Entheos - Continent

Entheos - Continent

Chroniques 2 Juin 2020

Les terres de Jacques Cartier sont toujours pleines de promesses. Après les mystiques Ototeman et Zahir, le quatuor québécois d’Entheos revient avec Continent. Dans un écrin rouge sang et une illustration de danse macabre, le groupe semble plus que jamais dans une esthétique Black Metal. Pourtant, si la musique reste sombre, c’est probablement l’album de cette discographie qui joue le plus avec les frontières tant internes qu’externes du Metal extrême.

 

Il est difficile de rendre compte de toutes les confluences de l’album car il ne comporte que deux morceaux, dont celui que voici : Hadal. Nommé d’après les fosses profondes des océans, la pression de l’eau explique sans doute l’introduction au son Hardcore lourd dans son larsen, sa batterie au son mat et ses gueulements masculins. On est déjà bien loin des côtes du Black Metal des albums précédents, bien qu’on en retrouve l’élément le plus caractéristique avec les guitares hallucinées qui transpercent les compositions de leurs trémolos. Ce n’est qu’aux alentours de la troisième minute que l’on retrouve des éléments axés Black Metal avec des blastbeats et un chant massif venu du fond de la gorge. Nous nous trouvons alors à cheval entre les royaumes d’Hadès et de Poséidon. Si le dieu des enfers se manifeste dans le chant, les motifs récurrents des guitares donnent une impression de flottement ; tout comme la structure qui change sans cesse et contraste avec le son monolithique du Hardcore. Cette dualité se ressent également dans les paroles qui sont proches d’une prose rimbaldienne qui mélange les sens pour évoquer l’oscillation entre l’idylle et la corruption qui rôde. Hadal est donc une composition changeante, difficile à cerner et qui demande beaucoup d’attention de la part de l’auditeur pour saisir ses nuances et sa complexité. On s’étonnera alors de trouver un passage martelé à la noire à la cinquième minute qui témoigne d’un bouillonnement devenu spasmes d’exténuation. Abattu par la fatigue, le titre ne peut plus continuer qu’avec un passage plus reposant. S’ensuivent alors des notes répétées avec de la réverbération qui closent le morceau calmement, comme la répétition des vagues, jusqu’à s’échouer dans un coup final de caisse claire.
Hadal est donc un morceau protéiforme, où les mélodies peuvent tantôt se chevaucher, tantôt s’allier pour former un mélange de Hardcore, de Black Metal et de beaucoup d’autres genres. Les structures s’y élancent, explosent en plein vol et se recomposent sans cesse en quelque chose de nouveau. Il en ressort une musique dérangeante, non à cause des dissonances et des tritons mais parce que la rhapsodie des changements ne laisse aucun temps d’habituation à notre oreille. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la dernière partie d’album est confortable : elle nous sort de la frénésie pour nous permettre de respirer et équilibre ce premier titre à l’allure virevoltante.

On s’étonnera donc du calme de Continent avec sa guitare monotone et sa basse lente. Par suite, des guitares aiguës viennent agrémenter l’introduction ainsi qu’une batterie jazz aux ghost notes légères. L’ambiance est bien différente d’Hadal, beaucoup plus sobre et relaxante. Comme en témoignent les paroles, nous quittons la haute-mer pour les côtes qui approchent et la promesse d’un monde à venir rassérène le voyageur condamné. Il y a bien quelques petites intensifications çà et là, comme un petit rythme sur les cymbales charleston, mais aucun nuage ne couvre l’horizon dans les quatre premières minutes. L’évolution de Continent est pourtant contraire à celle de son prédécesseur car après le beau temps vient la pluie : les guitares de plus en plus lourdes et les toms profonds nous préparent à la tempête qui arrive. C’est quand la pesanteur est à son apogée qu’une voix caverneuse vient couvrir la musique aux temps martelés et à la guitare vacillante. La seconde partie du morceau est donc bien placée sous le signe de la musique extrême. On y retrouve ainsi du chant guttural et des blastbeats, bien que ceux-ci soient tellement sous-mixés qu’ils tapissent plus l’espace sonore qu’ils ne le remplissent. Ils jouent donc un rôle paradoxal en étant décalés des attentes. Ce sentiment de désorientation est précisément le phare de ce morceau. Tout semble halluciné : la guitare se dégonfle et tantôt chancelle, l’espace sonore est vide mais pèse comme une mer morte sous un soleil de plomb et les rimshots qui tombent sur la troisième croche du temps perturbent l’écoute de leur avance claudicante. Pour ce faire, Continent mélange le jazz, les rythmes tribaux et la musique extrême qui repart à la onzième minute en unissant les guitares en trémolo picking, le growl grave et la batterie qui alterne blastbeats et rythmes syncopés. La construction semble enfin prendre sens en unissant ses différents motifs de composition dans un moment de chant glorieux où les voix de David Caron-Proulx, de Jessy Normand et d’Etienne Dufresne s’unissent et confèrent de la puissance à cette envolée finale qui nous prive pourtant de son apothéose par un grésillement.

 

Malgré l’abstraction des métaphores, les paroles de Continent résonnent dans le vécu. Elles partagent nos expériences d’errance face à la futilité de l’existence sans se réduire à elles seules. Les paroles comme la musique se découvrent et se redécouvrent sans cesse dans leur complexité et s’éclaircissent sans en voir le bout. La musique complexe, feutrée et hurlante, qui se déploie par vagues ne ressemble à aucune autre, pas même à celle d’Entheos. Continent est donc un album difficile d’accès mais qui vaut le détour pour qui saura prendre le temps de le décrypter et d’en accepter les règles.

A propos de Baptiste

Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.