Ihsahn - Pharos
Chroniques
1 Novembre 2020
Si 2020 aura marqué le monde de la musique au fer rouge, ce
n’est pas que de manière négative. En février, Ihsahn sortait Telemark,
un excellent album de Black Metal mélangeant beaucoup d’éléments et que l’on
pourrait qualifier sans hésiter de « Post-Black » tant il est clair
que si Ihsahn a gardé des éléments de sa carrière Black, ils ont entretemps été
digérés et dépassés qualitativement. Mais en septembre, ce même Ihsahn a
sorti Pharos, qui n’est pas un album de Post-Black mais de Post-Rock qui
est au moins aussi excellent, si ce n’est plus. Et ne croyez pas qu’il s’agit
d’une rupture, le Black Metal est toujours présent chez Ihsahn, mais en
des formes plus subtiles et je n’aurais aucun doute à dire qu’avec Pharos,
Ihsahn a confirmé sa place comme maillon de l’avant-garde.
Très lentement, Losing Altitude s’ouvre sur des
guitares légèrement saturées avec des arpèges en legato et des samples de vent,
ce qui témoigne déjà d’une cohérence compositionnelle entre ces deux pôles
puisque tous deux proposent des sons évoluant par vagues. Le piano arrive en
même temps que la voix d’Ihsahn et pose d’ores et déjà un contraste entre le
début saturé et les parties claires du piano et du chant. Le tempo n’est alors
marqué que par les samples de vent qui viennent saturer le micro, il est donc
très lent et cela se perpétue au-delà de la seule introduction car il y a une
absence de percussions alors même que la voix et la guitare sont doublées. Il
nous faut prendre en compte que dans cette première minute et demie de morceau,
ce ne sont pas moins de sept pistes qui tissent lentement la mélodie du morceau
qui – nous le verrons – est assez simple à identifier mais incorpore beaucoup
de petites variations et de détails. Mais l’introduction se finit à 1:36 avec
les rimshots de la batterie qui viennent accélérer le temps et une levée qui
démarre le morceau. Les sons organiques évoluant lentement de l’introduction
ont laissé place aux synthétiseurs et aux bruits de radar. Le changement de
tempo s’accompagne donc d’un changement d’atmosphère, la mélancolie sauvage a
été remplacée par la nostalgie urbaine. L’espace sonore s’est considérablement
libéré avec la diminution du nombre d’instruments, puisque les guitares sont
reléguées au fond sonore en ne faisant qu’un accord tenu ou un léger arpège en
début de mesure, ce qui fait que seuls les synthétiseurs et les voix se
laissent clairement distinguer. Rien ne laisse alors présager du drop qui arrive
à la deuxième minute, avec son tempo considérablement ralenti et les guitares
en chœur pour faire une mélodie sur les temps faibles et des dissonances, ce
qui rappelle sans aucun doute le Djent et ses dissonances. Ce pont s’arrête
comme il a commencé, dans le contraste, puisque les guitares se taisent au
profit de quelques touches de piano et de chant préliminaires au refrain. A la
troisième minute, nous découvrons finalement ce refrain qui a été distillé tout
au long du morceau et il s’en dégage une vraie puissance harmonique puisque
tous les instruments jouent ensemble. Cette dimension est renforcée par l’ajout
de violons lors de sa deuxième occurrence puisqu’ils en font l’ouverture du
morceau, le tirant vers l’aigu aidés des guitares, jusqu’à ce que le
« Losing altitude » ait suffisamment de portée pour résonner en écho
avec les guitares.
Là où les pianos et les violons n’étaient utilisés que comme
touches dans Losing Altitude, Spectre At The Feast rétablit
l’équilibre en ouvrant avec eux. L’introduction est nettement plus courte
également, puisque la batterie commence par des doubles-croches sur les
charlestons avant de marquer les accents sur les temps forts, ce qui fait que
la musique se développe par périodes régulières, les temps 2 et 4 étant les temps
forts classiques tandis que le Rock préfère les placer sur les 1ers
et 3èmes temps pour pallier le déséquilibre dans la mesure. Plus que
dans aucune autre chanson, il faut prêter attention au chant d’Ihsahn tant ses
paroles sont programmatiques. En effet, tout le monde, même l’auditeur le plus
inattentif, s’accorde à dire que la musique permet de passer des informations,
il est bien moins facile de dire comment. Contre la réponse la plus évidente
qui voudrait que ce soit le rôle des paroles, Ihsahn répond « It’s just
how you phrase it [la musique] | It’s not what you mean ». On comprend
alors son soin tout particulier des mélodies car la musique, dans son
instrumentalité, est alors plus qu’un ensemble de sons agréables mais est
elle-même le message. Cette méthode peut s’appliquer à tout Pharos, et
j’y reviendrai en conclusion. Une fois ce premier moment passé, la batterie se
replace sur les temps faibles et les guitares se font de plus en plus entendre,
ce qui nous prépare au refrain Rock qui arrive. Les guitares et le chant se
suivent alors et les notes sont tenues plus longtemps, ce qui donne plus de
majesté au passage que son prédécesseur saccadé. A l’exception de l’introduction, la deuxième
partie du morceau suit la même structure que la première, en ajoutant toutefois
quelques particularités comme des notes de basse grésillantes pour plus de
rebond. Mais la vraie différence à lieu à la deuxième minute un pont où on
retrouve l’union du piano et des violons, dont le pluriel est justifié car on
peut distinguer au moins deux pistes de l’instrument. La dernière partie du
morceau est donc un long moment lyrique, qui est perpétué par la voix soliste
d’Ihsahn quasiment nue sous un son de pluie, et tandis que le piano vient pour
l’accompagner, la guitare arrive pour la remplacer puisqu’on a le droit à un
solo de guitare qui reprend la partie de voix avant de s’en détacher vers la
fin. Cela introduit une tension dans le morceau, qu’il faut résoudre pour finir
l’album, ce qu’un dernier refrain réussit puisque tous les instruments sont
déjà présents et qu’il rétablit l’équilibre dans la mélodie que la guitare
avait subvertie.
Difficile alors de passer après un tel morceau, surtout
quand on est le morceau éponyme de l’album. Pharos s’ouvre avec des
bruits de synthé cristallins et des samples en résonance, une atmosphère
spatiale somme toute assez classique que l’on peut entendre chez de nombreux
groupes – pour ne citer qu’eux Naeramarth, Monolithe… Comme chez
ces mêmes groupes, le jeu sur les cymbales et le piano se marient bien avec
l’ambiance souhaitée puisqu’il s’agit de sons aigus et légers. Toutefois, cette
dimension est poussée au-delà des simples instruments, car la voix d’Ihsahn se
veut planante et cet effet est renforcé par son doublement légèrement décalé en
fin de phrase. On est alors surpris du retour à terre à 1:35 qui arrête les
résonances au profit de sons plus nets et aux temps bien marqués, ce qui cadre
assez sèchement la musique. On l’est encore plus par la suite qui devient plus
martiale encore, avec des chœurs graves répétant « Pharos » et des
percussions saturées sur des guitares qui sonnent comme des alarmes. On
constate donc un gouffre immense entre cette partie et les moments planants que
l’on retrouve à 2:29. On s’étonnera toutefois que la structure ne soit pas
inversée, allant du pesant vers le lumineux, comme le suppose la métaphore du
phare que l’on retrouve tant dans les paroles que dans l’artwork de l’album.
Par suite, Ihsahn nous propose deux reprises. Tout
d’abord Roads de Portishead, ce qui confirme les influences
électro de Ihsahn que l’on entendait dans la saturation de Pharos. Il
s’agit d’une musique très mélancolique, qui a un mixage relativement identique
à l’original puisqu’on retrouve les mêmes vibrations dans la guitare et la même
mélancolie dans le sample de pluie. La reprise est d’autant plus fidèle
qu’Ihsahn tient bien les notes aigues du morceau malgré sa voix plus grave, ce
qui n’est pas plus mal car ça rend le chant moins perçant que l’original. Mais
cet élément est un peu terni par la batterie, qui est trop mixée pour une
reprise d’un morceau de trip-hop où elle était plus matte. Puis en fin d’album,
nous avons une reprise de Manhattan Skyline de A-ha, dont on peut
dire les mêmes choses pour le chant, ce qui n’est pas mince affaire car Morten
Harket a une tessiture impressionnante. Sans doute est-ce pour ça qu’Ihsahn
a recouru à l’aide d’Einar Solberg de Leprous, en plus de pouvoir
doubler les voix quand il y en avait besoin.
Je me contenterai de ces quelques remarques factuelles sur
les reprises car elles ne m’intéressent pour ainsi dire pas. Pharos est
un album qui prend son sens dans la perspective historique d’Ihsahn, or il ne
s’agit pas de ses compositions, les reprises parlent donc plus sur ses goûts
personnels que sur son talent de compositeur. Toutefois, elles ne disent pas
rien sur Ihsahn pour autant. Roads montre que la mélancolie que l’on retrouve
dans le Black Metal n’a pas disparu, elle a seulement évolué. La rage
adolescente a fait place à des sons plus nets, urbains comparés à la
Transylvanie sauvage des débuts, que ce soit dans le son trip-hop ou dans la
modernité assumée de l’esthétique de A-ha. Cette leçon se retrouve dans
tout l’album, évidemment dans les musiques, ce dont j’ai tâché de rendre compte
tout au long de cette chronique, mais évidemment dans les autres éléments. Les
paroles de Losing Altitude sont ainsi un appel à se déprendre de la
mélancolie, qui est fondamentalement la complaisance du sujet dans son propre
mal-être et que l’on retrouve très souvent dans le Black Metal. On retrouve
ainsi des thèmes sombres et proches de ceux que l’on peut trouver dans le Black
Metal, à savoir la douleur, le sang, le deuil, mais ils ne sont évoqués que
pour être dépassés. Il ne s’agit pas de les ignorer ou de les faire
disparaître, mais de faire le deuil de ce qu’on n’a pas pu sauver. Cette
métaphore se retrouve évidemment dans le visuel de Pharos, qui
représente l’entente compliquée de tout ce que nous avons évoqué : la mer
sauvage avec une ville en fond et la lumière dure à atteindre mais repère
toujours présent.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.