Maïeutiste - Veritas
Collectif protéiforme fondé en 2006, Maïeutiste
dénote d’ores et déjà par son nom et son thème. Bien loin des élans nihilistes
du Black Metal, l’actuel quatuor ancre sa musique dans la tradition
philosophique occidentale, en remontant aux origines mêmes et à la méthode
socratique de faire accoucher des vérités : la maïeutique. Et c’est cette
recherche dont traite le très justement intitulé Veritas, paru cet
octobre chez les Acteurs de l’Ombre. Quant à savoir si cette quête a abouti ou
non, il nous faudra bien plonger dans l’album pour le découvrir.
Car oui, il s’agit bien de plonger - et d’aller
le plus loin possible. C’est cette profondeur qu’évoque le grondement
introductif de Veritas – I. Si le chant guttural est assez classique,
les rythmes développent un phrasé avant-garde qui accompagne la tentative
moderne de transcender la finitude en remontant au cœur principiel de
l’univers. L’usage des chœurs accentue à ce titre la dimension solennelle et
ésotérique de ce secret à dévoiler et nous fait ressentir les influences
progressives du quatuor. La basse a, quant à elle, une place de choix dans le
morceau puisque le mixage accentue son côté rebondissant que l’on retrouvait
déjà dans le précédent album : Maïeutiste. L’association de
différentes tessitures comme les voix claires et hurlées ainsi que le contraste
entre les passages légers à la guitare et le Black Metal virulent appuient sur
le paradoxe de ce voyage aussi salvateur que délétère puisqu’en cherchant à
outrepasser la finitude, il nous faut nous débarrasser de notre enveloppe
charnelle – mourir pour ne pas disparaître. Mais malgré toutes ces références,
implicites ou explicites, il me faut vous rassurer : le morceau reste du
Black Metal. La mélodie est principalement jouée par des guitares saturées et
on retrouve régulièrement du tremolo picking et des blastbeats. Cependant, le
pot-pourri de tonalités et influences diverses vient en contrepoint du Black
Metal pour accentuer les différentes ambiances de la chanson et illustrer la
diversité du rapport univers/esprit que trace la chanson.
Hélas ! notre recherche semble n’être qu’un
mirage et le « Fool » grave hurlé qui inaugure Infinitus nous
le confirme. Dérivant dans l’espace avec l’incapacité d’atteindre son cœur, Maïeutiste
recourt à un style plus Doom avec beaucoup de dissonances pour mettre cette
angoisse en musique. Les cordes de guitare pincées viennent ensuite raisonner
dans un mode orientalisant et les chants clairs légers typés Prog’ s’étendent
immensément dans cet espace infini. L’usage de riffs asymétriques et de bends
vient constamment décaler la progression musicale, comme l’espace-temps nous
voile toujours l’Un ; alors qu’il doit exister ! – une des nombreuses
références platoniciennes présente dans les paroles. Le contraste entre la voix
grave et les guitares aiguës crée un gouffre mélodique désagréable et le
morceau est justement incommode dans son ensemble. Il illustre par là sa
dimension négative, ainsi que grâce aux répétitions et disharmonies ou par sa
dimension rituelle qui ressasse inlassablement l’impossibilité d’aller plus
loin.
Pour continuer notre quête, peut-être nous faut-il y
aller à tête reposée, soufflons un peu. Suspiramus, nous respirons… Et
c’est dans ce même Suspiramus que se trouve la source de notre énigme : le
souffle de vie qui anime tout être, le pneuma. Ce troisième morceau officie
alors en interlude léger, très agréable, bien que décalé de la musique de Veritas.
Chanté au style grégorien avec du violon et de la guitare, il confirme les
influences classiques de Maïeutiste par une atmosphère médiévale qui
clôt la première partie d’album.
Dès lors, le voile de l’inconnu commence à se lever
pour laisser sa place au mystère en demi-teinte. Bien que notre enquête avance,
on reste cependant dans l’absence de réponse, d’où le retour du Black Metal. On
retrouve donc des guitares graves et martiales sur un tempo médium et une
structure répétitive qui rend ce premier riff très engageant. Nous avertissant
du danger du mystère, qui outrepasse les limites de la pensée rationnelle, le
chant est assez grave et sonne Death. Appréhendé sans être réellement vu,
sortant de notre connaissance mais pas de notre pensée, ce mystère redouté est
sans nul doute celui de l’univers, d’où le titre Universum. En dépit de
cela, le morceau a aussi ses passages réconfortants avec un pont atmosphérique
et parlé qui mêle arpèges de guitare et cross-sticks à quelques touches de
chant qui répètent « Around us ; within us ». Se développant
dans la longueur des résonances, ce passage tranche avec son successeur qui
accélère avec un solo de guitare shred et achève le morceau en le noyant dans
ses larsens.
Mais au-travers de ces larsens perce une voix
insurcriable, une voix qui appelle et proclame avoir la vérité unique et
inaltérable ; qui prétend avoir atteint la réalisation unique des idées et
que rien n’est sans but. Cette voix qui proclame, c’est Vocat. Bien que
l’ouverture du morceau soit trop sobre à mon goût, il faut d’emblée reconnaître
que le batteur a un sens certain du groove et que l’ajout de guitare sèche
apporte beaucoup au lyrisme dissonant du passage. De cette ambiance oppressante
se développe un Black Metal dont la mélodie est quasi exclusivement basée sur
des arpèges, ce qui est assez peu commun dans le genre. Autre spécificité qui
mérite d’être notée, la multiplication des chants permet d’avoir d’un côté les
voix claires qui proclament dans leur dimension collégiale tandis que la voix
Black appuie sur les maux à éviter. Cet ensemble consacré à la vérité unique et
intemporelle explique la dimension liturgique que l’on retrouve à la sixième
minute avec des notes tenues qui miment les orgues. Dans la continuité, le
deuxième tiers de morceau est précisément un moment terriblement lent et
fataliste, faisant peser le poids de l’esprit sur les épaules de l’auditeur. Si
les guitares allègent quelque peu ce fardeau, les chuchotements damnés et
longues plages de guitare évoquent l’infini, passé, présent ou futur, auquel
peut et doit prétendre l’esprit. L’usage de chœurs dans une composition de ce
type rappelle par moments Batushka, au moins dans l’atmosphère qui se
dégage de la chorale associée au Black Metal tout juste rentamé. Les deux
dernières minutes, folles et chaotiques, viennent justement accentuer cette
ambiance avec une guitare stridulante, du tremolo picking, une sorte de viole
et des blastbeats qui ne suivent pas de cohérence rythmique avant de
s’essouffler en agonisant, comme les dernières folies convulsives d’un
quelconque fou ou prophète.
Dernier acte et aboutissement de notre voyage, Veritas
– II démarre par des guitares chargées de réverbération comme on en
entendrait dans le Post-black à la Alcest ou dans le Shoegaze et dont la
douceur illustre probablement la fin de notre recherche. La levée de batterie
et les riffs à deux guitares sonnent dans un registre Technical Death et les
instruments ne trouvent leur unification que dans un Black Metal accompagné de
chœurs répétant notre voyage à travers les astres et l’esprit. Cette psallette
fustige le désespoir en disant que ni la repentance, ni la convergence, ni
l’amour ne peuvent être atteints sans espérer. Notre recherche de vérité à
travers l’univers et l’esprit nous aurait donc au moins permis d’appréhender
l’espoir, seul lien qu’il nous reste peut-être à une vérité transcendantale,
d’où la dimension positive mais mesurée de ce morceau. Le retour à la réalité
se fait alors à la fin du premier tiers avec des plages ambiantes de nature qui
vont veiller au sommeil du morceau. Jusqu’à la treizième minute du moins, où
des bois sonnent presqu’angéliquement avant d’être corrompus par des larsens et
des chants féminins inversés qui clôturent pour de bon Veritas sur une
sorte de musique expérimentale très anxiogène et paradoxalement
hermétique.
Fort d’une composition subtile et d’une esthétique flamboyante, ce second album de Maïeutiste se présente comme un petit bijou pour les amateurs de Black Metal inspiré et créatif. Mêlant les différents genres musicaux et brouillant les références, son écoute est autant un flot lyrique qu’un déchiffrage mystérieux qui se perpétue jusque dans les visuels. Si la vérité est une fort belle prétention pour cet album, elle n’est cependant jamais révélée ni même instillée dans Veritas. Ce que nous trouvons en revanche est un Black Metal d’avant-garde varié et exotique mené de main de maître par Kheitan et Tmdjn. Mais pour ce qui est du maître, comme Platon a tué Parménide, Maïeutiste tue à son tour Platon en nous offrant un contenu sensible sans vérité métaphysique à nous faire voir, peut-être est-ce là la limite de la transposition de l’intelligible dans la sensibilité des sons.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.