Conjurer – Unself: L’obscure clarté de nous-même
Chroniques
27 Octobre 2025
Il y a des albums qui ne cherchent pas à impressionner, mais à comprendre. Après la rage contenue de Mire et la densité écrasante de Páthos, le groupe britannique, composé aujourd’hui de Brady Deeprose (chant, guitare), Dan Nightingale (chant, guitare), Conor Marshall (basse) et Noah See (batterie) signe ici, avec Unself, une œuvre plus éthérée, plus lucide, où la lourdeur du son devient le reflet d’un poids intérieur qu’on apprend, peu à peu, à porter autrement tout en conservant l’aspect plus Sludge, Post-metal et Doom propre au projet initial. Des tatanes, oui, mais des tatanes réfléchies.
Dès le morceau d’ouverture,"Unself”, on comprend que l’album sera une traversée. Le titre donne le ton : se défaire du “moi” pour retrouver quelque chose de plus vrai, de plus personnel. Cette quête intime nourrit tout le disque, inspirée par le parcours personnel de Dani Nightingale, qui évoque sans détour la découverte de son autisme à l’âge adulte et l’affirmation de son identité non binaire. Ce n’est pas un disque de confession, mais d’acceptation ; une manière de reprendre possession de son corps, de sa tête, de sa voix.
L’ombre de Jan Krause, ancien batteur de Conjurer, plane d’ailleurs sur ce disque. Son départ, survenu après Páthos, pour des raisons de santé mentale, a très certainement marqué le groupe. Là où beaucoup auraient durci le ton pour masquer la perte, Conjurer choisit l’inverse : l’ouverture, la respiration, la douceur là où on attendait la rage. L’arrivée de Noah See à la batterie prolonge cette évolution, avec un jeu à la fois plus aéré et plus humain, qui laisse l’émotion circuler entre les instruments.
Sous la production de Joe Clayton (également présent au mixage), Unself sonne presque plus ouvert : on peut entendre les souffles avant les cris, le grésillement des amplis, et surtout, le poids des silences. Mais cette clarté nouvelle n’a rien d’un apaisement. Les passages plus lumineux ne sont pas des temps de repos, mais des zones de tension suspendue, presque apocalyptiques au milieu de notre traversée. Ils amplifient la lourdeur, la soulignent plutôt qu’ils ne la dissipent. Là où le groupe laissait autrefois des respirations, il installe désormais une inquiétude, un sentiment d’attente avant l’effondrement.
“All Apart”, “Let Us Live” ou "The Searing Glow" traduisent avec réussite cette oscillation entre effondrement et reconstruction, entre colère et acceptation. Et puis il y a le cadre : l’album s’ouvre sur "Unself" et se clôture sur “This World Is Not My Home”. Le premier annonce le dépouillement de soi, le second en propose la réconciliation. En reprenant le titre d’un ancien hymne gospel, Conjurer nous emmène d’un sentiment d’exil vers une forme d’apaisement : un refus du mensonge, mais aussi une forme de paix lucide.
Même la pochette, peinte par Joost van den Broek, semble traduire ce mouvement intérieur. Une forme indistincte, entre matière et chair, entre effacement et apparition : c’est moins une image qu’un état. Comme la musique, elle ne montre rien, mais évoque tout : la confusion, la fatigue, la lente émergence d’un être qui se cherche.
Unself parle de santé mentale, raconte la fatigue, l’isolement et la réinvention. C’est un disque sur la survie, ni héroïque, ni spectaculaire mais humaine. Là où tant de groupes cachent leurs failles derrière la colère, Conjurer les transforme en langage.
Finalement, Unself n’est pas seulement un album de metal. C’est un reflet de nos propres fragilités, une exploration sonore de ce que signifie tomber, se perdre, et pourtant continuer à exister. Conjurer ne promet pas de réponses, mais offre quelque chose de plus rare : une honnêteté désarmante, où chaque note et chaque silence portent la force de se reconstruire.
A propos de Guillaume W
Guillaume est grand comme son âge et aime écouter les sons qu'il veut écouter. Passionné de métal, de jazz et de jeux-vidéos, il arrive en big 2025 pour nous régaler les yeux de ses avis auditifs.