Biesy - Transsatanizm
Biesy – Transsatanizm
Pas envie de mettre du vernis sur un album qui de toute
évidence en met pour ne pas en mettre. Pas envie de trahir l’expérience qu’est Transsatanizm.
Mes mots ne pourront jamais retranscrire la qualité de cet album, de son
artwork blasphématoire et de cette musique annonciatrice. Je ne peux qu’au
mieux extraire les quelques gouttes de vérité de ce fruit défendu.
IHS : Titre signifie Jésus. Dépeint Jésus dans
les traits d’une modernité délétère avec un jeu de mot entre « machine –
maszyna » et « a un fils – ma syna » en polonais. Le Christ est
alors associé aux paiements sans contacts, Dieu à la surveillance vidéo...
Introduction en croches saccadées avec un gros bruit blanc en fond. Tous les
bruits tranchants sont sous-mixés pour ne faire de place qu’à la grosse caisse
et à la guitare qui déploie par groupe de 3 ses notes dissonantes tandis qu’une
autre profite de la saturation typique du BM pour remplir encore plus
l’atmosphère. Cette introduction perturbée est brouillée par des bugs et un son
stéréo qui ne revient pas immédiatement. Quand il revient, c’est accompagné
d’un son de synthé lui-même saturé aigu qui sonne comme un acouphène mais qui
développe très lentement les accords. Quand arrive enfin la voix sur un BM
hyper ralenti, on découvre une voix androgyne qui se plait à alterner entre le
chant guttural et une voix doublée qu’on ne saurait assigner, d’autant plus que
des nuances infimes la font aller du cri aigu de l’extase au parler solennel
grave. Tout cela se développe évidemment avec de plus en plus de bruits qui
perturbent d’autant plus la musique qu’ils ne sont jamais permanents, de sorte
qu’on ne s’y habitue jamais. La batterie est assez en retrait, assez lente et
sous-mixée pour qu’il n’y ait que les accents qui ressortent et qui tranchent
avec la linéarité floue de l’essaim sonore. Cette voix androgyne dont je vous
parlais, renvoie elle-même aux guitares car, comme elles, elle est doublée,
avec une dans les aigus et une dans les graves. La première porte le masque de
la comédie et jouit à chaque entrée tandis que la seconde porte celui de la
tragédie et geint sous la fatalité pesante du mythe, omniprésent et
inéchappable comme le faux de cette musique. Si à la moitié du morceau,
l’atmosphère s’éclaircit, ce n’est que pour faire de la place à un synthé qui
ne joue pas par accords mais par notes clairsemées, de sorte à faire ressortir
le timbre lugubre de l’instrument, orgue de satanerie, que la basse accompagne
de son pas lourd. La lourdeur est par ailleurs la tendance logique du morceau,
qui commence par un son très pesant qui le force à ralentir le pas dans toute
son évolution pour finir dans un aspect presque Stoner tellement la cadence et
faible tandis que la saturation est forte, mais l’opium est alors celui de
l’atténuation du malaise, qu’exprime la contrainte de répétition de la
complainte « Mazszyna – ma syna » de fin de morceau.
La Dolce Instant : Titre signifie « doux
instant », ironie du plaisir instantané entre une nuit de débauche et de
consommation qui mène à la fin du monde.
Tout sauf doux, introduction en trombe avec de la double-pédale et du trémolo
picking et une guitare lead tellement saturée que les accords résonnent sans
diminuer. Quand la voix arrive, le tempo est divisé par deux et les instruments
commencent à se séparer, la voix, toujours androgyne, semble faire fondre la
cohérence musicale. L’ironie du titre se répète dans les cris, tantôt
endoloris, tantôt chuchotement de soulagement. Le morceau est un peu plus riffé
que le précédent, dans la mesure où la guitare lead se laisse distinguer un peu
plus clairement. La structure du morceau, qui s’amuse de hoquets et à retenir
une mesure un temps de trop nous ramène toujours à la frustration de cette
consommation sexuelle qui se promet mais ne se réalise pas. On évolue ainsi, de
plaie en plaie, de genre en genre, sans jamais larguer les amarres – non un
seul jour mais une seule seconde, car pas une fois le morceau cesse de nous
asséner des riffs dérangeants accompagnés d’une structure rythmée syncopée qui
mime et moque le pas claudiquant des condamnés au présent. Même à la troisième
minute, où les guitares se taisent, la voix reste plus torturée encore que dans
le DSBM car elle n’en fait pas de trop et est d’autant plus humaine. La voix
claire est une fois de plus doublée, et le synthé alterne entre un timbre
rebondi qui brouille sa disposition mélodique tandis qu’un autre son est le son
hypersaturé proche de la Noise que nous connaissons, qui nous prépare au retour
dans le Black Metal. Toutefois, cet interlude n’était pas une sortie du Black
Metal, tout est tellement dérangeant qu’on passe plutôt d’un cercle de l’enfer
à l’autre. Le synthé change régulièrement de son, Biesy semble
n’accorder aucun égard à la cohérence : entre les changements de sons, la
rythmique souvent saccadée et les changements abrupts. Ça symbolise bien les
tendances de consommation, qu’elles soient musicales ou non, où les produits
défilent devant nous en pots-pourris – sauf que pour Biesy ce n’est
qu’une apparence de superficialité, la construction est bien plus fine et rappelle
régulièrement des thèmes, des timbres, les développe, etc ; mais le
morceau, en ne prétendant pas être plus que la métaconsommation qu’il est et en
la mettant en évidence pointe du doigt les fautes de goûts et les péchés que
porte la vie moderne avec sa superficialité et sa tendance
autodestructrice. La fin elle-même est
abrupte, mais les derniers mots prononcés sont un chuchotement. Ce n’est pas le
dernier soupir d’un condamné, c’est pire encore : c’est la promesse du
Horla qu’il reviendra nous hanter.
Golgota 2045 : Colline sur laquelle Jésus a
porté sa croix, 2045 peut-être une référence à l’année dans laquelle se déroule
Ready Player One et où les humains trouvent un exutoire virtuel pour échapper à
une Terre désolée. Evolution d’un Blackeux qui évolue dans la société et
lui-même (deux choses qu’il déplore) tout en gardant Dunkelheit en tête. 666
n’est jamais nommé, soit des chiffres proches comme 644 soit 333x2.
Toile musicale plus aérée mais toujours la guitare dissonante et la batterie
déstructurée. Dès le début on entend les références au Black Metal, mais ces
références sont dépassées par le fait que Biesy est bien plus dérangeant
qu’elles. Certes, le projet en reprend les codes avec le chant et les guitares
saturées, mais c’est là tellement magnifié par tout ce qui nous gêne que c’est
infiniment supérieur. Les guitares, le synthé et le chant aigu se font sirènes
de leurs voix aigues et de leur descente harmonique qui nous entraîne toujours
plus bas : sixième cercle, l’hérésie. On sera surpris par la 4ème
minute, qui démarre par une levée et une structure très carrée à laquelle on ne
s’attendait plus – et la surprise que l’on attend plus n’amène aucun plaisir.
Le chant en polonais s’amuse de la rugosité de sa langue pour rouler les r et
rendre encore plus rauques les râles graves. La fin en fondu n’a rien à faire
là.
Nowa Transylwania : Nouvelle Transylvanie,
référence à une nouvelle terre du BM. Peut-être une critique de tout ce BM trop
poli, trop verni.
L’intro de ce morceau non plus ne semble rien avoir à faire là. C’est une
espèce d’Electro-Noise sur laquelle Faustyna hurle et joue de la transidentité
pour brouiller son chant, seul repère qu’il nous reste quand tous les
instruments s’étiolent.
Karolina23 : Peut-être référence à Ste. Caroline
Kozka, vierge catholique polonaise qui refuse les avances d’un soldat russe en
1914, dans sa 23ème année, il l’enlève, tente de la violer et la
tue. Le chanteur semble justement s’assimiler à la vierge qui se fait désirer
mais déçoit en réalité, mais lui c’est sur Tinder.
L’autre face de la pièce avec le morceau précédent : les guitares
sursaturées du Black Metal. Le synthé a accepté de lâcher du lest en enlevant
sa saturation pour quelques notes cristallines typées SF. Ça ne change rien à
Biesy, l’agression et le plaisir se mêlent, c’est un snuff. A la troisième
minute le rythme accélère, ce qui est assez rare chez Biesy et le synthé
repointe le bout de son nez de sorcière. Si la musique s’arrête, c’est pour que
les guitares reviennent en spasmes agoniques tandis que la voix vient brouiller
l’identité, toujours doublée, comme la fausseté du moi faible et de son masque.
W krainie grzybow : Au pays des champignons – Monde
d’Alice aux pays des merveilles mais avec des antidépresseurs et une parodie de
société avec la concurrence, les questions aux clients et l’avance implacable
de la machine en dépit des morts.
Introduction hyper dense, on ne peut imaginer que ce ne soit pas une boite à
rythmes qui soit derrière tant les blastbeats sont rapides – c’en est
effectivement une, et tant mieux car ça sert la musique. La musique est
particulièrement rapide et dense, ce qui la rend moins inconfortable que les
morceaux précédents car elle ne montre plus ses failles. Si, comme moi après de
nombreux mois à poncer cet album, Biesy ne vous dérange presque plus et
ce morceau d’autant moins, il reste toujours les gargarismes et autres
joyeusetés du fond de la gorge pour nous rappeler qu’on a les deux pieds dans
le bourbier barbare. Malgré les quelques ralentissements, le rythme du morceau
reste élevé et les riffs sont répétés sans cesse. La cadence est celle de la
société d’exploitation, avec sa mécanicité. Le « stop » de Faustyna,
après avoir joui, est le Verbe puisque tout se tait pour laisser place au trip
des synthés acides. A ces synthés s’ajoutent de plus en plus d’éléments :
basse, samples, voix, sans jamais former une vraie composition jusqu’au réveil,
le « shut » où les yeux s’ouvrent. Même le délire n’arrive à atténuer
le malaise de la dysharmonie permanente dans Biesy, il ne fait qu’en
atténuer les graves pour qu’il cesse de prendre la forme de nos angoisses.
Synthé, voix, guitares : tout est sans cesse dissonant, disharmonisé, dans
le no man’s land entre le faux et le juste, c’est la démarche du Black Metal
qui est développée dans ses contraintes formelles les plus avancées.
Uwaga: swiat : Note : Le monde – Description
acide du monde : les humains sont misérables, les immeubles sont des
bites, Dieu et Jésus sont réduits à la matière et les rêves ne sont plus
qu’artificiels et chimiques.
Style caractéristique avec les guitares saturées tandis qu’une autre dissone en
lead, un bruit en fond et la voix démoniaque. Le morceau laisse plus de place
aux guitares en leur laissant des moments seules ou avec les autres instruments
bien mis en retrait, ce qui nous permet d’étudier les différents renvois entre
la guitare, la voix et les synthés. La voix est toujours aussi baroque dans sa
méchanceté et se permet des ornements glaireux. Les synthés eux, abandonnent
assez vite leur son aigu et rond pour faire de la place à un sample de basse
complètement corrompu qui vient appuyer la grosse caisse d’un grésillement. La
musique se décompose sur la fin et disparaît en fondu sur un son grave
grésillant qui ne laisse plus qu’un sample qui bat le temps, une basse en
slapping puis des samples électros. L’organique est devenu purement mécanique.
Le sujet déchiré est définitivement mort, et avec lui Satan.
Biesy se joue des catégories modernes. Tout sonne
faux, et par conséquent terriblement juste. Alchimiste qui change la pyrite en
boue. Satan est de retour avec tout son pouvoir de corruption et sa puissance
de démiurge dans des compositions musicales en apparence folles et pourtant par
trop raisonnables. Transsatanizm est un album d’avant-garde d’une
qualité folle et dont la fausseté laisse percevoir celle de la condition
actuelle. Les paroles sont accessoires tant la musique est une charge de vérité
qui explose au visage.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.