White Ward - Love Exchange Failure
Chroniques
31 Janvier 2021
Quand on vous dit
« Post-Black Metal ukrainien », la plupart d’entre vous pense à Drudkh.
Pourtant on n’est pas obligé de suivre des cryptofascistes dans une forêt pour
entendre du bon Black Metal, on peut rester dans le centre-ville d’Odesa et
suivre le quintet de White Ward pour entendre un Black Metal qui change,
non seulement par son origine, mais également par son ajout d’un instrument que
l’on retrouve à mon goût trop peu dans le Black Metal : le saxophone.
L’ambiance urbaine de Love
Exchange Failure inaugure l’album avec un bruit de fond qui résonne sans
cesse et des sons de sirènes. Comme on peut s’y attendre pour un groupe de
Black Metal, cette introduction est plutôt mélancolique, et sa légèreté est
renforcée par le son lisse des balais qui frottent la caisse claire avec
seulement les charlestons pour appuyer quelques accents, comme des bruits de
pas qui se traînent. Les triolets du piano et le saxophone légèrement étouffé
se marient bien grâce à leur ton assez jazzy et brumeux. C’est donc ce trio
piano-saxophone-batterie, qui ouvrira l’album, comme un trio Jazz que supplante
un groupe de Black Metal en prenant peu à peu la place sur la scène. L’entracte
est figuré par un silence, puis le son épais des guitares rythme des croches qu’accompagnent
des coups de cymbales. Un fill à la double-croche sur la caisse claire et les
toms fait office de levée de batterie, dernière référence au jazz, et les cris
du chanteur nous font définitivement sombrer dans le Black Metal. Sans traîner,
on arrive sur du trémolo picking et des blastbeats tout ce qu’il y a de plus
classique, bien que le son légèrement plus grave qu’on pourrait s’y attendre
témoigne des influences Hardcore du groupe. Le chant débute réellement lorsque
la mélodie s’allège car si le tempo ne baisse pas, la caisse claire ne marque
plus que les temps forts tandis que la guitare aiguë joue le rôle de guitare
lead en répétant deux notes dissonantes à la croche. Cela nous permet de
profiter du chant crié aigu d’Andrey Pechatkin qui est reconnaissable par son
timbre légèrement glaireux. S’effondrant sur lui-même, ce moment s’arrête aussi
brusquement qu’il a commencé pour rendre la mélodie au piano, accompagné cette
fois-ci non du saxophone mais de la basse, ce qui n’est pas typé Jazz. Bien que
plus lent, le passage Black qui s’ensuit reprend des éléments de son
prédécesseur, notamment la guitare, mais la baisse de vitesse permet aux
instruments de se joindre peu à peu et d’adapter leurs parties afin de créer un
crescendo sur une mélodie non à deux notes, mais à trois ! Cela n’est pas
preuve d’incapacité musicale pour autant, car le guitariste lead jouera plus
tard un solo qui montre qu’il a une bonne maîtrise de son instrument et qu’il
n’a rien à envier aux envolées lyriques du saxophone. Ce premier morceau
indique par ailleurs la plupart des ressorts musicaux auxquels recourt White
Ward, à savoir un Black Metal assez rapide et à deux guitares sur
lesquelles viennent se poser une voix rauque et un saxophone qui rajoute un peu
de rondeur tout en perçant le mur sonore des guitares. Il ne faut pas omettre
également les changements de tempo, que ce soient de simples alternances entre
le binaire et le ternaire ou de réelles modifications des BPM - comme c’est le
cas à la huitième minute, instant à partir duquel le morceau commence à
ralentir pour entamer progressivement son achèvement pour retourner aux samples
urbains du début.
Laissant plus de place aux
instruments organiques, Poisonous Flowers of Violence s’ouvre avec des
arpèges légers de guitare et de basse auxquels a été ajoutée une large dose de
réverbération. Comme on peut la retrouver chez Deafhaven, Alcest,
et tant d’autres groupes « Post », la structure introductive se
compose d’un passage doux suivi d’une explosion Black Metal. Ce qui est
intéressant dans ce morceau toutefois est que les guitares saturées suivent la
logique de l’introduction et que ce passage Black Metal se compose lui-même en
deux temps, comme s’il avait lui-même un passage introductif avant de se donner
à fond. Comme on pouvait également s’y attendre au vu des influences du
morceau, on trouve d’autres éléments plus légers comme des guitares Shoegaze,
ce qui est cohérent puisqu’on y retrouve le trémolo picking bien que ce soit
sans saturation. Poisonous Flowers of Violence marque particulièrement
bien sa signature ternaire, que l’on ressent bien au milieu de la chanson avec
sa sensation cyclique qui est mise en avant par les répétitions des guitares.
On ne s’étonnera également pas de retrouver la spécificité de White Ward,
à savoir le saxophone, qui dispose d’une longue plage sonore dans laquelle il
développe un son légèrement rauque qui se marie bien avec le chant Black. En
effet, malgré ses changements réguliers, White Ward réussit à garder une
certaine cohérence entre ses différents moments. On peut ainsi noter la
réussite de la fin, qui reprend beaucoup d’éléments du morceau comme
l’atmosphère saturée du Black Metal et du saxophone qui donne tout son
souffle à ce passage, tout en ajoutant quelques touches de piano qui font des
éclairs lumineux dans la trame musicale.
Dead Heart Confession commence également par de
la guitare, sauf que celle-ci a un son bien plus sec que dans Poisonous
Flowers of Violence. Il semblerait que nous soyons passés du balcon de
banlieue à la pièce à vivre puisque les bruits de synthétiseur et de télévision
que l’on entend sont bien plus représentatifs d’un intérieur. Le Black Metal
qui s’y développe est alors plus lent, avec un rythme intéressant avec la
batterie qui tient la noire en ajoutant des doubles-croches entre. On retourne
ensuite à un passage Black Metal à deux guitares et avec la basse bien en avant
tel que le groupe nous y a habitué, bien que le passage « Bury your god,
bury your blood, bury your soul, bury yourself » soit clamé à plusieurs
voix, ce qui est une nouveauté dans cet album. Une autre nouveauté de ce
morceau est le solo de guitare de la quatrième minute car il s’agit d’un solo
en trémolo picking, ce qui s’inscrit très bien dans le passage Black Metal tout
en faisant un bon compromis entre la lourdeur du son et le lyrisme. Cette
progression amène sur un passage étouffé qui prédit le passage Black Metal à
venir, à savoir un riff qui montre sa signature ternaire grâce à une
accentuation des trois premières croches sur les six qui le composent. De la
guitare, la focalisation passe à la batterie lors de la cinquième minute,
tandis que quelques notes de saxophone et de synthétiseur accompagnent les huit
doubles-croches sur la caisse claire – qui signifient donc le passage au binaire
du morceau. Il faut par ailleurs noter la cohérence du mixage qui maintient une
atmosphère pesante tout au long de ce moment sans étouffer pour autant le
synthétiseur, le saxophone ou les samples de télévision en fond. C’est d’autant
plus remarquable que cela permet une cohérence thématique avec la reprise du
passage Black par la suite qui, bien qu’imposant et radicalement différent dans
sa composition, s’inscrit dans une juste continuité. Enfin, le morceau reprend
différents passages antérieurs tout en se ralentissant lentement et s’atténuant
lentement pour finir en fade-out.
De même que Love
Exchange Failure avait un entracte, l’album en a un également. Placé en
milieu d’album, Shelter est un morceau assez calme. On y trouve dès le
début un bruit blanc et un larsen puis un piano et des chuchotements qui
assurent l’aspect mélodique du morceau. C’est toutefois le piano qui a la part
belle car les chuchotements sont parfois accompagnés de hurlements sous-mixés
qui viennent recouvrir les chuchotements. Sans structure discernable sinon une
évolution des accords au piano, le morceau incorpore en permanence des éléments
troublants : le larsen de plus en plus présent, les cris, des coups de
cloche, etc. Autant d’éléments qui peuvent nous laisser penser qu’il s’agit
d’un morceau qui veut montrer l’aspect « expérimental » de White
Ward tant certains sons s’approchent de ce qu’on associerait d’habitude à
un bruit.
La deuxième partie de
l’album débute avec une ambiance similaire à la première grâce aux quelques notes
de synthétiseurs et à l’ambiance feutrée et jazzy de No Cure for Pain,
de son saxophone et de sa batterie jouée aux balais. Cette atmosphère se
confirme avec le passage sur la cymbale ride que les balais rendent nettement
moins tranchante que des baguettes en olive. Tandis que le synthétiseur crée
des nappes de fond, le saxophone assure l’aspect mélodique en alternant des
passages aigus et d’autres graves qui permettent de donner une certaine
dynamique au morceau et lui permettent de s’intensifier peu à peu, d’abord avec
la basse, puis avec la place de plus en plus prégnante de la caisse claire et enfin
par les larsens à la troisième minute qui instaurent la partie Black du
morceau. Comme ce fut le cas dans Love Exchange Failure, la partie Black
Metal commence d’emblée dans ce qu’il a de plus violent et le chant est
renforcé par une voix plus grave. Afin de relancer la dynamique, on trouve deux
groupes de deux mesures lors desquelles le pattern rythmique s’arrête et le son
étouffé pour former une suspension et ainsi relancer le morceau avec des breaks de
batterie. Elles permettent de mettre en place un passage toujours typé Black
mais avec moins de blastbeats et de trémolo picking, ce qui libère de l’espace
sonore au saxophone qui s’insère dans le riffing. Dégageant de plus en plus de
place, les guitares vont jusqu’à ne jouer plus qu’un seul accord par mesure
tandis que la basse est plus marquée et que la batterie et le saxophone ont
tout un passage où ils développent tous les deux leur jeu. Les guitares ne sont
toutefois pas en reste car on trouve ensuite un solo de guitare très aigu et
doublé à sa moitié qui n’hésite pas à aller accentuer sa saturation, ce qui
permet une reprise fluide avec la composition Black Metal de la sixième minute
– lequel reprend des motifs similaires aux passages précédents tout en les
articulant d’une manière différente. Cela dure deux petites minutes à la fin
desquelles la musique se réduit aux guitares étouffées qui jouent aux rythmes
des toms (deux croches et croches deux-doubles). Bien qu’un peu abrupte, cette
transition entraîne un ralentissement du rythme, ce qui donne une mélodie
beaucoup plus aérée. Les guitares assurent cette place mélodique grâce à un
riff dissonant en sextuples-croches dont le son aigu et net tranche avec le reste
du morceau et que l’on verrait plus dans une composition Death/Djent que dans
un morceau de Black Metal. Ce riff se distingue d’autant plus qu’il est accolé
à des chœurs, donc des voix claires et mélangées, tout l’inverse donc. Comme il
avait commencé, des larsens viennent taire le morceau et celui-ci retourne à
une ambiance plus typée Jazz avec le saxophone, la batterie et le piano
initiaux. Puis pour la dernière minute, les guitares et le chant Black
reviennent, mais sous une forme évidemment plus calme cette fois-ci car tous
les instruments jouent à la croche sans trop de variations, ce qui laisse durer
la mélodie assez longtemps pour finir le morceau sur son ouverture en
résonance.
Si on s’attend désormais
aux ambiances Jazz de White Ward, Surfaces and Depths nous
surprendra car ses accords au piano laissent place à une ambiance minimaliste
et aux relents Trip-hop que l’on n’attendait pas. La batterie étouffée et la
voix claire et féminine nous rappelleraient sans doute Portishead et
cela laisse évidemment une sensation de nouveauté dans cet album. On retrouve
tout de même un peu de trémolo picking en fond, mais celui-ci a des effets
Shoegaze et non Black Metal. Il est de toute façon évident que ce morceau ne
cherche pas à mettre en jeu de grandes forces sonores et cela est assuré par
les passages lents du morceau qui laissent de grands passages de résonance
vides. La voix elle-même est assez feutrée et n’a pas beaucoup de coffre, ce
qui fait que bien qu’en premier plan elle ne prend pas trop d’espace sonore, ce
qui est cohérent avec l’atmosphère. Sans doute est-ce également pour ne pas
surcharger la musique que le saxophone et la voix ne sont que rarement ensemble
mais vont plutôt s’emboiter le pas. Même les passages un peu plus fournis, avec
un rythme et une mélodie bien identifiables, restent assez doux car la guitare
reste en fond tandis que la mélodie est assurée par le piano. Il faut attendre
ce qui s’apparente à des « refrains » pour retrouver de la guitare,
mais comme vu plus haut celle-ci a un réglage Shoegaze qui la rend certes
perçante, mais pas nécessairement agressive car il n’y a pas de saturation, ce
qui permet aux autres instruments de rester audibles sans forcer jusqu’à la fin
qui se contente de laisser les instruments sonner.
Pour finir cette seconde et
dernière partie d’album, Uncanny Delusions joue d’accords de guitare
très réverbérés dans un son que l’on pourrait facilement imaginer dans Ecailles
de Lune d’Alcest. La voix claire est présente dans ce morceau
également mais il s’agit cette fois-ci d’une voix masculine. Il s’agit ainsi
d’une nouveauté dans cet album, et il est agréable de continuer d’en entendre
alors qu’il s’agit du dernier morceau. Mais l’album ne se contente pas de
l’atmosphère flottante et calme du début car des coups de crash et des accords
en larsen font une levée Hardcore au morceau. Ces relents HxC que l’on retrouve
dans tout Love Exchange Failure sont particulièrement audibles dans ce
morceau-ci avec le chant crié quasiment seul et la basse bien présente. Le
mélange entre le chant Black aigu et les guitares dissonantes crée un sentiment
d’étrangeté que le saxophone vient renforcer avec ses légatos dissonants. Le
morceau retourne par la suite vers le Black Metal en incorporant des structures
avec des contre-temps héritées du Hardcore pour lui conférer du relief. Cela
trouve son apogée dans le mélange Black Metal/saxophone de la cinquième minute
où, pour la première fois, le saxophone joue à pleins poumons avec le trémolo
picking, ce qui fait une mélodie avec deux timbres dissonants aigus. Ce passage
à lui seul est si intense qu’il faut relancer le morceau, ce que font un
discours parlé et la batterie qui joue sur les toms et dédouble peu à peu son
pattern pour l’accélérer et coller au trémolo picking en fond des guitares.
Cela crée un crescendo qui trouve son apothéose avec les larsens et un passage
Black qui alterne entre le binaire et le ternaire, ce qui renforce la lourdeur
des passages binaires qui paraissent alors plus lents. Le saxophone refait une
apparition à la huitième minute mais est nettement moins audible qu’auparavant
car les autres instruments continuent de jouer des sons saturés qui le noient
un peu. Il y déclame toutefois une dernière fois ses sons dissonants et
liés ; tellement bien liés que la guitare prend immédiatement le relai
avec un solo aigu et perçant tout en légatos. Enfin, en dernière partie
d’album, Uncanny Delusions abandonne ses vêtements Black Metal pour
revenir à un son minimaliste comme on a pu en entendre dans Surfaces and
Depths avec un saxophone cette fois-ci bien présent dans un jeu haletant.
C’est donc une fin très douce, que la batterie au fond des temps et les légatos
adoucissent d’autant plus ; jusqu’à ce que les instruments se taisent un à
un pour laisser place à un son de gramophone vieilli et corrompu, à moitié
recouvert sous un bruit blanc et des cris pour clore l’album.
Malgré sa longueur plutôt conséquente car Love Exchange Failure mesure plus d’une heure, il s’agit d’un album qui sait retenir ses auditeurs sans tomber dans le gimmick ou le déjà-vu. Son plus bel avantage est sans aucun doute le saxophone, qui n’est pas incorporé comme un élément kitsch ou fanfare comme on peut le retrouver chez certains groupes, mais qui est apprécié dans toute la rugosité que peut sortir l’élément et avec les sons désagréables qu’il peut sortir. En cela, l’instrument se marie très bien avec le Black Metal et le chant rauque d’Andrey Pechatkin. Mais White Ward ne se limite toutefois pas à ça car on sent que le groupe a voulu innover et proposer un son reconnaissable et unique, et cela me semble être une réussite dans la mesure où la patte du groupe se reconnaît dans chaque morceau.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.