Yurodivy - Tell me when the party's over
Chroniques
23 Juillet 2020
Derrière la pochette aux couleurs pastel, se cache une
réalité plus terne. Trois corps flottent, portés par des drones et le point de
vue nous laisse présager que nous sommes le quatrième. Sous les nuages et la voûte
d’azur, les silhouettes de monstres d’acier et de béton menacent le ciel de
leurs formes tranchantes. La modernité se dévoile dans son obscurité et Yurodivy
tâche d’en témoigner avec Tell me when the party’s over.
D’entrée de jeu, Parasite nous met dans le Hardcore
avec une introduction dans un style assez classique mais bien produit, qui
laisse la part belle aux percussions et à la basse. On comprend vite que Yurodivy
n’est pas du genre à se répéter : malgré la similarité des riffs, des
variations dans les rythmes préviennent toute lassitude. On s’ennuie d’autant
moins que les plans sont toujours courts, ce qui fait qu’ils s’enchaînent
rapidement sans retomber. Tandis que le mixage est très bien réalisé puisqu’il
dispose d’un son très équilibré, puissant sans qu’aucun instrument n’en couvre
un autre, le passage au larsen nous fait clairement comprendre que le chant est
un élément majeur de Yurodivy. La voix se distingue par son timbre aigu
et criard, endolori, tandis que son accord avec les larsens rappelle les
sirènes dont la colorature envoûtante nous incite à plonger tout au fond.
Rien d’étonnant alors à ce que Four Drones nous
renvoie à ces cadavres suicidés présents sur la pochette. Son ouverture est
compliquée à cerner car il semble s’agir d’une signature en 7/8 mais la levée
et la vitesse d’exécution brouillent les pistes. Yurodivy montre ainsi
que le groupe ne se contente pas d’un Hardcore bien exécuté mais qu’il tâche
d’y incorporer des éléments plus techniques et expérimentaux. Cet alliage entre
le conventionnel et l’excentricité est d’ailleurs au cœur du groupe, comme en
témoigne l’enchaînement de passages plus orthodoxes par la suite. Toujours dans
cette composition aigre-douce, Yurodivy se sert de bruits électroniques
parasites – qu’il s’agisse de larsens ou de grésillements – pour couvrir
totalement une partie du morceau mais a juste après recours à des instruments
dits « classiques » comme le violoncelle ou le violon pour clore ce
deuxième morceau.
La basse saccadée de Citizen dénote donc des légatos
de fin de Four Drones. Une fois de plus, on entend l’amour de Yurodivy
pour les rythmes peu conventionnels, mais on découvre surtout une guitare peu
saturée qui est légèrement présente mais qui tisse ses arpèges et fait office
de ligne mélodique avant que les riffs Hardcore n’entrent en scène. Cette
entrée en scène sera officialisée par un solo de basse qui fait office de pont
entre l’introduction et le cœur du morceau tout en conservant toute l’énergie
accumulée. Il y a donc bien un solo, mais pas de rupture pour autant, ce qui
permet à tous les instruments de repartir par la suite vers un crescendo
culminant sur trois accents massifs joués d’un seul homme. Mais s’il s’agit là
de la fin du crescendo, l’apogée du morceau est quant à elle juste après, dans
la multiplication des chants et la présence de tous les instruments dans une
ligne cohérente et unique – ce qui n’est pas aussi commun qu’on voudrait le
croire –, ce qui confère non seulement de la puissance à ce passage, mais aussi
de la solennité en cette fin de morceau.
Where the dogs never sleep pourrait alors paraître trop
calme par rapport à ses prédécesseurs. Avec son intro’ à la guitare qui
pourrait presque rappeler Green Day, on découvre un morceau plus
traditionnel où malgré la tendance du groupe à superposer des sons étouffés et
d’autres explosifs, le titre se tient à une structure principale, préparée avec
la guitare en fond et quelques samples qui confirment la thématique
industrialo-apocalyptique du groupe.
D’un morceau plus traditionnel, nous arrivons jusqu’à un
morceau calme. Les chœurs d’Achievement tonnent comme dans les limbes et
les résonances sans aucun repère rythmique donnent un côté aérien à
l’introduction. Parce qu’il est plus sombre sans doute, ce morceau est moins
engagé que les précédents et a quitté son habit bariolé pour la basse et le
chant noirs de jais. Le chant à la limite de la justesse et les discrets bruits
de bouche font croire à une certaine nonchalance mais ceux-ci sont clos par un
Hardcore lent au ternaire bien marqué qui impose la rigueur de ses croches.
D’abord pesante, la composition prend de l’ampleur lorsque la batterie démarre
un rythme sur les toms qui accélère grandement le jeu : on sent que
quelque chose de sérieux arrive. Ce morceau de sept minutes n’est donc pas
qu’une ballade, sa fin chaotique et sa rythmique bien marqué confirment son
évolution en triangle inversé : d’un chant lent et solitaire, nous passons
à l’émergence de hurlements révolutionnaires. Et comme la révolution ne se fait
jamais seul, les autres musiciens ont également des parties qui témoignent de
leur dextérité, Yurodivy sonne alors comme une masse turbulente qui
érupte sa verve.
On s’étonnera alors de trouver Love sur son chemin
tant l’album ne se prête pour l’instant pas aux bons sentiments. Pour passer
après le protéiforme Achievement, le collectif strasbourgeois a choisi
un morceau qui garde ce son Hardcore agressif tout en calmant le jeu avec une
composition beaucoup plus linéaire, de quoi nous remettre sur les rails pour
cette seconde partie d’album
Mais la nuit d’In the end of the night n’est
certainement pas une nuit d’amour, mais une nuit d’errance, dont la fatigue se
ressent dans son rythme lent. Même lorsqu’on pense que le morceau va s’élancer
pour de bon après un crescendo à la guitare et aux toms, rien ne se passe et on
arrive sur un passage comme vide où les cordes et les cymbales résonnent. Seule
la voix claire se fait entendre sans écho, parfois lointaine, et souvent
contenue malgré quelques éclats de violence. On retrouve alors les tendances
dépressives de Yurodivy, conservées précieusement dans ces capsules
ternaires et ce chant émotif. L’austérité d’alors se voit alors brisée par
l’arrivée de chœurs masculins proches du chant grégorien par-dessus le riff
Hardcore, combinaison qui émane un charisme indéniable et qui confirme que Yurodivy
ne cherche pas qu’à se lamenter : avant toute chose, sa position est celle
de l’ermite revenu parmi les hommes pour leur montrer leurs tares.
Pourtant, c’est bien vers cette dimension austère et
déprimée où nous renvoie Algorithm et son piano sur des bruits de pluie.
Ses accords parfois dissonants viennent nous hanter et la voix se fait
fantomatique, de plus en plus couverte par les violons. Tandis que les coups de
crash annoncent Don’t define me as a pessimist. Comme l’indique son
titre, il s’agit bien d’une rupture avec l’idée d’un un Yurodivy
déprimant. Avec son 7/8 et ses guitares saccadées, le morceau a un état
d’esprit tout autre qu’avant. Malgré seulement deux minutes, Don’t define me
as a pessimist réussit sa fonction de rupture avec les ambiances grisâtres
grâce à une musique poignante et même un solo de guitare guilleret qui
surprendra ceux qui pensaient avoir tout entendu de Yurodivy.
Bad Habits est également un morceau étonnant, non
seulement car c’est un partenariat avec le trio de Heavy Blues Dirty Deep
mais aussi par sa composition, plus carrée et Rock N’Roll. Malgré des larsens
et des guitares typées Hardcore, la double-pédale d’introduction et les chœurs
masculins pourraient aller jusqu’à nous rappeler Motörhead. Enfin, là où
le chant était auparavant haut-perché, Bad Habits développe un chant
plus grave qui colle bien aux influences Heavy Blues du morceau, d’autant que
les guitares elles-mêmes s’allient à un son plus grave qui en fait un véritable
mur sonore.
Pour finir, Black cages reprend tout ce qui fait que Yurodivy
est un excellent groupe. L’introduction se fait sur des guitares étouffées et
une voix suave qui témoignent des capacités du groupe à faire des mélodies
sobres et maussades. La basse vient seulement poser ses notes graves tandis que
la batterie est très légère avec un petit rythme en double-croches sur le
cerclage des toms qui donne un côté plus sec à ce début de morceau. Mais malgré
ce calme, huit accents pilonnent la musique et nous préparent à une reprise
Hardcore virulente. On retrouve alors le Yurodivy enragé, capable de
compositions complexes mais efficaces. Le morceau évolue ainsi dans ces eaux
troubles, entre un Hardcore lourd et des passages flâneurs, sans jamais
accoster une rive précise.
Ainsi – malgré sa fin en fade-out que je regrette au vu des
prouesses de composition du groupe –, Tell me when the party’s over est
un album de haut-vol qui témoigne d’un travail remarquable. Là où le Hardcore a
tendance à m’ennuyer, Yurodivy sait le tordre et le varier pour n’en
garder que la puissance et plonge ses racines dans des influences diverses et
n’a pas à pâlir devant The Dillinger Escape Plan – ce qui n’est pas
mince affaire. Des paroles engagées aux introspections désespérées, Yurodivy
témoigne de la vie industrielle mutilée et de la situation complexe de
l’individu en quête d’un accomplissement.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.