Death Awaits - Rapture Smites
A une époque où le Thrash revient sous différentes formes et que la France
pullule de groupes de Thrash-Death plus ou moins bons, il devient difficile de
faire la part des choses et de séparer le bon grain de l’ivraie. Finis les Trepalium
et autres Loudblast que l’on ne connaît que trop bien, on s’intéresse
aujourd’hui à Death Awaits et à leur dernier album Rapture Smites.
Et s’il y a bien quelque chose à noter dès le début, c’est que la pochette est
très jolie et change des pochettes parfois négligées, mais qu’en est-il de la
musique ?
L’ouverture de Barbaric Decadence démarque d’emblée Death Awaits
des autres groupes du genre puisque les Provençaux commencent par une plage
d’orage, un rire cynique et une guitare qui accompagne un discours géopolitique
sur la damnation du monde. Un son d’alarme se fait alors de plus en plus fort
et le riff à peine entamé, le morceau s’ouvre sur un growl doublé, ce qui
démultiplie son ampleur. Cet élan pris, la musique garde son momentum avec un
Death Metal assez classique que le tempo médium rend aisément discernable. Le
chant continue d’être mis en avant avec un growl assez grave mais souvent
accompagné d’un scream d’influence Black, ce qui lui confère plus de relief.
Pour les autres instruments, la guitare rythmique compose des riffs Thrash
racés tandis que la guitare lead les agrémente de notes perçantes ou d’un solo,
ce qui permet de diversifier la mélodie et par là de la rendre plus diversifiée
donc moins lassante.
Une fois la critique d’une société idolâtre où les vices pullulent énoncée,
Death Awaits nous donne les clés pour y survivre : Loot Thy
Neighbour. Comme un prophète antéchristique qui inciterait non à aider son
voisin mais à le soumettre, la première phrase du morceau est chantée en chœur.
Viennent ensuite des rythmes galopants et le mélange de triolets et de rythmes
syncopés que l’on trouve dans les refrains par la suite sous-entendent une
certaine perméabilité entre le Death Metal et le Djent moderne. Cette
impression est confirmée par les bends à la guitare mais, heureusement, leur
rôle est plus vaste que celui-ci puisque le morceau est régulièrement relancé
par des soli qui ne sont pas que des démonstrations techniques mais sont des
ressources structurelles pertinentes. L’autre atout de composition de ce
deuxième morceau est la nouveauté avec les paroles chantées à travers de la
saturation. La rupture permettra d’ailleurs de lancer le morceau dans sa phase
ultime et de le finir en apothéose – ou plutôt en démonopose – dans le
contraste entre sa vitesse initiale et sa lourdeur finale.
La caisse claire qui clôt Loot Thy Neighbour se marie bien avec
celle qui ouvre Better Think Twice, on félicitera donc le choix
judicieux dans l’ordre des morceaux. Une fois de plus, la multiplication des
voix et la tessiture large de Flo permettent tant de couvrir l’intensité
exigeante du genre que suivre les envolées régulières des guitares. On entendra
d’ailleurs souvent revenir « Glory for the kings, sorry for the
masses », scandé en chœur et allié aux guitares, ce qui renforce la
dimension martiale de la chanson. Une de ces occurrences mène d’ailleurs sur un
passage lyrique presque baroque, ce qui allège l’écoute dans un morceau
jusqu’alors axé sur l’efficacité rythmique du Death. Enfin, on comprendra à
l’outro que cette incitation à réfléchir à nos actes a été apprises à prix
coûtant puisque le dernier passage parlé critique les conséquences d’une
société qui n’a pas su pleinement considérer ses (mé)faits.
Rapture Smites entre ensuite dans sa phase principale avec le triptyque Trumpeting
Butchery. Si le titre renvoie au livre de l’Apocalypse, on peut y lire un
pied de nez à Donald Trump ; d’autant que des paroles sarcastiques
évoquent une troisième guerre mondiale entre l’« Agent Donald
Orange » et « Disco Kim ».
L’introduction de la première partie est assez Thrash et la suite du morceau
garde cette influence malgré un growl et des blastbeats plus typiques du Death.
Les soli à deux guitares marchent très bien puisqu’ils ajoutent de la texture
et une dissonance qui n’est pour une fois pas celle à laquelle on est habituée
avec les hammers de guitare.
Vient ensuite un interlude à la guitare et à la batterie, une douceur
inattendue dans un tel album puisqu’elle ajoute une dimension mélancolique
surprenante et appréciable. Mais, ne nous leurrons pas, le groupe garde une
vision assez sombre de la musique puisque la basse vient apporter son soutien
dans les graves tandis que les guitares partent en envolées lyriques.
La troisième partie du morceau vient soudain mettre un terme net à cette
ascension et ne prend que quelques secondes pour faire monter la pression et la
faire exulter en des blastbeats véhéments. Les guitares nous déstabilisent en
alternant stridemment sur les aigus, ce qui rappellerait presque l’introduction
de Madhouse d’Anthrax. La voix peut alors se poser sur ces
fluctuations et se couvrir de variations à loisir sans que cela sonne
hors-propos. Le chant nous décrit alors les atrocités de la guerre, non
seulement ses effets meurtriers mais aussi les dommages collatéraux comme les
pertes civiles ou les troubles de stress post-traumatique. Le morceau ralentit
par la suite jusqu’à un pont à la guitare accompagné de hammers-off à la basse
qui mène sur un chœur growl-chant crié qui confère une dimension grandiloquente
aux paroles. Le refrain revient alors deux fois et un râle de fond de gorge
vient finir le morceau dans son agonie.
Evergreen House inaugure un thème tout autre puisqu’il s’agit des différents aspects de la
pollution, le « greenhouse effect » étant l’effet de serre. La
différence se ressent dans la musique puisque le début du titre marque
explicitement son mode ternaire. Associé aux résonnances et au tempo plus lent,
le morceau semble plus pesant, comme orienté Doom. Le ternaire n’est pas ce qui
prime dans le Death-Thrash puisqu’on va souvent préférer l’efficacité et la
clarté du binaire, cependant Evergreen House reste accrocheur car bien
que le morceau se joue un peu plus dans la longueur, les guitares peuvent ainsi
avoir des mélodies plus complexes. D’autant que Death Awaits ne se prive
pas d’aller chercher dans le binaire quand il le faut, ni même d’avoir recours
aux blastbeats. L’énergie qui en ressort est alors renforcée par le contraste
entre les deux modes, le ternaire gagnant ainsi en pesanteur jusqu’à clore le
titre sur des guitares aussi saturées que l’atmosphère qu’elles
déplorent.
On reste dans la thématique écologique avec Circling the Drain et
son ouverture shred, les guitares étant accompagnées sur chaque double-croche
par du blastbeat, ce qui accentue le côté saccadé de l’introduction. Le morceau
rejoint ensuite très vite ses racines Death-Thrash malgré des passages de
double-pédale et des envolées au chant qui l’approchent du chant Black. Ce ne
sont pas les seules racines qui reviennent puisque le morceau évoque une nature
qui reprend ses droits en éliminant l’homme de son règne. La deuxième minute
rompra pourtant avec cette construction en faisant un petit crescendo qui
réussit d’autant mieux que la superposition des voix incite à chanter les
paroles – on ne retrouve certes pas la dimension très lourde d’un breakdown
mais le passage a cette même dimension d’engagement du public. Mais
paradoxalement, on sera surpris d’entendre du chant Thrash sur la fin du
morceau alors qu’on avait eu droit jusqu’alors qu’à du growl grave.
Quant à Shrine of Mediocrity, il s’ouvre dans une sobriété relative,
le rythme étant plutôt martial et les guitares développant des riffs en picking
bien marqué. C’est donc logiquement que, quatre râles plus tard, un mélange
Thrash-Death se fait remarquer avec une mélodie Thrash pur-sang tandis que les
paroles sont en chant Death. Mais, grande surprise du morceau, d’autres styles
musicaux émergent dans Shrine of Mediocrity comme un passage à la
guitare proche du flamenco – le lien serait alors facilement fait avec Impureza.
La mélodie qui s’y tisse est ensuite reprise par les guitares saturées et le
lyrisme de ces passages distingue immédiatement le morceau de la médiocrité de
son titre. Les duos de guitare sont eux aussi très réussis puisqu’ils rajoutent
des aigus tranchants aux graves étouffés qui sont principalement joués. On est
donc bien loin de la soumission à la médiocrité moderne que le morceau
critique, bien au contraire, on s’éloigne encore plus de la norme avec une fin
qui se sursature jusqu’à avoir un espace sonore parasité – ce qui est étonnant
dans la perspective des compositions très claires du groupe.
Enfin, Rapture Shrine s’offre dans un dernier effort avec Karmaggedon.
Comme on clôturerait une Bible, le morceau renvoie à la chute de Babylone et
aux trompettes de l’apocalypse – des thèmes qui s’inscrivent dans la lignée des
quatre cavaliers de la pochette. Le morceau va par ailleurs se démarquer par
une introduction distordue au tempo lent, les guitares jouant énormément sur
les dissonances et la batterie étant plutôt désarticulée. Les repères musicaux
auxquels nous sommes habitués vacillent alors et on semble se retrouver sur les
pavés glissants d’un Whitechapel embrumé. Outre la lourdeur angoissante du morceau
qui reflète bien son objet, on regretterait peut-être qu’il soit placé en fin
d’album car malgré des passages assez dynamiques, la lenteur générale n’en fait
pas le morceau le plus accrocheur de l’album – par conséquent, la fin de Rapture
Smites ne rend pas honneur à son efficacité indéniable. Un pont vient
certes accélérer le tempo mais la progression se fait trop difficilement. Ce
n’est pas que le groupe l’ait mal composée mais plutôt que l’accroissement se
fait par vague, ce qui brise certes la linéarité mais perd en cohérence au vu
des compositions jusqu’alors assez rentre-dedans. Le morceau reprend ensuite
ses riffs et exploite leur lenteur en les répétant plusieurs fois, ce qui vient
souligner leur dimension entêtante et condamnatrice. Mais le problème de cette
démarche est que l’album s’achève sur une fin en fondu, ce qui est indigne d’un
groupe comme Death Awaits qui a su prouver sur Trumpeting Butchery
ou Loot Thy Neighbour qu’il savait composer des fins
efficaces.
Et si je me permets d’être aussi critique sur la fin, c’est que Rapture Smites montre de toute évidence que Death Awaits a de solides atouts. Sans se perdre dans la facilité fade d’un Revival Thrash ni même dans la violence imbécile d’un Death bourrin, les Provençaux allient des textes bien écrits à des mélodies prenantes, tant dans leur efficacité que dans leur lyrisme. L'enchaînement des morceaux est cohérent sans être répétitif pour autant puisqu’une touche de nouveauté vient régulièrement capter notre ouïe et apporte un brin de fraîcheur. Death Awaits ne passe donc pas très loin d’un album impeccable – il se contente d’être très bon -, et c’est sans aucune pâleur que le groupe peut s’inscrire dans le panorama français.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.