Decline of the I - Escape
Là où le Black Metal se
veut fier et combattant – Windir, Immortal, Blot… -, Decline
of the I choisit la petite porte : Escape. Inspiré par les
travaux du docteur Henri Laborit, A. a axé son projet autour des réactions aux
agressions : l’inhibition, la rébellion et finalement la fuite. Appliqué à
la vie elle-même, ce schème lui permet de construire un Black Metal proche du
DSBM sans jamais tomber dans les clichés du genre. Au contraire, loin d’une
œuvre stéréotypique, Escape propose un bel équilibre entre
l’intellectualisme de ses concepts et la passion de ses compositions. En sort
une œuvre expressive tant dans sa musique que dans ses références, proposant
plusieurs niveaux de lecture qui toucheront le néophyte comme le blackeux au
cuir tanné, l’esprit léger comme l’exégète scrupuleux. Pour ma part, c’est vers
cette seconde catégorie que je penche, d’où cette chronique qui – je l’espère –
vous éclairera quelques instants.
Catégorique et
tumultueux, Disruption s’ouvre avec une introduction crescendo qui
introduit un sample dès la première minute. Évoquant une entité qui appelle à
l’exécration, à la haine et à écorcher autrui, notre échappatoire est tout
d’abord un plongeon dans la folie. Une forme de schizophrénie se manifeste
justement dans la présence obsédante des voix, tantôt déphasées, tantôt unies.
Pour ce qui est de la mélodie, le morceau est basé sur quelques arpèges en résonance,
tout en incorporant des éléments plus expérimentaux comme des percussions
métalliques. Les passages plus structurés sont un Black Metal alliant
différents types de voix, allant du chant DSBM à un chant de gorge plus rituel.
Pour sa part, la guitare joue énormément sur les dissonances tout en laissant
la part belle aux passages d’atmosphère, ce qui nous entraîne dans une ambiance
similaire au Black Metal occulte de Schammasch. Mais toute comparaison
mise à part, le morceau pose bien l’esthétique d’Escape avec un Black
Metal présent en toile de fond mais rarement en propre pour un album errant
dans beaucoup de champs.
Le second morceau, Enslaved
by Existence confirme la variabilité de cette démarche avec une ouverture
sursaturée, parasitée d’une résonance aiguë, qui nous entraîne vers un extrait
de Deleuze révélant que derrière toute création artistique, il y a une certaine
honte d’être un homme – confirmant par ailleurs la dimension intellectuelle de Decline
of the I. Mais paradoxalement, s’ensuivent des chœurs féminins baroques,
qui ne sont pas tournés vers une honte humaine mais vers Dieu lui-même. L’album
rentre alors à proprement parler dans sa dimension spiritualiste en pointant la
foi comme échappatoire. On retrouve ensuite ces chœurs tout au long du morceau,
ainsi que de nombreux arrangements subtils qui endiguent la lassitude de la
répétition sans trop s’éloigner du thème et nous préparent souvent à la ligne
mélodique à venir. Après le passage déroutant d’un chant de gamine corrompu et
de toms à tendance tribale, le Black Metal reprend densément à la quatrième
minute avec tout ce qu’on attend du genre et peut-être même un peu plus. On
retrouvera enfin le sample de Deleuze avec des chœurs et cette fois-ci une
guitare Black qui nourrit à pleine gorge un décor déjà bien fourni.
Une fois tourné vers les
cieux, Organless Body pourrait signifier l’apogée de la transcendance.
Ce n’est évidemment pas le cas, on est au contraire bien ancré dans la fange
terrestre avec un sample de synthèse loopé et des arpèges en gamme mineure
qu’accompagne sobrement une batterie en back beat amélioré. La tendance
électronique s’accentue avec les grattements de platine, ce qui contraste
évidemment avec la voix Black qui vient prendre la tête du morceau. On notera
par ailleurs la mise en avant d’une voix Black puissante et bien tenue qui se
distingue clairement de la voix DSBM nasillarde qu’on a pu entendre au morceau
précédent. Une époque en-deçà des chœurs baroques, des chants grégoriens se
discernent en milieu de morceau ; non en contraste avec l’atmosphère
nihiliste cette fois-ci mais au contraire pour appuyer la dimension mystique
qui émane des légatos de guitare. Jusqu’à un moment de flottement, poignant et
magistral du sample geignant l’impossibilité lâche de se suicider. Alors, comme
une procession damnée, le Black Metal reprend lentement en disant qu’on ne peut
pas tuer une forme vide. Notre Organless Body est donc un corps
décharné, un inaboutissement errant, un anéantissement qui reste pourtant
terrien… trop terrien.
On reste justement bien
ancré dans la réalité avec Hurlements en faveur de FKM, dont le titre
rend hommage à un ami compositeur de A. La mélodie est minimale avec des
guitares en trémolo picking, des blast beats et un son de réverbération aigu
qui fait bourdon. Le chant se distingue donc clairement par-dessus mais la
principale voix n’est pas tant le chant hurlé que le sample de ce susnommé FKM
tenant un discours méta-artistique sur une forme de prémonition du compositeur.
Tout s’arrête pour un Black Metal qui ampute son quatrième temps pour laisser
A. chanter – on appréciera d’ailleurs le large nuancier de ses hurlements. Peu
après vient un long passage d’atmosphère avec quelques notes de guitare deçà
delà qui se terminent en crescendo avec le tom grave et les guitares saturées,
pour s’anéantir sur un hurlement qui embrase la dernière partie du morceau.
Cela permet au titre de reprendre à belle allure sans être chaotique, grâce à
une structure certes bien connue mais également bien utilisée, vers une fin étonnante
puisqu’il s’agit de synthétiseurs aigus et diffus accompagnés d’une apologie du
mental par FKM.
Le cinquième morceau est
étonnant au vu de la dimension a minima pessimiste de l’album, Negentropy
(Fertility Sovereign). On ne s’attendrait pas à une référence à un facteur
d’organisation ni à la fertilité dans un album de Black Metal, le titre
renvoyant vers la tendance humaine à s’opposer au chaos en créant des
structures. L’introduction du morceau renvoie pourtant dos à dos une
introduction chaotique avec des voix qui grouillent et des patterns rythmiques
instables qui doublent leurs croches ainsi qu’un sample axé hip-hop bien carré
et des voix à l’unisson. Malgré quelques notes de guitare très discrètes et un
piano en début de passage, l’instrumentation est assez sobre, ce qui permet une
bonne compréhension des paroles. Mais, comme le veut le thème de l’album, le
morceau nous échappe des mains avec un passage Black court qui glisse lui-même
vers un ralentissement pesant du morceau. En dernier métronome imparfait, il ne
nous reste plus que les dômes de cymbales comme repères puisque le morceau
s’achève en zigzaguant entre ses différents moments, les corrompant jusqu’à sa
fin.
Parlant de fin, il est
temps d’achever cet album avec le dernier morceau Je pense donc je fuis.
Subversion évidente de la sentence « Je pense donc je suis » des Méditations
métaphysiques cartésiennes, ce morceau est aussi le plus long et le plus
idiosyncratique de l’album. Démarrant avec des toms et la Chanson des Gardes
suisses que l’on trouve en ouverture de Voyage au bout de la nuit, les
chants masculins joignent le morceau à la troisième minute avec un Black Metal
assez carré et prenant. On découvre à son bout une scansion intéressante,
puisqu’elle semble être un cadavre exquis mêlant une prose célinienne avec une
âpreté clairement manifestée. Obsesseur et entêtant, se répète alors un
« Je suis donc je fuis ; je fuis donc je suis » dont la
rébellion ontologique cache plusieurs couches d’interprétation. Le Black Metal
reprend efficacement à la septième minute avant que le morceau ne décroisse sur
des chants féminins qui closent Escape tout en douceur. Ne reste plus
qu’un extrait tiré du Feu Follet de Drieu la Rochelle - la trilogie de Decline
of the I sur le travail de Laborit se finit donc comme elle a commencé.
« -Difficile d’être un homme… Il faut avoir envie… Tu n’es pas fatigué des
mirages ?
-J’ai horreur de la médiocrité.
-Depuis dix ans tu vis dans une médiocrité dorée.
-J’en ai assez justement. J’arrête. »
Projet éphémère autour de
l’œuvre du docteur Laborit, Escape finit glorieusement la trilogie
entamée par Inhibition et Rebellion. Comme pour les trois stades
des insectes, Escape est un départ, un envol et un envoi, achevant sa
vie en butinant les fleurs du Black Metal, du Hip-hop ou de la Chanson
française - avec un côté DSBM qui chasse pour sa part les papillons de la
psyché. Malgré un mixage un peu trop lisse qui ne met peut-être pas assez en
avant les différents contrastes, il est certain que Decline of the I
s’envole d’une fuite en avant.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.