Entheos - Continent
Les terres de Jacques Cartier sont toujours pleines de
promesses. Après les mystiques Ototeman et Zahir, le quatuor
québécois d’Entheos revient avec Continent. Dans un écrin rouge
sang et une illustration de danse macabre, le groupe semble plus que jamais
dans une esthétique Black Metal. Pourtant, si la musique reste sombre, c’est
probablement l’album de cette discographie qui joue le plus avec les frontières
tant internes qu’externes du Metal extrême.
Il est difficile de rendre compte de toutes les confluences
de l’album car il ne comporte que deux morceaux, dont celui que voici : Hadal.
Nommé d’après les fosses profondes des océans, la pression de l’eau explique
sans doute l’introduction au son Hardcore lourd dans son larsen, sa batterie au
son mat et ses gueulements masculins. On est déjà bien loin des côtes du Black
Metal des albums précédents, bien qu’on en retrouve l’élément le plus
caractéristique avec les guitares hallucinées qui transpercent les compositions
de leurs trémolos. Ce n’est qu’aux alentours de la troisième minute que l’on
retrouve des éléments axés Black Metal avec des blastbeats et un chant massif
venu du fond de la gorge. Nous nous trouvons alors à cheval entre les royaumes
d’Hadès et de Poséidon. Si le dieu des enfers se manifeste dans le chant, les motifs
récurrents des guitares donnent une impression de flottement ; tout comme
la structure qui change sans cesse et contraste avec le son monolithique du
Hardcore. Cette dualité se ressent également dans les paroles qui sont proches
d’une prose rimbaldienne qui mélange les sens pour évoquer l’oscillation entre
l’idylle et la corruption qui rôde. Hadal est donc une composition changeante,
difficile à cerner et qui demande beaucoup d’attention de la part de l’auditeur
pour saisir ses nuances et sa complexité. On s’étonnera alors de trouver un
passage martelé à la noire à la cinquième minute qui témoigne d’un
bouillonnement devenu spasmes d’exténuation. Abattu par la fatigue, le titre ne
peut plus continuer qu’avec un passage plus reposant. S’ensuivent alors des
notes répétées avec de la réverbération qui closent le morceau calmement, comme
la répétition des vagues, jusqu’à s’échouer dans un coup final de caisse
claire.
Hadal est donc un morceau protéiforme, où les mélodies peuvent tantôt se
chevaucher, tantôt s’allier pour former un mélange de Hardcore, de Black Metal
et de beaucoup d’autres genres. Les structures s’y élancent, explosent en plein
vol et se recomposent sans cesse en quelque chose de nouveau. Il en ressort une
musique dérangeante, non à cause des dissonances et des tritons mais parce que
la rhapsodie des changements ne laisse aucun temps d’habituation à notre
oreille. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la dernière partie d’album
est confortable : elle nous sort de la frénésie pour nous permettre de
respirer et équilibre ce premier titre à l’allure virevoltante.
On s’étonnera donc du calme de Continent avec sa
guitare monotone et sa basse lente. Par suite, des guitares aiguës viennent
agrémenter l’introduction ainsi qu’une batterie jazz aux ghost notes légères.
L’ambiance est bien différente d’Hadal, beaucoup plus sobre et
relaxante. Comme en témoignent les paroles, nous quittons la haute-mer pour les
côtes qui approchent et la promesse d’un monde à venir rassérène le voyageur
condamné. Il y a bien quelques petites intensifications çà et là, comme un
petit rythme sur les cymbales charleston, mais aucun nuage ne couvre l’horizon dans
les quatre premières minutes. L’évolution de Continent est pourtant
contraire à celle de son prédécesseur car après le beau temps vient la
pluie : les guitares de plus en plus lourdes et les toms profonds nous
préparent à la tempête qui arrive. C’est quand la pesanteur est à son apogée
qu’une voix caverneuse vient couvrir la musique aux temps martelés et à la
guitare vacillante. La seconde partie du morceau est donc bien placée sous le
signe de la musique extrême. On y retrouve ainsi du chant guttural et des
blastbeats, bien que ceux-ci soient tellement sous-mixés qu’ils tapissent plus
l’espace sonore qu’ils ne le remplissent. Ils jouent donc un rôle paradoxal en
étant décalés des attentes. Ce sentiment de désorientation est précisément le
phare de ce morceau. Tout semble halluciné : la guitare se dégonfle et
tantôt chancelle, l’espace sonore est vide mais pèse comme une mer morte sous
un soleil de plomb et les rimshots qui tombent sur la troisième croche du temps
perturbent l’écoute de leur avance claudicante. Pour ce faire, Continent
mélange le jazz, les rythmes tribaux et la musique extrême qui repart à la
onzième minute en unissant les guitares en trémolo picking, le growl grave et
la batterie qui alterne blastbeats et rythmes syncopés. La construction semble
enfin prendre sens en unissant ses différents motifs de composition dans un
moment de chant glorieux où les voix de David Caron-Proulx, de Jessy Normand et
d’Etienne Dufresne s’unissent et confèrent de la puissance à cette envolée
finale qui nous prive pourtant de son apothéose par un grésillement.
Malgré l’abstraction des métaphores, les paroles de Continent
résonnent dans le vécu. Elles partagent nos expériences d’errance face à la
futilité de l’existence sans se réduire à elles seules. Les paroles comme la
musique se découvrent et se redécouvrent sans cesse dans leur complexité et
s’éclaircissent sans en voir le bout. La musique complexe, feutrée et hurlante,
qui se déploie par vagues ne ressemble à aucune autre, pas même à celle d’Entheos.
Continent est donc un album difficile d’accès mais qui vaut le détour
pour qui saura prendre le temps de le décrypter et d’en accepter les règles.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.