Asthénie - Melancholia
Sorti il y a un peu plus d’un an, Melancholia est le
premier album du nouveau line-up d’Asthénie, anciennement Nyhill.
Le quatuor strasbourgeois semble s’être défait de ses influences Death pour se
rapprocher d’un Black Metal plus moderne, ce dont témoigne la pochette qui
quitte le romantisme d’un Gustave Doré au profit d’une création originale.
D’emblée, l’intro lente et grésillante d’Into Nothingness
montre les influences Hardcore du groupe. Afin de conférer au morceau l’ambiance
dépressive dont témoignent les paroles, les guitares sont très peu présentes et
préfèrent résonner longuement tandis que des coups de toms rappelleraient un
Doom à la Altars of Grief. Pourtant, le Black Metal est bien là et
érupte avec le tremolo picking et les blastbeats dont les sons sont
particulièrement tranchants. Quant à la voix, elle semble concilier ces deux
pôles par son mélange du chant crié du Hardcore et son timbre légèrement saturé
propre au Black Metal sans sonner comme du growl. Toujours dans la dualité, la
troisième minute apporte la tendance « Atmospheric » avec une
alliance des guitares au son clair et de celle au son saturé, couplé à beaucoup
de réverbération, c’est un standard du Black Atmo’. Ceux-ci ne sont néanmoins pas
toujours respectés, ainsi si l’on s’attend à ce que le morceau reprenne de plus
belle, il s’adoucit encore plus avec l’arrivée d’un violon et le passage de la
cymbale ride aux hi-hats en batterie, ce qui absorbe encore plus les coups. Le
retour au Black Metal se fera bien, mais d’une manière un peu trop abrupte
néanmoins. Sans aucune transition, l’explosion saturée et le passage d’un
ternaire marqué au binaire pourraient surprendre un auditeur en dilettante.
Pour les blackeux les plus rôdés, ce passage saura au contraire trouver ses
lettres de noblesse puisqu’on y trouve tous les éléments du Black avec un
mixage qui permet de distinguer tous les instruments mais qui n’est pas trop
lisse pour autant. Après une telle évolution de morceau, on s’attend à en voir
la fin, d’autant que le ralentissement et le fade-out vont dans ce sens. Ce
n’est cependant pas le cas, on retombe dans une dernière partie lente et
semblable au début du morceau. Il ne s’agit pourtant pas d’un fac-similé, non
seulement le développement est différent mais il y a un ajout de quelques notes
de synthétiseur qui agrémentent la mélodie qui serait autrement un peu sèche, les
guitares ayant des notes assez brèves qui remplissent peu l’espace sonore.
A contrario, Atrabilaire est un morceau plutôt
linéaire et court avec à peine plus d’une minute au compteur. Son ouverture
avec des guitares et de la réverb’ – b e a u c o u p de réverb’ – en font un
interlude là encore très classique pour un album de Black Atmo’, bien que la
batterie se démarque de la sobriété du morceau avec ses breaks, ses ras à la
double pédale, et d’autres agréments qui lui confèrent un rôle fourni malgré le
rôle transitionnel du morceau.
Si le son d’Atrabilaire retrouve celui d’Into
Nothingness et y aurait fait un bon prélude, c’est néanmoins une transition
réussie pour Abyssale. Si les membres d’Asthénie ont déjà montré
qu’ils savaient faire du Black Atmo’, ce morceau ci vient prouver en
contrepoint qu’ils ne sont pas contraints à ça. Beaucoup de décalages font d’Abyssale
un morceau spécifique, qu’il s’agisse de sa tendance Black dense par-dessus
laquelle s’ajoute un larsen HxC, un passage aux influences Thrash ou même un
solo de guitare à tendances Prog’. Malgré ces différences, ce morceau confirme
pourtant l’identité d’Asthénie avec un Black plutôt présent dans la
rythmique et le chant, chant qui prend d’autant plus de puissance avec le
passage au français qui le rend plus compréhensible donc appréciable.
C’est d’ailleurs en ce milieu d’album qu’Asthénie
réussit le mieux à marier ses tendances. Les premières notes du Mort
marchant sonnent ainsi comme le passage de la troisième minute d’Into
Nothingness mais sa pauvreté est corrigée avec la basse qui vient apporter
la rondeur de ses notes. Outre la musique, là où les paroles étaient plutôt clichées
jusqu’alors, celles du Mort marchant se distinguent par leur évocation
de l’homme à la troisième personne et sans métaphores, ce qui change des
poncifs néoromantiques que l’on entend habituellement dans le Black. Quant à la
rythmique, sa grosse caisse syncopée donne une dimension claudicante à la
musique et représente en cela la démarche chancelante du protagoniste mais
prépare également à un passage presque Djent avec du palm mute et des dissonances.
Si ce moment peut sembler étonnant dans un groupe de Black Atmo’, il ne sert
pas qu’à se faire entendre mais tisse aussi une cohérence avec la mélodie à
deux voix aigues des guitares dont l’envolée stridente se rapproche de celles
des dissonances. Le Mort marchant est à mes yeux la meilleure composition
de cette première partie de Melancholia et je regrette pour cela sa fin en
fade-out qui ne sonne pas assez et qui rompt le morceau trop vite – tandis que
la musique contemporaine à au contraire tendance à les faire trop durer.
Sur ses pas, 280917 effectue un tournant avec sa
levée à la basse très agréable car elle nous tire vers le haut et nous mène
vers un Blackgaze étonnamment lumineux pour des paroles aussi sépulcrales. Ce
contraste se perpétue dans la voix agressive qui transperce la musique par
couplets de deux lignes qui font qu’il y a beaucoup de respirations qui
laissent la musique s’étendre. Du moins jusqu’à la deuxième minute où le Black
Atmo’ revient dans un style auquel nous sommes désormais habitués. Il y a tout
de même des différences avec les autres passages doucereux, notamment que les
guitares jouent moins des arpèges décomposés mais font des légatos qui
reprennent l’aspect flottant de la chanson inauguré dès sa première note. A
l’orée de la sixième minute, la reprise Black est également intéressante – bien
que je ne sois pas sûr que les coups de cymbale china aient été nécessaires –
car elle se fait avec un son aigu et froid, comme on peut en entendre dans la
scène québécoise – et qu’un solo shred y fait son apparition, solo de guitare
qui tombe d’autant mieux qu’on en retrouve des tendances dans la reprise Black
Atmo’ qui reprend sa lancée jusqu’à clore le morceau.
Le dernier tiers de l’album se prépare avec un second
interlude, Eveil, qui allie guitare et piano sur un peu moins de trois
minutes. Si la guitare est plus légère, il suit tout de même un développement
similaire à Atrabilaire, bien que la batterie y ait cette fois-ci une
partie discrète d’accompagnement.
Avant-dernier morceau de l’album, Refuge démarre avec
une introduction aux relents Death mélodique, ce qui est paradoxal car son
chant est plus Black que jamais – ce que j’apprécie particulièrement. Je
regrette cependant que les guitares n’aient pas suivi cette voie car les
mélodies suraiguës manquent de lyrisme et leurs sons saccadés s’essoufflent
trop vite. Le morceau reste tout de même appréciable, notamment lorsque le
chant et la batterie viennent plaquer un fond dense derrière les guitares
tranchantes, ce qui permet d’éviter que la guitare aiguë semble trop seule. A
raison de plus dans la dernière partie où les guitares jouent des mélodies
plutôt aspirantes tandis que la basse saturée résonne en espèce de bourdon qui
nous attire par sa gravité.
C’est dans cet entre-deux que se situe Onirisme, dont
l’introduction fait honneur au titre par sa légèreté. Ce début de morceau
marque un très bon point grâce à la légèreté des guitares par-dessus lesquelles
les toms prennent une dimension rituelle. Cela laisse aussi bien entendre le
chant, légèrement sous-mixé pour sembler distant, ce qui est une bonne idée.
Ainsi, malgré ses paroles délétères, Onirisme représente bien le
déchirement de l’être avec sa dualité entre douleur dans son riff dissonant et
apaisement avec sa sobriété flottante. C’est d’ailleurs dans cet entre-deux que
va se construire la musique, en retournant à un passage instrumental accompagné
d’un crescendo à la batterie très agréable et prophète de la reprise à venir.
Si cette transition est réussie, il ne faut pas la limiter à cela : c’est
dommage de devoir attendre la fin d’album pour entendre une transition qui ne
laisse jamais soupçonner une « addition » de structure mais qui
permet par sa fluidité d’allier deux passages bien différents. Sa fluidité est
d’ailleurs ce qui permet à Asthénie de développer sa musique sur la base
de variations d’un riff à la guitare et à la batterie en back beat amélioré
malgré la simplicité de ces lignes. Le morceau reprend ensuite lentement,
notamment avec une belle ligne de basse malheureusement trop en retrait et des
guitares se déployant par vagues jusqu’à perdre en chemin la batterie, le
chant puis la basse. C’est là encore un ressort classique mais efficace pour
faire une fin d’album pas trop agressive mais qui garde néanmoins l’identité
sonore du groupe, ce qu’Asthénie réussit d’autant mieux que la résonance
finale est accompagnée d’un larsen qui retrouve le début de Melancholia
et confirme l’alliance Black-Hardcore.
Melancholia se présente donc comme un bon album à
cheval entre le Black Atmo’ et le Hardcore. Certaines compositions sortent
particulièrement du lot, notamment quand le groupe ajoute un élément au-delà de
notre horizon d’attente, mais l’ensemble de l’album est plutôt homogène et Asthénie
garde sa cohérence de bout en bout. Le principal frein à cette cohérence est
néanmoins l’absence de transitions entre certains passages, trop souvent
réduites à des amorces à la batterie, ce qui n’est pas tant la
« faute » du batteur que la responsabilité de l’entièreté du groupe.
Outre cela et les paroles parfois bateau, Asthénie se gratifie d’un bon
album qui distingue le groupe en le faisant passer à l’échelon supérieur. Tout
en gardant une marge de progression inévitable lors d’un « premier »
album (An Endless Beggining étant à cheval entre l’EP et l’album à mes
yeux), le groupe a su montrer son sérieux sur tous les points, tant musicaux
que graphiques.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.