Interview Hyrgal
Cette édition du Hellfest était riche en Black Metal: des grands noms comme Emperor ou Cradle of Filth mais aussi des groupes plus discrets comme Hyrgal. Mais le projet varois n'a pas rien à dire pour autant, loin de là, car c'est toute une poésie furieuse qui en émane. A l'occasion d'une discussion avec le guitariste, chanteur et compositeur F.C., je vous transcris ici bas notre échange.
Radio Metal Sound :
Les paroles de Hyrgal sont comme une
prose survivaliste, avec un côté guerrier et en même temps assez misanthrope.
Quelles sont tes influences et quelle est la portée de tes paroles ?
F.C. : C’est la première fois
que j’écrivais des textes en français donc j’ai essayé d’être le plus simple
possible. Je n’ai pas vraiment de référent littéraire, je lis beaucoup
Lovecraft, ce genre de choses mais ça n’a rien à voir avec ce que j’ai voulu
faire là. Déjà j’ai voulu chanter en français parce que c’est mon pays, c’est une langue que je trouve magnifique,
vraiment belle, aujourd’hui où énormément de groupes ont envie de se faire
comprendre du plus grand nombre j’ai préféré de prendre un chemin complètement
inverse pour être fidèle à ce que je ressentais, fidèle à ce que je disais. Je
ne suis pas très bon en anglais donc j’avais pas non plus envie de biaiser les
textes et de ne pas vraiment réussir à m’exprimer au travers d’une langue que
je ne maîtrise pas, c’est pour ça que le français est arrivé sur la table,
c’était très évident. Après y a une « prose survivaliste », c’est
clair, le constat de ce monde dans lequel on vit, malaise absolu pour moi, avec
des choses dans lesquelles je ne me reconnais pas, dans lesquelles je ne me
sens pas à l’aise donc y a eu le besoin de cracher un peu ce venin sur le
papier avec de l’encre et un côté guerrier, un côté froid parce que c’est ce
que je ressentais à ce moment là quand j’ai écrit Serpentine. C’est un
album qui est souvent décrit comme atmosphérique alors qu’il est plein de
fureur, qui ne se perçoit peut-être pas mais pour moi ça a été ça, c’est un
album où la fureur prédomine, l’envie de cracher quelque chose. Y a eu un
sentiment d’urgence pour moi quand j’ai fait cet album là, c’est un album que
j’ai composé très vite et je pense que ce besoin d’urgence se ressent dans les
textes et dans les thèmes abordés.
Radio Metal Sound : Du coup
est-ce que ce rapport au français et à l’expression peut expliquer pourquoi les
paroles sont aussi compréhensibles, mises en avant, là où d’autres groupes de
Black vont plutôt sous mixer les paroles ?
F.C. : Oui, j’avais envie de ne
pas sous mixer cette voix, j’avais une réelle envie de faire écouter mes
textes, de ne pas avoir à déchiffrer quelque chose. On est obligé de déchiffrer
car le chant hurlé veut que mais j’ai essayé de le rendre le plus lisible
possible pour l’auditeur, c’était une volonté de ma part, j’ai toujours voulu
ça et je n’aime pas quand le chant est considéré comme quelque chose d’annexe,
c’est un instrument comme un autre, qui demande du travail, qui est extrêmement
physique en studio – moi ça m’a demandé beaucoup – et je trouvais que c’aurait
été dommage de le sous mixer et que ça passe dans une nappe, dans un fond
sonore plutôt que quelque chose de réellement impactant. Ca c’est aussi décidé
au mixage parce que la voix rendait bien, c’était audible, j’avais fait ce que
j’avais envie de faire donc on a décidé de la mettre plus ou moins au même
niveau qu’une batterie et que les guitares avec des riffs incisifs, j’ai voulu
ce côté-là. J’ai voulu rendre honneur à la langue française en permettant de
distinguer clairement que c’était pas juste des cris de chouette dans une forêt
mais que y avait un mec qui avait envie de dire des choses.
RMS : Tu disais que le groupe
avait été qualifié d’atmosphérique et que tu ne t’y retrouvais pas vraiment
mais au contraire j’y ai plutôt retrouvé un Black Metal assez furieux et
« traditionnel ». Quelle est l’importance de ce parti-pris en tant
que compositeur et en tant que musicien ?
F.C. : Pour être honnête j’ai
pas forcément de parti-pris, la musique que je compose sort et je ne me donne
pas de schéma ou d’obédience stylistique pour composer : je prends une
guitare, je fais des riffs et ce qui en sort c’est ça. Quand je parle
d’atmosphérique on discute beaucoup avec certains copains, c’est un peu bizarre
car pour moi le Black Metal est de nature atmosphérique, c’est un style qui est
de nature atmosphérique dans son ensemble. Même furieux il est atmosphérique et
c’est pour moi le symbole même du Black Metal, c’est une musique atmosphérique,
une musique d’ambiance. A contrario des groupes de Thrash ou de Death Technique
on sent que là tout est basé sur la prod’, sur l’approche musicale de la chose.
On sait que le Black Metal on s’en écarte car on a peut-être plus envie de
donner une émotion et un ressenti différent. Donc j’ai pas de parti-pris
particulier, ce que je fais je le fais avec mes tripes et avec l’honnêteté la plus
totale. J’essaye de pas me mentir à essayer de faire des riffs pour plaire ou
quoi que ce soit, je compose ce que j’ai envie d’écouter moi et ce qui me plait
à jouer et après ça rend ce que t’as pu entendre sur Serpentine. Après
on est une formation assez jeune, le groupe s’est formé en 2007 à l’époque où
j’étais sur Bordeaux et j’ai du le mettre en stand-by car j’avais intégré Svart Crown à temps plein et ça me
demandait beaucoup de temps, et puis des problèmes de line-up et des
changements de région ont fait que le groupe a été mis en stand-by pendant
presque dix ans mais oui, c’est un groupe jeune parce qu’il vient de sortir
notre premier album
RMS : Le concert d’aujourd’hui
m’a paru peut-être encore plus lourd qu’en CD, on sentait plus les influences
Doom que d’autres chroniqueurs ont pu noter. Est-ce que, comme tu as repris Hyrgal, c’est une conséquence de ton
implication dans Pillars ou est-ce
que les deux groupes sont les deux faces d’une même pièce ?
F.C. : J’ai toujours eu envie
de faire des choses différentes dans la musique, après j’ai mes influences,
j’écoute beaucoup de Doom, j’ai chanté pendant trois ou quatre ans dans Pillars mais je ne suis plus dedans
maintenant. Quand j’ai attaqué l’album, Pillars
était pas forcément présent dans ma vie donc je pense pas que ça ait influencé
ma composition par contre je pense que mes influences directes en tant
qu’auditeur et amateur de musique se sont fait retranscrire. Je pense qu’Etrusca Disciplina, le dernier morceau,
le début et Yob est un groupe que
j’aime beaucoup dans la manière de riffer de Mike Scheidt, là je pense que oui
ça a pu se ressentir. Donc c’est plus moi, mes influences personnelles que mon
intégration dans Pillars qui ont
fait qu’on ressent ça.
RMS : Tu parlais des problèmes
de line-up et ça fait deux ans que Serpentine est sorti, qu’as-tu de
prévu pour la suite de Hyrgal ?
F.C. : Déjà un nouvel album, je
suis dessus. Après j’ai eu d’autres activités musicales qui ont fait que je me
suis calmé car j’ai réintégré un autre projet et j’étais en studio pour un
nouvel album et je suis en train de finir le prochain album de Hyrgal. J’ai déjà beaucoup de
choses : le nom, l’artwork, pas mal de paroles… Ca va être un album
intense, c’est assez fidèle à la suite de Serpentine qui est un album
très colérique. Là le nouvel album va me permettre de me remettre de certains
traumatismes mais tu comprendras dans le nom de l’album quand tu le verras,
quand tu liras les paroles. La musique est pratiquement composée aussi, il me
reste à travailler vraiment sur un titre. Va y avoir beaucoup de choses,
peut-être des choses différentes qui vont marquer, qui vont étonner. Tu parlais
de Doom, je pense qu’il y a aussi des choses dans lesquelles tu va aussi te
retrouver. Voilà, j’essaye de le finir et normalement à la rentrée on devrait
l’enregistrer là au mois d’Octobre donc ça devrait arriver bientôt.
RMS : Toujours par rapport à la
prestation d’aujourd’hui. La prestation d’aujourd’hui m’a fait l’effet d’une
prestation presque pour soi, intime, peut-être plus pour soi que pour le
public, est-ce que c’est le cas ?
F.C. : C’est pas faux, après
bien sûr qu’on joue pour un public. Je suis le gars le plus heureux du monde
quand les gens sont réceptifs au message que je veux passer et qu’ils sont
réceptifs à ma musique, je pense que c’est le principe même d’un musicien sinon
j’en ferai pas, je ferai de la musique chez moi. Bien sûr que l’égo humain et
l’égo de chacun a envie qu’on soit écouté du plus grand nombre par contre après
dans nos prestations je travaille aussi avec des gens, hormis Ranko à la
batterie qui est batteur de Svart Crown
à temps plein, qui sont des gens qui font de la musique pour eux et qui ont
besoin de ça pour exprimer, pour évacuer certaines choses donc je pense que ce
côté intimiste tu le ressens là dedans, dans cette urgence et dans cette espèce
d’émotion qu’on a nous quand on joue cette musique là. Elle est peut-être moins
dans le partage car on est moins comme certains groupes à haranguer mais le
cœur y est beaucoup, on essaye de connecter avec les gens qu’on a en face mais
après, oui, on joue notre musique avant tout pour nous, de manière la plus
simpliste et la plus honnête possible, c’est notre leitmotiv.
RMS : Justement, tu parlais du
message mais là où le Hellfest est le lieu de la généralisation du Metal, un
lieu d’insouciance et du coup pour toi qui fait un Black Metal assez sombre et
critique – Hyrgal n’est pas vraiment
l’insouciance et les kigurumis -, comment tu ressens la transmission du message
au Hellfest et comment arrives-tu à faire la part des choses ?
F.C. : Si on ne fait pas la
part des choses on est mal barré, surtout dans mon groupe. Je fais aussi la
part des choses dans le sens où je me dis que, ok, dans ce festival comme tu le
dis il y a des gens costumés, des gens qui sont peut-être là plus pour la fête
que pour la musique, mais je peux pas m’empêcher de croire qu’au milieu de tout
ça y a quand même des gens qui ont envie de découvrir de la musique, qui ont
envie d’écouter de la musique et peut-être qui ont été sensibles à mon message.
C’est peut-être pas la majorité, c’est peut-être même une énorme minorité mais
pour cette petite minorité je me dois aussi de le faire et de le faire de la
manière la plus honnête possible donc s’ils sont trois, dix, tant mieux, pour
moi le pari est réussi, le reste je m’en cogne. Si les gens ont préféré aller
boire des bières ou si ça leur parle pas ça les regarde, c’est leurs choix et
c’est leurs goûts musicaux, moi-même pour quatre personnes je ferai le même
show, que la scène fasse mille mètres carrés où quatre mètres carrés dans un
squat en Pologne ce sera la même chose pour moi. Donc elle est faite comme ça
la part des choses, c’est une prestation que je propose à des gens aujourd’hui,
si les gens ont envie de s’y retrouver et qu’ils s’y retrouvent je suis le plus
heureux du monde, si ça leur parle pas tant pis après c’est sûr que c’est
peut-être pas le lieu ultime pour présenter un Black Metal intimiste et basé
sur l’émotion mais il fallait le faire, il fallait aussi qu’on se confronte
avec Hyrgal puisque c’est la seule
date de l’année.
RMS : Une question plus légère,
Hyrgal a sorti un split avec Bâ’a et Verfallen qui sont des connaissances du groupe et du coup qu’est-ce
que ce travail et ces différences ont pu t’apporter ?
F.C. : Ce split a été fait
d’une manière un peu bizarre. Les gens autour de moi sont des gens qui ont du
talent, je pense à Maximilien de Bâ’a
qui est mon guitariste live et Manu qui fait Verfallen qui était mon batteur avant dans Hyrgal. Ce sont des gens qui ont du talent, ce sont des gens qui
ont des choses à dire et qui font ça dans leur coin, dans leur chambre, et je
me suis dit : « Si je pouvais aussi aider des amis à s’exprimer,
peut-être que le split était un bon moyen de le faire ». On venait de
sortir une production chez Les Acteurs de l’Ombre, c’était peut-être l’occasion
d’embrayer derrière, moi j’avais des titres que j’avais pas mis sur Serpentine
car ils sont totalement différents de l’album, je sais pas si t’as pu écouter
le split mais ils ont pour moi rien à voir et du coup on s’est dit autour d’une
table, autour d’un verre : et si on faisait quelque chose
ensemble pour sceller notre amitié varoise, nos travaux. Moi j’aime
beaucoup la musique qu’ils font, c’est une musique qui me parle beaucoup donc
on a décidé de mettre en route un truc comme ça, à trois copains, et on a sorti
cette galette là. Après dans la composition moi j’aime beaucoup Bâ’a et Verfallen dans leur manière de travailler, ce sont des groupes qui
n’ont pas de vraie corrélation musicale mais une vraie corrélation humaine et
artistique je trouve donc ça tombait pile poil. Tout est dans la
pochette : le triangle au milieu, les symboles, les signes sont présents
partout y a qu’à les voir du coup c’est le symbole de notre union d’avoir cette
espèce de triangularité de ces personnes dans le Sud qui travaillent de leur
côté, qui ont des choses, qui s’expriment de leur manière, avec leurs moyens
d’expression et je trouvais ça beau. Je me suis dit que c’était intéressant
pour moi de développer quelque chose comme ça et ça m’a fait grandement plaisir
de le faire.
RMS : Mais du coup on peut
considérer que la volonté de promouvoir est réussie car si je me trompe pas le
split est sorti chez LADLO ?
F.C. : Exactement, c’est une
réussite. Faudra leur demander si ça leur convient.
RMS : Une dernière
question : comment tu te sens maintenant avec un retour sur scène dans un
projet plus intimiste, vis-à-vis des acteurs de la scène Black Metal quels
qu’ils soient ?
F.C. : Moi je me sens bien
quand j’ai une guitare dans les mains et que ça envoie le bois je me sens bien.
Après je suis pas quelqu’un qui fait partie de la « scène », je me
montre très peu, je suis pas très présent sur les évènements, j’aime pas
pavaner donc pour moi cette scène elle est dans le cœur des gens plus que dans
les magazines ou dans les choses comme ça donc je fais mon truc de mon côté et
je suis très bien quand je suis sur scène, je suis très bien à brailler ce que
j’ai à brailler dans mon micro, le message il passe et beaucoup de choses se
passent pour moi sur scène. Y a un mur qui se passe, qui n’était pas forcément
le cas dans Svart Crown qui est un
groupe un peu moins niche, un peu plus lisible avec tout le monde, où on fait
un autre show ; là justement je suis complètement droit dans mes bottes,
je suis dans ce que j’aime faire, ce que j’aime dire, dans la langue que j’aime
et je me sens – je dirais pas le plus heureux du monde parce que c’est pas vrai
– mais le plus honnête et le plus intègre possible.
RMS : Et bien voilà, j’ai
épuisé toutes mes questions, je te laisse le dernier mot.
F.C. : Et bien merci beaucoup,
merci à tous ceux qui étaient là ce matin, merci à tous pour le soutien qu’on
nous témoigne parce qu’il y en a et rendez-vous l’année prochaine avec une
nouvelle galette et vous me direz ce que vous en pensez.
Ce sera tout pour cette interview assez prodigue en informations et très agréable. Je vous invite vivement à aller soutenir Hyrgal en passant par Les Acteurs de l'Ombre ou par Bandcamp et à suivre leur actualité sur Facebook.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.