Interview Bloody Tyrant - Français
Lors du Cernunnos Pagan Fest, j’ai eu l’occasion de discuter
avec le groupe taiwanais Bloody Tyrant. Malgré les mauvaises conditions
d’interview, ça a été très intéressant et je suis certain que vous apprendrez
des choses en la lisant !
Pour plus de fidélité, vous pouvez lire l'interview dans la langue originale (anglais) ici: Interview Bloody Tyrant - English
Radio Metal Sound : Tout d’abord, j’ai lu une
interview dans laquelle vous disiez qu’à vos débuts, vous faisiez du
« True Black Metal » tandis que maintenant c’est toujours du Black
Metal mais avec des agrémentations atmosphériques et traditionnelles donc
j’aimerais savoir comment vous avez pris ce tournant.
Bloody Tyrant : Un jour, je me suis dit que je
voulais ajouter quelque chose de spécial, quelque chose de plus natif à notre
Black Metal. Quand j’ai commencé à apprendre la musique, j’ai appris la musique
traditionnelle chinoise comme la musique taiwanaise en est beaucoup influencée,
donc j’ai ajouté un instrument que l’on appelle pipa dans notre album. Et comme
nous sommes des nerds de musique qui pratiquons nos instruments et de la
musique assistée par ordinateur tous les jours, nous avons ajouté plusieurs
pistes et nous voilà arrivés là.
Radio Metal Sound : Vous venez de parler de la
musique taiwanaise et c’est votre spécificité comme groupe mais c’est aussi
votre identité culturelle. Ça rejoint une autre question qui est de savoir s’il
y a de la politique dans vos chansons
Bloody Tyrant : Taiwan a une situation spéciale…
Si tu prends ton iPhone et que tu tapes Taiwan, le drapeau n’est pas le bon,
l’emoji est celui de la République de Chine. Tous les groupes taiwanais
essayent d’exprimer ce concept d’indépendance taiwanaise.
Dans nos premiers albums, on peut trouver notre engagement politique,
particulièrement dans nos paroles – qui ont été écrites en mandarin mais que
quelqu’un a traduites en anglais, on peut les trouver sur internet. Il y a
beaucoup de messages politiques dans nos paroles. Comme nous venons de le dire,
la situation politique de Taiwan est très compliquée et notre rapport avec la
Chine est tendu à cause de problèmes historiques et politiques. La Chine a
toujours revendiqué Taiwan comme une partie de son territoire mais c’est
étrange car nous avons notre propre gouvernement, notre propre terre, notre
propre armée, notre propre peuple, notre propre système électoral… Pourquoi en
ferions-nous donc partie ? Lors de cette tournée européenne, nous
essaierons de donner le bon message aux gens, peu importe d’où ils
viennent : nous sommes de Taiwan et c’est un pays indépendant.
Quelque chose d’intéressant avec nos passeports est qu’il n’y est pas mis
« Taiwan » mais « République de Chine ». C’est une erreur
parce que l’ancienne armée chinoise a perdu une guerre et s’est retirée à
Taiwan. Désormais, la première chose que fait la République de Chine est tirer
sur les Taiwanais. Beaucoup de Taiwanais essayent de corriger ça, essayent de
dire « nous ne sommes pas dans la République de Chine, nous sommes
Taiwan ».
Pendant la guerre, il y avait la République de Chine et la République populaire
de Chine (PRC) et même si la République de Chine a perdu, elle prétend être la
vraie Chine tandis que l’autre aussi. Donc quelle est la vraie Chine ?
Dans les années 50, notre président a décidé de nous sortir des Nations unies.
Il l’a fait parce que la PRC voulait rentrer dans l’ONU et qu’il a dit
« Si elle rentre, on sort », c’est pour ça que la République de Chine
est considérée comme la vraie Chine dans la société de nos jours.
En tant que Taiwanais, nous avons notre propre culture, notre propre langage –
bien qu’il ait son origine dans le mandarin – donc nous devrions être
indépendants. D’autant que pendant la Deuxième Guerre mondiale, le Japon a
envahi Taiwan mais quand le Japon a été vaincu, il s’est retiré. Taiwan a alors
eu 50 jours sans gouvernement et était indépendant, mais avant que Taiwan
revendique cette indépendance, le KMT (Kouo-Min-Tang, Parti Nationaliste
chinois) est venu et a massacré tout le monde. Ils ont mis en place des lois
martiales pendant 40 ans et la culture a disparu car des grands Taiwanais ont
été tués. Ça a beaucoup influencé la scène taiwanaise et toutes les
sous-cultures en sont marquées
RMS : Est-ce que ça veut dire que l’esprit
rebelle dans votre Black Metal vient de là ?
BT : Oui, exactement !
RMS : Maintenant que nous avons vu l’aspect
politique, j’aimerais que nous entamions la question de la composition et plus
particulièrement des paroles. Vous avez beaucoup écrit sur la mythologie mais
j’ai l’impression que cette tendance a diminué dans votre dernier album en
faveur d’une approche historique sur la question des valeurs. Est-ce bien le
cas ?
BT : Taiwan a une relation proche avec le Japon
et Hakagure a été un tournant radical pour nous car c’est totalement un
album de Folk Metal. Je suis fan de la culture japonaise donc j’ai décidé
d’écrire quelque chose sur le concept de mort chez les samouraïs parce que
Taiwan a toujours une relation proche avec le Japon comme c’était une province
japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale.
RMS : Pour continuer sur la mythologie, comment
avez-vous reçu la mythologie européenne à l’époque et comment essayez-vous
d’incorporer la vôtre dans votre musique ?
BT : Pour notre prochain album, nous avons
collecté beaucoup de mythologie taiwanaise (chez nos indigènes…) puis nous
allons composer. En tant qu’Européens, vous pouvez entendre votre mythologie
quand vous êtes petits, c’est peut-être même votre conte du soir, mais à Taiwan
ça n’existe pas. Il y a une mythologie taiwanaise mais les gens ne la connaissent
pas car le KMT a détruit notre culture locale. Ça devrait être le conte du soir
de chaque enfant, comme chez vous ! Nous espérons faire passer ce message
aux Taiwanais, nous avons notre propre mythologie qui vient de nos ancêtres et
qui n’est pas ce que dit le KMT.
RMS : Une dernière question : qu’est-ce que
vous prévoyez pour le futur de Bloody Tyrant ? Vous avez parlé d’un
prochain album, y a-t-il quelque chose de plus ?
BT : Nous essayons de ne pas poursuivre quelque
chose, on fait seulement ce qu’on aime. Beaucoup de groupes de Metal taiwanais
sont morts et on pense que c’est parce qu’ils visaient quelque chose. La scène
Metal de Taiwan est horrible, il y a moins de 20 groupes donc en concert on a
genre 20 personnes et ça a terni la passion de certains groupes. Nous pensons
que nous pouvons continuer ce que nous faisons parce que nous n’avons pas de
but précis, on fait ça parce qu’on aime faire de la musique, on fait juste ce
qu’on aime
RMS : Mais si la scène de Taiwan est petite,
n’êtes-vous pas une sorte d’exception avec cette tournée européenne ?
BT : Non, pas vraiment
RMS : Alors comment expliquez-vous cette
popularité de la scène taiwanaise en-dehors du pays ?
BT : C’est notre première fois ici donc on ne
savait pas à quoi s’attendre. Nous avons eu deux concerts en tête d’affiche
lors de cette tournée européenne et comme on n’est plutôt pas connu en Europe,
on pensait que ce serait mauvais mais finalement pas du tout, c’est bien au-delà
de nos attentes ! On n’arrive donc pas à répondre à cette question du
succès !
Un grand merci à eux et bien du courage pour faire passer
leur message, d’autant que le Black Metal est peu ouvert à ce genre de
revendications !
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.