Maquerelle - Siffler l'indifférence
One-man band progressif (si ce mot a seulement une
signification), Maquerelle m’a d’abord attiré par la pochette lumineuse
et sobre de Siffler l’indifférence. Si la sobriété n’est pas courante
dans la Noise, ce sera pourtant le maître mot de cet album dont je ne dis pas
plus – pas parce que je ne veux pas, mais parce que je ne saurais le
synthétiser tant il dépasse ce qu’on attend de la musique.
Les premières secondes de l’album sont une sorte de Noise
chaotique mêlant beaucoup d’instruments, des cris, un mélange de violon et de
ce qui semble être une doulcemelle. Les auditeurs les plus téméraires évincés, Toute
sortie revêt son autre masque avec des harmoniques légères et des sons
flottants. Tout en gardant son identité Noise avec des sons surexposés, la
musique est paradoxalement très douce, et c’est toute l’ambigüité de Maquerelle.
On entend quelques chants qui participent à l’atmosphère légère du morceau mais
celui-ci prend réellement de l’ampleur lorsque le chant et les accents se
lancent dans leur valse ternaire. La basse et les guitares sont au cœur de la
musique et leurs sons distordus brouillent les pistes, perdent les fragments
musicaux, nimbent la musique autant qu’elles la créent. On ne peut alors plus
se soutenir que sur les accents pour tâtonner notre chemin. Nous sommes ainsi
soumis aux aléas de la musique, à ses structures changeantes et il nous faut prêter
attention à tout pour discerner les embuches sur notre chemin : les voix
qui se cachent derrière le chant guttural, la batterie au son mat, les
chuchotements lointains dans ce brouhaha… Maquerelle exige donc une
écoute fine et est un projet bien plus doux qu’on pourrait le croire. Si le
bourdonnement quasi permanent remplit l’espace sonore, le mixage semble tout
reléguer en arrière-plan, nous présentant tour à tour ses favoris. Toute
sortie est cryptique, il ne cherche pas à lever une armée ou à cracher son
fiel, il reste dans son intériorité bizarre. Ces premières minutes d’album sont
les complexions étouffées dans un crâne et laissent précisément l’arrière-goût
d’une musique cérébrale. Pourtant, le rire de fin semble témoigner d’une
musique qui ne se prend pas tant au sérieux que ça, comme en témoignent les
paroles qui font du cynisme sur les lieux de soirée, des jeux de mots qui cachent une critique de la société.
Prenons une grande respiration pour plonger dans Des fées,
dont le titre fantastique contraste avec l’atmosphère urbaine. Des coups de
hi-hats discrets aux chuchotements, en passant par les coups de grosse-caisse
espacés, la musique commence très doucement pour gagner peu à peu en ampleur en
multipliant ses accompagnements, que ce soit à la guitare, avec une voix plus
présente ou en accélérant son rythme. Des fées se déploie par vagues,
entre le minimalisme de ses passages et ses répétitions entêtantes et des
moments d’euphorie dans ses envolées où la musique quitte son aspect décousu
pour réaliser une harmonie. Les paroles elles-mêmes représentent ce contraste
entre le dionysiaque et l’apollinien, entre l’euphorie chaotique et l’ordre,
entre ses moments graves et ses paroles nonchalantes : « flip,
flop… ». La batterie elle-même, pourtant instrument structurel par
excellence, prend cette attitude : certains coups semblent tomber au
hasard et sont espacés de respirations. La seule structure que nous trouvons
est celle de fin de morceau, comme un Disco tribal mal-capté, la basse et la
batterie groovent tandis que des grésillements de fréquence et des samples
industriels semblent la laisser tourner à vide.
Dans la continuation de cette atmosphère désoeuvrée, L’homme
de bois est une musique ivre, comme en témoignent les paroles bafouillées
du début. Loin de l’ambiance de fête, les croches à la basse donnent une
atmosphère sérieuse et la voix feutrée la confirme. Contrairement aux morceaux
précédents, Maquerelle porte une atmosphère simple qui nous permet de
profiter de son lyrisme.
Le milieu de morceau réalise une scission en invitant des samples distordus et
hurlants qui nous rapprochent de la Noise. Si la musique reste la même, les
guitares prennent de l’ampleur et se font plus pressantes, plus inquiétantes
alors que la voix du début revient nous aborder. Puis la fin qui reprend les
croches du début, qu’on ne semble jamais avoir quittées, pour se taire dans un
morceau paradoxalement très sobre.
L’errance ivre nous mène dans L’avenue. Comme une
sortie de boite au son trop fort, un instrument à vent distordu sonne en
acouphène. Nous reprenons nos esprits et avançons dans la rue. Les gens croisés
sifflotent et leur son s’éloigne à mesure qu’on court – comme en témoignent les
halètements. Le sens unique de l’avenue est aussi celui de la vie et cela
explique la répétition incessante des rythmes qui ne varient pas d’un iota. Les
paroles accentuent aussi cette dimension en mettant l’accent sur la
temporalité : « minutes » et « secondes »,
viennent nous presser. L’ambiance est plutôt calme et des décompositions
asymétriques en groupes de 3-3-2 croches donneraient presque un côté dansant au
morceau, jusqu’à sa troisième minute où tout se remplit soudainement de
guitares saturées et de gueulements absurdes. Remplie de travailleurs
pendulaires, l’avenue se remplit et se vide régulièrement et l’alternance du
morceau entre des passages denses et d’autres vides le représente et accentuent
cette absurdité.
Pour dernier morceau, Petit plongeur se présente avec
un titre léger et sans prétention. Pourtant loin d’une comptine – même Frère
Jacques –, des sons de cloches percent dans une atmosphère brumeuse. Seule la
voix saturée derrière son micro annonce le départ, comme dans une gare de
campagne isolée. Hélas, ce départ se fait dans l’absurdité une fois de
plus : toute la musique est proche d’un voyage dans le rien. Les grésillements
occupent la majeure partie de l’espace sonore et la musique est un voyage dans
un bruit blanc. Quelques instruments se glissent parfois dans les interstices
du son, mais Petit plongeur reste très vide. Chuchotées, les paroles
font preuve d’une prose douce-amère et contrastent avec les samples
désagréables. Enfin, le morceau se clôt sur une ultime mise en abyme en
répétant mécaniquement ce qu’il reste : « plus rien du tout ».
Difficile de tirer une conclusion sur Siffler
l’indifférence tant Maquerelle est une musique en flou, qui ne se
fixe jamais. Les compositions sont des découpages informes dans des matériaux
musicaux divers. Je ne sais pas si je saurais en juger objectivement tant la
musique échappe aux critères musicaux habituels – ce qui n’est pas plus mal –
mais ne laisse pas distinguer les siens. En n’hésitant pas à abuser des
répétitions, Maquerelle brouille toutes les pistes, tant musicales que
textuelles et les creux de cette musique parfois dépouillée de rythme et de
notes la rendent très flottante. L’abus d’effets musicaux et de samples la
rendent aussi très volatile et on passe par tout un nuancier de sentiments en
l’écoutant. Siffler l’indifférence semble être une musique cérébrale qui
serait trahie d’en parler. Elle ne fait jamais sens et témoigne de l’absurde de
la vie. Ce n’est pas une musique lyrique qui gagnerait sa cohérence dans ses
développements, c’est une musique brisée et dure à écouter.
Mais qu’on ne s’y méprenne surtout pas : cet album est excellent.
Seulement, il m’est impossible à l’expliquer. Ses 41 minutes sont un voyage
dans une intériorité vide, une expérience de pensée à part entière qui vient
nous hanter. Et si les compositions de Maquerelle sont très hermétiques
au premier abord, celui qui sait leur donner du temps et de l’attention saura savourer
leur subtilité. Siffler l’indifférence est paradoxalement très conscient
et son minimalisme dégage une pleine puissance.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.