Belenos - Argoat
Chroniques
24 Septembre 2019
Terre mystique qui plus qu’aucune autre a gardé ses racines celtes, la
Bretagne est une fois de plus à l’honneur dans Argoat de Belenos.
Peut-être est-ce pour ces racines que ce nom, signifiant « pays
boisé », a été donné à l’album ; mais ce serait plus
vraisemblablement pour mettre à l’honneur la Bretagne intérieure, l’Argoat, par
opposition à la Bretagne maritime, l’Armor, déjà glorifiée dans Kornog.
Cette entrée en forêt se fait comme une promenade puisqu’on entend une
porte s’ouvrir et des mugissements, rien d’étonnant pour Karv-den dont
« karv » signifie « cerf ». Mais le morceau n’a rien d’une
balade champêtre puisqu’un Black Metal assez orthodoxe montre que les plus de
vingt ans d’expérience de Belenos n’ont pas été une longue sieste.
Certes, la mélodie est en ternaire, mais on est loin d’une musique
d’ambiance : en plus des riffs aux doubles guitares, la batterie est bien
garnie et le chant black vient assez tôt. A tel point que c’en est presque
dommage, le morceau étant si volatile dans sa structure qu’il ne présente
aucune période assez longue pour qu’on puisse vraiment se poser et l’apprécier.
Mais la spécificité de la piste est réellement les chœurs masculins qui
s’immiscent à la quatrième minute et apportent l’ambiance traditionnelle du groupe
– pour ne plus nous quitter.
Avec Bleizken, on abandonne le cerf pour le loup et le nom comme
l’introduction nous le font bien comprendre. Si les guitares sont un peu moins
aiguës que sur Karv-den et un peu plus raw, c’est au profit d’une
composition plus classique. C’en est justement agréable car le morceau se hâte
moins et a plus de cohérence dans ses passages que son prédécesseur, ce qui le
rend plus agréable. Dans le même esprit, les passages gutturaux et les chorales
sont moins scindés, ce qui crée une atmosphère d’ambiance et non des bribes
frénétiques. Le chant est d’ailleurs bien à l’honneur sur ce morceau car on
entend régulièrement la tessiture de Loïc Cellier, tant aiguë que grave. On a
même droit à une voix de fond de gorge, semblable à une voix de dzo rituelle,
qui apporte à l’ambiance tribale de la chanson. C’est d’ailleurs la réussite de
ce morceau que d’avoir construit une ambiance cohérente en mélangeant avec
parcimonie les chœurs, le Black Metal sans trop le charger et les solos plus longs
et moins « shred », qui apportent réellement au morceau et ne sont
pas qu’une pesante démonstration technique.
Pour le troisième morceau, on passe à l’éponyme Argoat. On abandonne
les douceurs de Bleizken pour retrouver des mélodies à deux guitares.
Jouant dans les mêmes gammes et alternant les passages black et traditionnels,
les riffs comme la composition rappellent sans aucun doute ceux légendaires de Windir.
Si cette piste est plus courte qu’à l’accoutumée, elle se permet néanmoins un
pont musical avec des chœurs et des guitares solistes – accompagnées d’une
double-pédale inhabituelle sur ce genre de passage, sans rendre
particulièrement bien ni mal pour autant. Et peut-être que des compositions à
peine plus courtes seraient à l’avantage de Belenos puisque la
composition du morceau est pleinement achevée avec une fin qui ne se contente
pas d’un fondu mais d’une belle disparition qui joue sur les contre-voix, ce
qui achève le morceau avec toute la superbe qu’on attend du groupe.
La nuit est tombée sur les terres bretonnes, et c’est notre Nozweler
nyctalope qui nous guide dans la pénombre, d’où les arpèges légers. Mais vers
quelle terre honnie nous guide-t-il? ; double-pédale et guitares saturées
nous rattrapant bien assez vite. Le morceau a un riff assez simple et un tempo
médian qui est, sans grande surprise, efficace puisqu’il en est appréhensible.
Malgré une première partie de piste relativement lente et magique, les
chuchotements résonnant comme des invocations, Belenos offre tout de
même un passage de Black Metal plus véloce qui va jouer sur le trémolo picking
et les blastbeats là où son aîné mettait en valeur les arpèges et les
cymbales.
On reste dans notre atmosphère nocturne avec Huelgoat, du nom d’une
petite ville du Finistère dont le nom signifie « Le bois d’en-haut ».
Dans Croc d’Argent, Charles le Goffic écrit « Huelgoat ! Le soir
descend sur la forêt » et c’est dans cette temporalité partagée que le
morceau va privilégier l’ambiance en laissant jouer des guitares saturées comme
acoustiques. Bien que cette introduction à deux voix ne soit pas très longue,
elle crée l’atmosphère adéquate pour le Black Metal qui s’ensuit. Faisant
monter la tension à recours d’attente et de larsens, on découvre un Black
rapide et mélodique qui est sans aucun doute parmi les plus réussis de l’album.
Sans être trop agressives, les guitares mènent allègrement la danse et si le
chant les rejoint, ce n’est qu’en symbiose avec les autres instruments pour un
moment plus chargé, avant de se retirer pour laisser la place aux solos de
guitare, confirmant l’hégémonie brillantissime et indéniable de l’instrument
sur la chanson. Celle-ci ne cesse que pour ralentir leur l’échappée avec une
dernière partie de morceau plus solennelle et traînante. Sans être trop longue,
auquel cas on redouterait l’ennui, elle laisse place à l’atmosphère ésotérique
que l’on avait entre-découvert sur Bleizken et c’est avec sagesse,
puisqu’elle finit le morceau en douceur.
On sort des thématiques sylvaines pour parler de valeurs avec Dishualder
- liberté. On retrouve cependant une ambiance celtique avec des chants, des
violes et des percussions à main. Assez lent dans ses mesures, le morceau met
en avant sa dimension rituelle avec les guitares qui jouent dans les mêmes
gammes que les violes. La voix black est quant à elle travaillée et se place
dans un chant médian distinct et clair, bien que sa tessiture lui permette
aussi d’aller dans les basses pour rejoindre les chœurs masculins. Bien sûr, ce
n’est pas un Metal guerrier et homo-érotique à la Manowar mais ces mêmes
chœurs masculins apportent une dimension tribale et fraternelle au morceau qui
tombe à point nommé puisqu’elle contrebalance la tonalité malsaine du Black
Metal et réussit d’autant mieux que c’est en totale cohérence avec la dimension
traditionnelle du groupe
Changement d’ambiance radical avec Duadenn, le nuage noir ;
d’où l’ambiance pesante et lourde du morceau : le ciel nous tombe sur la
tête ! L’introduction est presque Sludge tant elle est lente et grave.
Bien sûr, les toms ont un accordage plus aigu que dans le Sludge mais déroulent
pourtant un phrasé similaire. Comme vous l’aurez compris, ce morceau s’inscrit
en décalage de Argoat. Quelques passages de guitare rappellent
évidemment le Black Metal du groupe mais on reste plus proche d’un Black lourd
à la Hyrgal ou Céleste. Si le morceau est réussi, il manque
pourtant son coup pour ma part puisque ce n’est pas forcément une ambiance que
je recherche chez Belenos, mais il n’en garde pas moins de qualité. En
effet, outre la lourdeur de son ambiance – recherchée et réussie au vu du thème
-, le solo tritonique et aigu de fin de morceau vient ajouter un côté baroque
qui clôt la piste en apothéose.
Avant-dernier morceau de l’album, Steuziadur est aussi le dernier
titre purement composé par Belenos. On retrouve des samples sonores
venteux comme ceux de Karz-den et la lenteur de Duadenn mais les
guitares sont à nouveau saturées et médium – ouf, c’est bien du Black Metal.
Pour nous le prouver vient ensuite un passage assez dense, tous instruments à
feu et à chants. En référence au nom du morceau signifiant
« disparition », le morceau utilise plusieurs passages de
chuchotements qui se marient très bien avec l’atmosphère délétère du morceau et
les sifflements suraigus qui hantent l’arrière-plan sonore. Seul bémol de ce
morceau ô combien efficace : sa fin. Comme on peut le reprocher trop de
fois sur cet album, la fin en fondu ne rend pas hommage à toute l’efficacité et
la maestria d’un morceau – et particulièrement de celui-ci - qui, en plus
d’être terriblement efficace, condense la réussite de Belenos tout en
incorporant ses caractéristiques propres.
C’est d’autant plus dommage que la dernière piste, Arvestal, est un petit bijou que la plupart d’entre vous connaissent puisqu’il s’agit d’une reprise du thème de The Persuaders par John Barry. Beaucoup joué dans la scène Black Metal puisqu’on le retrouve sur le split de Les Discrets avec Arctic Plateau, le thème de The Persuaders est ici sévèrement attaqué par la saturation et le chant guttural. Il n’en reste pas moins que son ambiance flottante est toujours aussi belle, même si le chant apporte un côté mortifère que l’on n’attendrait pas du morceau. Visiblement apprécié chez les érudits des cultures celtes, que ce soit Loïc Cellier ou Fursy Teyssier, le morceau est un très bon choix pour finir l’album puisqu’il ne rompt pas la cohérence de composition des morceaux de Belenos à proprement parler et que sa fin en fondu marche cette fois-ci très bien pour finir l’album… Cocasse, non ?
Alors, qu’a-t-on à attendre d’un one-man band de presque vingt-cinq ans ? Beaucoup. Bien sûr, l’album a ses failles mais il présente aussi beaucoup de qualités. Il me faut déjà saluer le travail colossal de Loïc Cellier qui a joué tous les instruments sans en laisser aucun pour compte, tous les instruments ont des parties copieuses et cette polyvalence force le respect. Outre cela, Belenos se fait porte-parole des esprits celtes, qui semblent parler par sa bouche et crier par ses guitares et on ne saurait jamais assez respecter le travail d’écriture et de composition de celui qui fait valoir sa culture dans une France encore très jacobine. En bref, s’il est peut-être moins véhément et agressif que ses prédécesseurs, Argoat est néanmoins un album qui vaut le coup d’être écouté pour tous les amateurs de Black de traditions, Windir en première ligne.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.