juste en dessous pour les non-anglophones)
Guillaume W : Alors Noah, première question. Comment décrirais-tu ta musique et ton groupe à quelqu’un qui n’a jamais écouté Conjurer ?
Noah See : Ouais… C’est une question difficile, parce qu’il y a beaucoup de choses là-dedans. Je suppose que ça dépend vraiment de la personne à qui tu parles, du genre de références qu’elle peut avoir. Pour quelqu’un qui a une culture metal un peu large, on peut penser à Mastodon, Gojira, ou Converge comme points de repère.
Mais pour être un peu plus précis, je dirais que c’est du metal extrême progressif. Progressif dans le sens de la composition, de l’écriture, du processus, mais on puise dans beaucoup de styles extrêmes différents. Il y a du sludge, du hardcore, du black metal, tu vois…
G.W: Il y a même des parties avec des blast beats.
N.S : Ouais, exactement. C’est difficile de pointer une seule ligne directrice, tu vois, donc on se contente souvent de dire qu’on fait de la “riff music”. C’est devenu une blague interne entre nous, mais ça dit bien ce que c’est, au fond.
G.W : “Riff music”, ça me va, c’est d’ailleurs comme ça que je décris votre musique à mes amis.
N.S : Oh, cool ! Génial.
G.W : Donc on est sur la même longueur d’onde.
G.W : Unself marque une évolution importante dans votre son. Comment décrirais-tu cette évolution ? Était-ce une décision consciente ou quelque chose de naturel ?
N.S : Un peu des deux, je pense. La décision, c’était d’abord de se dire : “Ce serait cool si on pouvait aller un peu plus dans cette direction”, tu vois. Mais ensuite, une fois que tu regardes vers un certain horizon, tu finis naturellement par t’y diriger.
Donc ouais, je pense que ça s’inscrit bien dans le contexte des albums précédents.
Pour moi, sur Mire, le groupe était encore jeune, mais il avait déjà une idée très claire de ce qu’il voulait être. C’est pour ça que ça a fait autant de bruit, surtout au Royaume-Uni : tout le monde se disait “C’est leur premier album ? On dirait un groupe qui joue depuis dix ans !”, et c’était génial.
Pathos, je pense, c’était plutôt un groupe en train d’essayer de trouver son propre son. Et pour ça, c’était presque comme jeter de la peinture sur une toile — on essayait autant que possible, on testait plein d’idées, plein de choses, juste pour voir ce qui nous convenait vraiment.
Et cet album-là, Unself, c’est un peu comme si on regardait Pathos et qu’on se disait : “Quelles sont les choses qui ont vraiment marché pour ce groupe ? Qu’est-ce qu’on aime le plus dans ce disque ?”, et on est partis de là.
Donc pour moi, cet album, c’est un peu la réalisation du son propre du groupe.
G.W : D’accord.
N.S : Une version un peu plus aboutie, plus raffinée de ça, tu vois.
G.W : La version la plus pure de votre son.
N.S : Ouais, exactement.
G.W : Dans le même esprit, chaque morceau de cet album semble avoir sa propre atmosphère et son propre poids émotionnel. Quand vous commencez à écrire de nouvelles chansons, qu’est-ce qui vient d’abord ? L’émotion, le concept, ou le riff ?
N.S : En général, le riff. Oui, la plupart du temps, c’est un riff, ou un passage musical. D’habitude, Danny a quelque chose sur lequel il a bricolé, un truc qui l’inspire, et il l’apporte au groupe ou à moi.
Ensuite, on en parle, on voit ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, ce que ça inspire. Parfois, Danny a des idées du genre : “Je voulais aller dans cette direction, mais je n’ai pas trouvé la suite”. Donc on travaille dessus ensemble.
Ou parfois, on se dit : “Non, ça devrait plutôt aller par ici”, et on en discute, on explore.
Et puis au fur et à mesure que la chanson prend forme… Danny a toujours des concepts ou des thèmes dont il veut parler, tu vois. Et comme tu disais, les morceaux ont chacun leur propre atmosphère. Donc à mesure que la musique devient plus concrète, ça devient évident : telle ambiance colle à tel concept.
Un bon exemple, c’est Foreclosure. C’est un morceau très aride, très atmosphérique, et ça collait parfaitement avec le côté dystopique des paroles et du contenu.
Donc voilà, ce n’est pas forcément : “OK, on a un riff, la chanson va parler de ça.” C’est plus que, à mesure que l’atmosphère se développe, ça devient évident de ce dont elle doit parler, tu vois, ce qu’elle appelle naturellement.
G.W : Donc l’atmosphère est importante.
N.S : Oui. Je pense aussi qu’on veut écrire des chansons qui ont chacune leur propre atmosphère. Il y a plein d’idées qu’on a écrites et qu’on a finalement laissées de côté, parce qu’elles faisaient un peu la même chose qu’un morceau précédent.
On veut que chaque album soit meilleur que le précédent, bien sûr, mais on veut aussi que toute la discographie tienne ensemble, que chaque morceau ait sa place.
Tu vois, par exemple, un titre comme Choke sur Mire : on ne refera jamais un autre Choke, parce que Choke est déjà la version parfaite de ce type de morceau. Donc pourquoi le refaire ? On jouerait toujours Choke de toute façon.
G.W : Finalement “Pourquoi faire un autre Choke ?”.
N.S : Exactement, ce serait juste une deuxième version inutile. C’est pour ça que l’écriture est si importante : musicalement, ça sonne toujours comme Conjurer, mais ce n’est jamais la même chose qu’un ancien morceau.
L’idée, c’est que chaque chanson puisse coexister avec les autres dans notre discographie.
G.W : C’est ce que j’aime dans votre musique : on peut écouter n’importe quelle chanson, on reconnaît la même vibe, mais ce n’est jamais la même chanson.
N.S: Oui ! Et je pense que c’est aussi pour ça que les albums prennent du temps à être faits. Parce qu’il y a beaucoup d’allers-retours, de discussions. Et sur le moment, ça peut être frustrant — tu te dis “Bon, on devrait juste sortir un truc et y aller”.
Mais une fois que tout est terminé, on peut tourner avec ce disque pendant des années et en être vraiment fiers.
C’est d’ailleurs pour ça qu’on joue encore des morceaux comme Choke ou Retch. Et c’est aussi pourquoi Mire résonne encore aujourd’hui. Parce qu’on a pris le temps de le construire correctement.
Chaque album doit être bien fait, pour qu’il dure, tu vois.
G.W: Pour avoir une atmosphère.
N.S : Absolument, ouais.
G.W : Prochaine question. Votre musique, depuis Mire, oscille constamment entre une lourdeur brute et des moments de calme. Comment trouvez-vous cet équilibre entre les riffs agressifs et ce que j’appelle votre “atmosphère apocalyptique” ?
N.S : (Rires) Ouais, je crois que c’est une bonne expression, “apocalyptique”. Elle est plutôt juste, ouais.
G.W : Quand je vous écoute, ça me rappelle certains groupes français que j’écoutais quand j’étais au Lycée, comme General Lee — un pur groupe de post-metal. Et un peu comme sur Mire, vous pouvez passer d’un riff massif qui te fait headbanger pendant des heures à quelque chose de totalement dépressif.
N.S : Eh bien, c’est ça, ouais. C’est comme ça qu’on pourrait décrire notre musique : pure dépression (rires).
Je crois que le point principal, c’est simplement qu’on écoute tous énormément de styles de musique différents.
On en parle souvent entre nous, et parfois on plaisante en disant : “On devrait faire une chanson qui soit juste une horreur absolue”, ou “on devrait faire une chanson qui soit uniquement ça”, ou encore “un album entier qui soit juste oppressant et dégoûtant”, ou au contraire “un album entièrement doux et lumineux”.
On lance plein d’idées comme ça, mais au final, on aime tellement de styles différents — metal, pop, folk, jazz, hip-hop, RnB…
Alors bon, on n’a pas vraiment de hip-hop ou de RnB dans nos morceaux, mais…
G.W : On entend quand même un peu de hip-hop (rire).
N.S : Absolument, ouais (rire). Mais peut-être inconsciemment, dans la dynamique ou le rythme.
Je pense qu’on essaie juste de mettre tout ce qu’on aime là-dedans.
Et franchement, si on faisait un disque super lourd du début à la fin, je pense qu’on s’en lasserait très vite, tu vois ?
Même sur scène, on essaie d’avoir des moments qui montent et qui redescendent, des respirations, des changements d’atmosphère. Parce que c’est ce qu’on trouve intéressant, à la fin de la journée.
Donc ouais, c’est ça la clé, je crois.
G.W : Je ne sais pas si tu pourras répondre à celle-ci. Conjurer a collaboré avec Pijn sur Curse These Metal Hands, un album étonnamment positif. Est-ce que cette expérience vous a appris quelque chose, musicalement et personnellement ? Et est-ce qu’on peut espérer une nouvelle collaboration un jour ?
N.S : Je peux essayer de parler au nom des autres, même s’ils ne sont pas là, mais oui, clairement, ça nous a beaucoup appris.
Particulièrement dans la relation qu’on a bâtie, non seulement avec le groupe Pijn, mais surtout avec Joe Clayton — qui, en plus, a coproduit et enregistré Unself.
Ça, c’était vraiment important.
Je crois que ça nous a poussés à repousser les limites de ce qu’on pensait possible pour le groupe.
Avoir quelqu’un comme Joe comme partenaire créatif, c’est super précieux.
Et, comme je disais, je n’étais pas là pendant les sessions de Curse These Metal Hands, mais tu vois clairement la relation qui s’est construite à ce moment-là.
Quand on a bossé ensemble sur Unself, Joe était vraiment comme le cinquième membre du groupe.
Il sait exactement ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, et surtout, il comprend ce qu’on veut — probablement mieux que n’importe qui d’autre sur Terre.
On a parlé avec d’autres producteurs potentiels, bien sûr, mais avec lui, c’est évident.
G.W : Il sait comment vous travaillez.
N.S : Exactement. Et je pense que c’était un petit problème sur les albums précédents — pas un vrai obstacle, mais une difficulté : il fallait constamment traduire nos émotions ou nos intentions à un producteur, à quelqu’un qui n’avait pas forcément les mêmes goûts que nous ou la même vision du résultat final.
Je ne dirais pas que ça a nui aux albums précédents, parce qu’ils ont très bien tourné, mais ça ajoutait une étape supplémentaire au processus.
Alors que là, avec Joe, cette relation née de Curse These Metal Hands a vraiment fait de nous des partenaires artistiques.
Et ça a énormément aidé sur Unself.
Et sur ta dernière question : je crois qu’il y a effectivement un ou deux morceaux qui ont été écrits, mais je ne sais pas s’ils seront enregistrés ou publiés.
J’espère que oui. Ce serait vraiment cool d’en entendre d’autres.
G.W : La production de Unself semble très vivante et humaine. Quelle a été l’expérience en studio ? Avez-vous davantage expérimenté ? Ou avez-vous simplement essayé de capturer votre énergie live ? Parce qu’on a vraiment l’impression d’entendre tout ce qu’il se passe dans la pièce quand on écoute l’album.
N.S : C’était clairement un objectif, oui.
Personnellement, je réfléchissais à ce que sont mes albums de metal préférés, et à la façon dont ils ont été faits. Et j’ai voulu me concentrer davantage sur la performance plutôt que sur la “tonalité parfaite” de guitare, tu vois ?
Évidemment, le disque sonne fantastique, les sons sont excellents, et ça, c’est encore une fois grâce à Joe — il sait ce qu’on veut avant même qu’on le dise.
Mais l’idée, c’était de tout miser sur la performance.
Je pense que c’est une des choses qui se sont perdues dans beaucoup de disques de metal récents : cette personnalité, cette imperfection vivante.
Tu peux tout éditer, tout quantifier, tout lisser, mais pour moi, la personnalité d’un enregistrement, c’est bien plus important que le mix ou le son de guitare.
On a aussi expérimenté, dans une certaine mesure, surtout sur les guitares.
Par exemple, pour les passages plus calmes ou plus dépressifs, on s’est sentis plus libres d’essayer des trucs : changer d’ampli, utiliser une autre guitare juste pour un morceau, ce genre de choses.
Alors qu’avant, c’était plus rigide : “cette guitare, cet ampli, et cette personne joue tout le long de l’album”.
Là, c’était plus libre, plus vivant — tout en restant nous-mêmes.
G.W : Comme une énergie live.
N.S : Exactement.
Je pense que beaucoup de groupes aujourd’hui se concentrent tellement sur le fait de créer un “produit”… rien que ce mot, “produit”, dit tout, tu vois ?
G.W : Oui, je vois ce que tu veux dire.
N.S : Les gens essaient de faire un album ultra-produit, et je comprends pourquoi — l’industrie est très compétitive, il faut attirer l’attention.
Donc tu fais toujours plus gros, plus spectaculaire, avec des breakdowns plus énormes, plus d’effets, des productions toujours plus épaisses.
Mais pour que tout ça tienne, tu dois tout éditer, tout caler, tout empiler.
Et le problème, c’est que quand tu joues en live, tu dois emmener tout ce matériel supplémentaire pour reproduire le son du disque.
Tu passes ton temps à “poursuivre l’album” au lieu de le vivre.
Nous, on voulait faire l’inverse.
Toutes les chansons ont été écrites pour un groupe à quatre : deux guitares, deux voix, une basse et une batterie.
Ce qu’il y a en plus sur l’album, ce sont juste de petits overdubs pour mettre certains détails en avant, mais on n’a pas ajouté un clavieriste imaginaire, tu vois ?
On s’est demandé : “Comment écrire un morceau qui fonctionne pour notre formation telle qu’elle est ?”, et ensuite : “Comment faire pour que l’album sonne comme nous, et pas l’inverse ?”
Donc oui, c’était totalement intentionnel sur Unself.
G.W : Pour obtenir un son pur. Celle-ci porte sur les paroles.
N.S : D’accord. Je vais faire de mon mieux.
G.W : Pas de souci. Si tu veux chanter ce soir… (rire)
N.S : Personne ne veut ça ! (rire)
G.W : Cet album semble très personnel. Quelles émotions vouliez-vous transmettre à travers les paroles ? Est-ce quelque chose que vous écrivez individuellement ou collectivement ?
N.S : Encore une fois, je dirais que, pour la musique comme pour les paroles, Danny est la principale force créative.
Et évidemment, c’est toujours délicat, parce que les paroles, même si elles sont racontées de son point de vue, concernent des choses très personnelles, qui lui tiennent à cœur.
Mais l’idée, c’est de les rendre un peu plus universelles — de raconter ces émotions d’une manière qui puisse parler à tout le monde, pas juste à nous.
Le thème principal de l’album, c’est ce sentiment d’être à l’écart, en marge. D’être un peu un outsider, pour une raison ou une autre — que ce soit quelque chose qu’on t’a dit, ou une manière dont on t’a fait te sentir.
Et évidemment, la phrase “This world is not my home”, qu’on a utilisée sur cet album.
G.W : Oui, c’est une vieille chanson gospel.
N.S : Exactement. Et à l’origine, le message, c’est : “Ce monde n’est pas ma maison, c’est bien, je vais partir vers un meilleur endroit.” C’est une chanson chrétienne, assez spirituelle.
Mais nous, on l’a interprétée un peu différemment. On l’a tournée en mode : “Fuck this world”, tu vois ? Ce monde est horrible.
Mais ce n’est pas qu’on se sente comme ça tous les jours, hein — c’est plus un état d’esprit, une façon de canaliser ce ressenti dans l’album.
Comme tu le disais, l’atmosphère musicale influence beaucoup les paroles.
Si la musique est oppressante, tu ne peux pas y mettre des paroles joyeuses, tu vois ? Ce serait bizarre.
Ce serait un peu comme faire l’inverse de The Smiths, avec une musique enjouée et des paroles morbides.
Nous, on veut que les textes soient en phase avec le ton du morceau.
Donc ouais, c’est comme ça : les première et dernière chansons du disque encadrent le tout, et entre les deux, chaque morceau raconte une situation précise, un moment où tu te fais un peu écraser par quelque chose.
Que ce soit la société, une communauté, des gens qui t’écartent pour une raison quelconque…
Et certains morceaux parlent aussi des milliardaires, de cette élite à 1 % qui ne pense qu’à elle-même, pendant que les gens ordinaires galèrent.
G.W : C’est pareil en France…
N.S : (Rires) Ouais, j’imagine. C’est pareil chez nous.
Et tu te demandes : “Mais comment on en est arrivés là ?”
Nos parents, à notre âge, avaient déjà acheté une maison, eu des enfants, une stabilité. Et aujourd’hui, tout ça semble impossible.
C’est un peu ce constat-là qu’on fait.
Et il y a aussi des morceaux qui parlent plus largement de certaines entreprises, de ce capitalisme…
G.W : Du capitalisme.
N.S : Oui, voilà. Mais de son côté le plus sombre.
Ce côté où on te dit : “On est là pour vous aider, on est là pour vous servir”, mais en réalité, c’est une façade.
Et au final, c’est destructeur.
C’est plus une manière de dire : “Regardez, c’est vraiment de la merde, non ?” plutôt que de crier “je hais ma vie” ou “je hais ce monde”.
C’est plus : “Est-ce qu’on peut juste prendre un moment pour parler du fait que tout ça va vraiment mal ?”
C’est paradoxal, d’ailleurs. Parce que d’un côté, on aime être dans un groupe, c’est une célébration du fait d’être un musicien, d’exister en tant que groupe.
Mais d’un autre côté, on ne peut parler que de ce qu’on connaît, de nos expériences personnelles, et souvent elles viennent de là.
G.W : On va passer à la suite.
N.S : Oui, c’est un sujet lourd, celui-là. (sourire)
G.W : Et on a dépassé le temps d’interview…
N.S : Pas de souci, vas-y, continue.
G.W : Conjurer tire son son de beaucoup de sous-genres du metal : sludge, post-metal, death metal, hardcore, et même un peu de prog.
Quelles sont vos plus grandes influences ? Et comment ont-elles façonné l’identité de Conjurer ?
N.S : (Rires) Bonne question. Les influences changent évidemment d’un album à l’autre, parce qu’on met beaucoup de temps à les faire.
Mais c’est une bonne chose, parce qu’on vit avec les chansons longtemps, on apprend à les connaître, on découvre ce qu’on aime vraiment en elles, parfois bien après les avoir écrites.
Et pendant tout ce temps, nos influences changent aussi.
Je pense qu’avec Mire, c’était surtout une question de “Quels sont nos groupes préférés ?”.
Comme je l’ai dit plus tôt : Gojira, Mastodon, Converge.
Avec Pathos, c’était un peu différent, plus orienté vers des influences dissonantes — Imperial Triumphant, par exemple, qu’on entend pas mal sur certains morceaux.
Et ouais, plus on avance, plus ça devient spécifique.
Sur ce dernier disque, je pense qu’on a pris beaucoup d’inspiration du côté de l’atmosphère.
Donc c’est bien que tu en aies parlé, parce que c’est un vrai axe de réflexion.
Moi, personnellement, je suis un grand fan de Neurosis.
Et ce n’est pas qu’on essaie de sonner comme Neurosis, mais on se demande : qu’est-ce qu’ils font pour créer un univers aussi dense, aussi cohérent ?
Comment arrivent-ils à faire en sorte que chaque morceau, chaque son, appartienne à ce monde-là ?
Et comment, nous, on peut trouver ça pour Conjurer ?
G.W : Donc vous prenez l’influence sans copier le son du groupe.
N.S : Oui, exactement.
Ce qu’ils ont fait pour eux-mêmes, on essaie de le faire pour nous.
Et en parallèle, on écoute aussi beaucoup de folk.
On adore le metal, bien sûr, c’est notre base, mais après tant d’années à en écouter, on se demande : “Qu’est-ce qu’on peut ajouter d’autre qui amènera quelque chose de nouveau ?”
Et ce n’est pas comme si tout ce qu’on écoute se retrouvait dans notre musique, hein — on n’a pas mis de breakbeats ni de hip-hop, par exemple.
G.W : Ce n’est pas Sleep Token.
N.S : (Rires) Non, clairement pas. On ne fait pas du Sleep Token avec dix genres différents mélangés dans un seul morceau.
Mais ouais, c’est : qu’est-ce qu’on aime à ce moment-là ?
Dernièrement, le folk a pris une grande place.
Danny et moi, on aime beaucoup ce style, et aussi plein de groupes de la scène Roadburn, des groupes plus post-metal, plus expérimentaux.
Et la question, c’est : comment on peut intégrer ces influences dans notre son, sans que ça sonne comme une copie ?
Comment faire en sorte que ça sonne Conjurer ?
G.W : Et vous le faites très bien.
N.S : Merci beaucoup, c’est super gentil.
G.W : Je viens de parler de Sleep Token, et ma prochaine question est justement à leur sujet.
La scène metal britannique est incroyable en ce moment. Beaucoup de groupes expérimentent et repoussent les limites : Loathe, Rolo Tomassi, Sleep Token, Death Goals, Don Broco, et bien d’autres.
Comment vois-tu la place de Conjurer dans cette scène ?
N.S : C’est une bonne question.
Je pense que la raison pour laquelle il y a autant de groupes britanniques qui se démarquent — même en Europe ou à l’international —, c’est que chacun fait un peu son propre truc.
Les groupes qui réussissent à percer ne se marchent pas dessus.
Tu peux dire qu’il y a une super scène au Royaume-Uni, ce qui est vrai, mais pourrais-tu définir précisément ce que c’est, musicalement parlant ?
Pas vraiment.
C’est très différent d’avant. À l’époque, avant Internet, les scènes étaient locales.
Tu pouvais associer un lieu précis à un style précis — comme dans les années 80 avec le thrash metal, par exemple.
Aujourd’hui, tout le monde a accès à tout, donc ce n’est plus géographique.
Et c’est ça qui est excitant : tu as des groupes comme Loathe, Rolo Tomassi, Employed to Serve...
Ils ont tous des points communs, mais chacun fait sa propre chose.
Et je pense que c’est pareil pour nous, ou pour des groupes comme Heriot ou Pupil Slicer.
On a déjà joué avec Pupil Slicer, Heriot, Loathe, etc., et même si nos sons sont très différents, on partage une même énergie.
C’est ça qui est beau : tu peux explorer toute la scène britannique et trouver une diversité énorme, et pourtant tout est passionnant, parce que ce n’est pas répétitif.
Heriot est excitant pour ce qu’ils font, Conjurer est excitant pour ce qu’on fait, Pupil Slicer, Rolo, Loathe, Sleep Token — chacun a sa personnalité.
Et bon, Sleep Token, eux, ont carrément transcendé la scène.
Ils ne sont plus un “groupe britannique”, ce sont juste un “groupe de la planète Terre”, tu vois ?
Ils sont à un niveau à part.
Je pense que Loathe est en train d’atteindre ce genre de reconnaissance aussi, même si peut-être pas à la même échelle.
Mais ouais, pour nous, c’est ça : faire notre truc du mieux possible.
Il y a clairement quelque chose dans l’eau au Royaume-Uni, parce qu’il y a un nombre fou de nouveaux groupes intéressants qui émergent en ce moment (rire).
Mais ouais, notre place, c’est juste de faire de notre mieux dans ce qu’on sait faire. C’est notre créneau.
G.W : Peut-être que je devrais boire un peu d’eau britannique, alors, avec mon groupe de hardcore, qui sait ? (rire).
N.S : (Rires) Oui, peut-être bien ! C’est l’identité de chaque groupe, au final.
G.W : Oui, exactement. C’est une question d’identité, pour chaque groupe.
N.S : Oui, voilà. (sourire)
Désolé, j’ai un peu tourné autour du pot, mais c’est ça au fond : chacun a son identité propre.
G.W: Si tu devais exprimer l’esprit de Unself en un seul mot, un sentiment, ou une image, lequel ce serait ?
N.S : En un mot ? Hmm… je ne sais pas, en fait.
Tu vois, c’est comme dans le documentaire Some Kind of Monster de Metallica, au début, ils demandent : “Un mot pour décrire Metallica.”
Et James Hetfield répond : “Rewarding” — gratifiant.
Je crois que je dirais la même chose. “Gratifiant”.
G.W : C’est un bon choix.
G.W : Et voici ma dernière question. Enfin ! Qu’est-ce qui attend Conjurer après cette tournée ? De nouveaux projets, des collaborations ?
N.S : Rien de concret pour l’instant.
Je pense qu’on veut surtout jouer cet album autant que possible, et voir où ça nous mène.
C’est ça qui est excitant quand tu sors un disque : tu ne sais jamais ce qui va arriver.
Bien sûr, on va faire nos propres concerts, nos têtes d’affiche, tout ça…
Mais le plus excitant, c’est de le lâcher dans le monde et de voir comment les gens réagissent.
On a aussi quelques tournées prévues dans différentes régions, ce qui est super cool.
Mais pour moi, ce qui est le plus intéressant, ce sont les choses qu’on ne prévoit pas — les opportunités inattendues, les collaborations, les propositions de groupes qu’on admire… ce genre de trucs.
Sur le plan musical, il y a aussi quelques morceaux enregistrés pendant les sessions d’Unself qui n’ont pas encore été publiés. Ils sortiront probablement à un moment donné.
Et je pense qu’on aimerait faire un autre projet d’ici le prochain album.
On ne l’a pas fait entre Pathos et Unself, et ce n’est pas que ça a manqué, mais je pense que ce serait cool d’avoir un projet “intermédiaire”.
Parce que ça faisait partie de tout le cycle Mire : il y avait l’album, Curse These Metal Hands, et aussi le split avec Palm Reader.
G.W : Ah oui, j’avais oublié celui-là.
N.S : Ouais !
Mais voilà, toutes ces petites choses additionnelles, ça enrichit vraiment la “mythologie” du groupe à ce moment-là.
Il y avait tout un univers autour de Mire.
Pour Pathos, c’était différent — c’était notre premier disque chez Nuclear Blast, notre premier vrai grand pas en avant, donc on voulait se concentrer sur l’album lui-même, être sérieux, professionnels.
Mais maintenant, je crois qu’on a envie de refaire ce genre de projets parallèles.
Peut-être un EP, une collaboration, quelque chose qui nous fasse apprendre de nouvelles choses, un peu comme Curse These Metal Hands l’avait fait à l’époque.
Quelque chose qui nous pousse dans de nouvelles directions. Ce serait génial.
A propos de Guillaume W
Guillaume est grand comme son âge et aime écouter les sons qu'il veut écouter. Passionné de métal, de jazz et de jeux-vidéos, il arrive en big 2025 pour nous régaler les yeux de ses avis auditifs.