Alcest - Les chants de l'aurore
Chroniques
22 Juillet 2024
La date n’est sans doute pas un hasard : le jour de la fête de la musique et le jour de l’équinoxe estival sortait Les Chants de l’Aurore, septième album du duo français d’Alcest. Le titre confirme bien le tournant lumineux du groupe, entamé depuis les Voyages de l’Âme et bien marqué depuis Shelter.
Ce lien avec Shelter est bien marqué avec le premier morceau, « Komorebi », qui présente dès le début des chœurs d’enfants que l’on n’avait plus entendus depuis « Into the Waves » et avec une grosse influence Shoegaze en créant un mur de son avec les guitares. Cela n’empêche pas le morceau de garder des éléments lyriques comme des arpèges à la guitare ou du violoncelle, deux passages très plaisants mais qui se marient mal avec la présence de blastbeats dès les premières minutes de l’album. On aurait sans doute préféré un morceau qui assume son côté léger, car ils viennent appesantir les envolées du morceau, de même pour les passages midtempos carrés qui sont efficaces, certes, mais qui pourraient sonner trop rigides pour la progression du morceau. Car ce sentiment de progression est très bien marqué, par le chant clair notamment, par les chœurs et par le contrepoint à la guitare qui donne par moment un peu de rebonds à des passages autrement carrés, et si on peut se réjouir de voir que les influences Black Metal d’Alcest ne sont pas loin, il me semble que ce morceau ne tranche pas assez en faveur de l’agressivité ou de la légèreté pour assumer pleinement une des deux
Ce que fait en revanche « L’Envol » qui débute immédiatement avec un rythme lent, calé sur les guitares, ce qui lui confère d’emblée un aspect très massif. On n’est pas non plus dans la lourdeur monolithique du Doom car les progressions à la guitare amènent un peu de tension et se mêlent pour clarifier peu à peu le morceau jusqu’à l’entrée du chant. Cela permet un bel échange entre le chant clair et son accompagnement aux charlestons qui le cadrent tout en ne prenant pas trop d’espace sonore, de même pour la cymbale ride qui est correctement dosée pour mettre en avant son timbre aigu qui rejoint l’harmonisation du chant en une voix médium et une voix aiguë. Le morceau évolue ainsi en sens inverse, allant du plus lourd au plus léger en clarifiant peu à peu ses mélodies jusqu’à un passage planant qui est bien réussi et qui n’hésite pas à prendre son temps, ce qui est une bonne chose car un tel moment demande de la durée pour être apprécié et permettre aux auditeurs de souffler, de même pour la fin aux bois qui est une vraie respiration. Mais la rupture avec le chant Black n’en est que plus forte, bien que l’on pourrait regretter qu’il n’y ait pas de tension préalable pour introduire le chant Black et le rendre nécessaire – ce qu’avait inauguré et très bien réussi Spiritual Instinct.
Cette présence inattendue du Black se perpétue jusque dans l’ouverture d’ « Améthyste », avec un riff en trémolo picking froid, surprenant d’agressivité après la fin méditative de « L’Envol ». Comme lui, le morceau commence avec une structure carrée qui cherche l’efficacité, mais dont la monotonie est brisée par les accents sur le tom basse à la batterie qui déstabilisent et qui engagent plus l’écoute. Après un tel début, je ne comprends pas la décision rythmique de transposer le pattern sur des hi-hats fermés à la deuxième minute quand le morceau ne demande qu’à prendre de l’ampleur, on aurait voulu de la puissance à ce moment-là, typiquement celle qu’on a trouvée sur « Komorebi » alors que celui-là demandait de la douceur. D’autant que l’échange entre le chant clair et le chant Black donne un côté dramatique et équilibre le timbre cristallin du glockenspiel qui double la mélodie, il aurait fallu accentuer ces échanges avec une rythmique et un chant Black poussés et une guitare et un glockenspiel légers. Cela étant, le chant Black me semble mieux placé sur ce morceau-ci puisqu’il est mis en avant par la mélodie légère au milieu du morceau et par un bend à la fin, ce qui crée une tension qui le situe comme une purge, l’expulsion de la négativité hors du morceau. Cela permet de justifier la présence apaisante et spirituelle de l’orgue en fin de morceau, qui aurait constitué une belle fin de titre, avec pourquoi pas un fade-out (même si le dernier passage n’est pas mauvais pour autant, d’autant qu’il rappelle le thème, mais me semble moins approprié pour clore le morceau).
Même si la dimension spirituelle de l’album trouve, à mon sens, son apogée avec « Flamme jumelle », qui est certes relativement court eu égard à la durée des autres morceaux de l’album, mais qui est magnifiquement bien équilibré, avec d’un côté la batterie et la basse qui développent un groove tandis que la guitare et le chant sont tout à fait relaxants, notamment avec le riff qui se développe par vague et permet à l’auditeur de se laisser porter. La présence de hurlements en fond permet quant à elle d’éviter la mièvrerie et de laisser le repos pour le morceau suivant.
Car « Réminiscence » semble être un morceau de transition, un interlude au piano, un instrument que l’on entend peu chez Alcest, marié au chant de Neige pour augmenter le lyrisme de l’album.
Avant de revenir sur terre avec « L’enfant de la Lune », qui confirme d’une part la tendance japonisante d’Alcest depuis Kodama avec des woodblocks et de l’autre l’explosion des blastbeats qui recadrent tout de suite l’écoute en lui imposant une rythmique rapide et intense. Les blastbeats étant par définition une technique qui brouille les temps forts, on peut questionner le passage sur un backbeat par la suite, car cela semble trop carré. D’autant que le pont de milieu de morceau va revenir sur un rythme plus groovy avec les toms tandis que les harmoniques à la guitare et les cymbales apportent à la fois de la légèreté tout en permettant au passage de prendre de l’ampleur – et le font à merveille pour exploser sur la fin du morceau, qui se clôt avec l’introduction progressive de bruit blanc. Cette fin brouillée est une nouveauté chez Alcest, et est un très bon ajout selon moi mais est un marqueur fort : comme pour l’introduction de larsens dans « Spiritual Instinct », c’est l’entrée de bruits artificiels dans une musique qui se veut autrement très naturaliste et spirituelle, un déplacement de la spiritualité romantique dans une expression plus moderne.
Pourtant, Alcest ne semble pas prêt à couper définitivement les ponts avec le romantisme puisque « L’Adieu » est un morceau de clôture à la guitare et au chant qu’il est difficile de ne pas voir comme un « Délivrance » bis.
C’est dans ces morceaux où Alcest assume le plus sa légèreté que l’album prend le plus d’intérêt, car si l’on voulait des riffs ou de l’agressivité on écouterait du Death Metal. Là où Kodama avait inauguré des rythmiques plus groovy, je regrette que cette dimension ait été perdue au profit de rythmiques carrées, plus efficaces certes, mais est-ce l’efficacité qui fait la signature d’Alcest ? C’est pour cela que « Flamme jumelle » et « L’Adieu » réussissent si bien, parce que leur légèreté rend nécessaire le chant Black comme catharsis de la négativité pesante, essentielle pour réussir l’envolée lyrique. Bien que l’album ne soit pas mauvais, loin de là, il est parfois un peu maladroit dans ses mélanges, mais à au moins le courage de ne pas faire un resucé des albums précédents et essaye de nouvelles choses, ce qui est louable, mais il manque parfois de transitions pour que la structure des morceaux mette en avant chacun des passages qui le composent et qui sont, indépendamment, tous travaillés.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.