Dynfari - Myrkurs er þörf

Dynfari - Myrkurs er þörf

Chroniques 18 Septembre 2020

Porté par un artwork du studio Metastazis qui évoque tant un flocon qu’un cristal, Myrkurs er þörf fait basculer Dynfari dans une dimension plus symbolique. Si la référence au à l’hiver est évidente pour un groupe islandais, le Black Metal qu’il produit sera-t-il aussi froid et tranchant que son design ?


Ce n’est pas ce que le premier morceau, Dauðans dimmu dagar, laisse entendre puisqu’il démarre sur des sons graves et tenus qui sont assez hypnotisants. La guitare et la basse sont légères et nous enveloppent d’un Post-Rock nocturne comme on en trouvait dans le morceau 1st Door: Sleep de leur album The Four Doors of the Mind. La batterie en cross-sticks accompagnés d’une ride légère confirme la volonté du groupe de faire une introduction en douceur grâce à une impression de flottement. Mais le morceau ne stagne pas pour autant : une levée de batterie vient démarrer les guitares saturées dont le son légèrement plus grave se démarque du son classique du Black Metal, les plaçant plus proches d’un son de Woods of Ypres, d’autant que le tempo est plutôt lent. Cette seconde partie inaugure donc le Black Metal de l’album sans sacrifier l’aspect planant pour autant, d’autant que la transition sur les toms confirme la volonté de développer une atmosphère nimbée par sa rondeur.

L’ancrage Black Metal du groupe se manifeste bien plus dans Langar nætur (í botnlausum spíralstiga) et ses guitares malsaines. Un hurlement fantomatique entame enfin le chant si charactéristique de Jóhann Örn, un moment attendu avec impatience tant le chanteur de Dynfari a une voix unique : très expressive sans être trop aiguë ou nasillarde pour autant. Malgré les guitares saturées qui développent le thème lyrique du morceau, un solo shred perçant tranche dès le début du morceau par sa technicité dans un groupe qui met plus l’accent sur la simplicité d’atmosphère. La construction de Langar nætur (í botnlausum spíralstiga) continue notamment dans cette lancée avec des passages de Black lents et plutôt déliés et des passages de guitare soliste. Cela permet au groupe d’avoir une atmosphère pesante tout en se permettant des envolées portées par la guitare soliste et la voix d’outre-tombe. Le chant paraît en effet distant car il semble toujours sous-mixé, distant, tout en étant parfaitement audible et en ayant beaucoup de relief grâce aux sonorités agressives de l’islandais.

Cette voix sert à merveille la dimension Depressive Suicidal Black Metal du groupe, ancrage que l’on retrouve énormément dans l’éponyme Myrkurs er þörf. Et ce dès son introduction avec les guitares trainantes et le chant qui alterne entre un chant Black et une voix gémissante. De plus, la construction du morceau est assez typique du genre avec des guitares qui se répondent dans des tonalités différentes, entrecoupées de passages de guitare et de basse semi-acoustiques comme on peut en entendre chez Psychonaut 4. Le morceau est donc tout à fait classique, ce qui est une bonne chose pour un morceau éponyme car je ne doute pas qu’il touchera les amateurs de DSBM, mais je regrette quelque peu que ce titre ne ressorte pas plus que ça de l’album sinon par son solo intermédiaire.

Continuant à mettre en valeur les cordes, Ég fálma gegnum tómið met en valeur la basse avec son introduction en légatos qui donne l’impression que l’album fond et sombre, ce qu’accentuent les guitares au son sursaturé. Tout est lourd et poisseux, la pesanteur existentielle nous envahit et le rythme lent et net marque l’implacabilité de ce sentiment. Cette moitié d’album inaugure ainsi la partie la plus sombre de Dynfari, et paradoxalement celle où le groupe met en avant ses meilleurs atouts : ses duos de guitares distinctes, l’une en accords longs et graves qui remplissent l’espace sonore tandis que les arpèges médiums de l’autre tissent la mélodie. Il y a aussi toute la diversité du groupe qui transparait avec des influences Shoegaze en fond mais aussi un passage parlé qui donne une autre dimension à la voix de Jóhann Örn. Ég fálma gegnum tómið est donc une belle réussite car il est très lourd à entendre, c’est un morceau rempli de sentiments maussades qui n’autorisent aucune lumière.

Svefnlag est alors paradoxal puisqu’il s’agit très clairement d’un morceau de Shoegaze, ce qui est très vite reconnaissable par ses samples clairs et aériens, sa guitare qui nappe l’espace sonore d’un trémolo picking très aigu et tranchant, tandis que la basse évolue longuement sur son manche en liant tous ses mouvements pour prêter sa chaleur. Certes, le morceau précédent avait des passages de Shoegaze en fond, mais Svefnlag est une rupture nette avec la première partie de l’album tant il semble calme et serein.

Si l’on s’attend donc à ce que Myrkurs er þörf prenne une teinte positive, c’est bien en vain puisque les premières notes de Ég tortímdi sjálfum mér retombent dans le DSBM avec un hurlement qui nous assomme comme celui du Gala des gens heureux de Gris. La ressemblance s’arrête pourtant ici car Dynfari a une dimension beaucoup moins symphonique que Gris. Ainsi, si le duo québécois recourt énormément au piano, nos Islandais lui préfèrent les notes de synthétiseur, ce qui crée un contraste car leurs sonorités apportent de la légèreté au morceau. Cette nouveauté n’est pourtant pas la seulle du titre puisqu’on y retrouve des patterns rythmiques intéressants comme un backbeat au fond des temps qui fait ressortir le phrasé des percussions et confirme que la simplicité apparente n’est qu’une façade mais que le groupe sait se satisfaire de ressorts musicaux simples mais efficaces pour ses compositions.

Ce n’est pourtant pas la simplicité qui marque le début de Peripheral Dreams puisque le morceau est long de dix minutes et qu’on y retrouve des blastbeats complets tenus à un rythme plutôt véloce. Réalisés avec les charlestons semi-ouverts et accompagnés de guitares Black, l’espace sonore dégueule mais le mixage du morceau rend ce passage totalement mat, sans résonnance, ce qui permet au chant de venir se placer sans être effacé. Cet avant-dernier morceau a beaucoup de similarités à la seconde partie d’Ecailles de Lune d’Alcest, que ce soit dans sa première partie à la batterie, dans ses guitares aux influences Shoegaze ou dans ses atmosphères d’introspections portées par un chant reconnaissable entre tous. Mais il s’agit là bien plus d’une comparaison que de réels points communs car Dynfari garde une spécificité islandaise tout au long de l’album qui l’empêche de ramener le groupe à la mode du Post-Black actuelle. Une fois l’introduction passée, Peripheral Dreams se ralentit dans des passages en ternaires lents et persévère dans sa la lenteur en faisant un léger changement de tempo au milieu du morceau. Ce hiatus inaugure la dernière partie du morceau avec une reprise du thème de l’introduction puis un passage avec un chant clair tenu qui accompagne la musique, s’en distingue à peine derrière la guitare mais lui confère un grain solennel qui est le bienvenu en cette fin d’album.

Car nous arrivons déjà sur la dernière piste avec Of Suicide and Redemption. Si l’on pensait avoir tout vu, c’est se tromper lourdement car notre dernier titre commence avec une basse en improvisation jazzy, avec des jeux à la pédale, ce qui n’est pas du tout raccord avec l’ambiance véhémente du Black qui arrive ensuite. La musique qui suit est effectivement beaucoup plus énergique, ne serait-ce que grâce un tempo plus rapide et un rythme plus fourni. Peut-être touche-t-on enfin la dimension engagée de l’album puisqu’il y a plus qu’une spiritualité personnelle mais aussi le témoignage politique de refus d’être un moyen subordonné à une fin. Le morceau alterne ainsi entre ces deux dimensions, spirituelles et revendicatives, ce qui lui permet le ternaire. Malgré un album très pessimiste, Of Suicide and Redemption semble alors remonter la pente avec ses « I will not play your suicidal games anymore » chuchotés, parlés puis hurlés, du chant Black aigü au growl Death. S’il parait donc paradoxal qu’un album si désespéré se close sur un tel morceau, c’est pourtant ce qui arrive, avec son envolée lyrique de fin portée par la voix virtuose de Jóhann Örn et sa fin en fade-out dont le coup de gong résonne en point d’orgue final.


Si la fin peut quelque peu décevoir car un album digne de ce nom ne mérite pas de fin en fade-out, l’ajout d’un gong confirme que ce n’est pas un choix de facilité mais la volonté de laisser la musique résonner. En effet, la musique de Dynfari est une musique d’ambiance : non qu’elle soit simplette, mais qui prend de l’espace et a besoin d’une écoute équilibrée pour révéler tous ses charmes. Car si les morceaux sont moins techniques que d’autres groupes de Black Metal, la sensibilité, elle, est bien présente et donnent à Dynfari la fragilité si précieuse du DSBM. Et tout cela est magnifiquement porté par les guitares et la voix de Jóhann Örn qui a une tessiture impressionnante sans jamais manquer d’authenticité. Si Myrkurs er þörf n’a rien de révolutionnaire pour autant, c’est un très bon album et un galon de plus dans la discographie de Dynfari.

A propos de Baptiste

Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.