Edremerion - Ambre Gris
Chroniques
2 Mai 2019
L’ambre gris, cette substance mystérieuse que l’on trouvait jadis aux frontières des océans. Puant mais prisé des riches, ce matériau aussi vulgaire que noble catalyse peut-être le mieux ce que peut être le Black Metal lorsqu’il se respecte. C’est ce titre qu’aura choisi Edremerion pour leur dernier album paru chez Anesthetize Productions.
Bien que celui-ci n’ait que cinq morceaux, l’album est d’une durée convenable puisque les morceaux ne descendent jamais en-dessous de sept minutes. Alors allons jeter un coup d’œil, renifler un peu cet Ambre Gris qu’a vomi Edremerion.
Dès l’ouverture de l’album notre contrat est à moitié rempli: on a le gris, il ne manque que l’ambre. Tirant son nom d’une rivière des Hauts-de-France au cœur des bassins miniers - la Deûle, le premier morceau débute par des bruits étranges, comme des râles possédés. L’ambiance est d’emblée annoncée : le rythme à la croche saccadée et les deux notes doublées de la guitare créent une bizarrerie musicale dont la mélodie ressort sans qu’on puisse pour autant l’identifier d’un seul trait. On peut déjà noter la présence d’un chant hurlé assez compréhensible qui décrit la Deûle souillée, polluée et canalisée. Car si la chanson longe une rivière, c’est pourtant l’exacte antithèse du bucolique : rien n’est sain ou libre, la rivière transporte tous les vices de l’homme et reflète la misanthropie du groupe envers l’homme délétère. On retombe ensuite dans un Black plus classique et fourni où l’espace sonore est bien plus investi ce qui dénote avec la sobriété de la première partie au registre Avant-garde. Après une reprise du premier thème, le groupe va inaugurer un troisième moment, plus chaotique, où les guitares laissent longuement trainer leurs notes tritoniques avant d’entamer en chœur un trémolo picking qui inclut les fluctuations précédentes jusqu’à se ralentir pour une quatrième partie plus lente qui clôt notre croisière par une ambiance froide et saturée.
On passe ensuite à un morceau au titre plus évocateur : Lèpre. Tissant la dédicace de l’album à Peder Olsen Feidie, le morceau nous conte l’histoire d’un jeune homme éclopé dont la joie a tourné au malheur. On a alors une ambiance moins misanthrope qu’auparavant mais plus sombre et déprimante. C’est donc assez logiquement que le morceau se présente dans un Black Metal assez classique dont la vraie spécificité ne se dévoile qu’à la fin de la troisième minute : collant à cette aura d’asile, les râles d’ouverture d’album reviennent nous hanter alors qu’une voix rauque et grave dégoise son texte. Enumérant les maladies et les blessures, PEB montre par ses hurlements aigus ou gutturaux qu’il n’est pas un chanteur de pacotille avant de céder la place aux guitares pour un retour à un Black Metal orthodoxe mais néanmoins efficace puisque son crescendo en vitesse et en intensité lui permet de prendre de plus en plus d’ampleur.
Le troisième titre, Ambre Gris, dévoile enfin le thème de l’album : on y retrace l’itinéraire de l’ambre gris, une substance puante et molle excrétée par les cachalots qui devient un bon excipent de parfum si on le laisse sécher.
Les guitares de R et de T entament ce morceau par des riffs houleux soutenus par les harmonies résonnantes et lointaines des guitares. Rappelant par moments la scène québécoise, s’en suit alors un Black au tempo médium et marqué plutôt prenant. Ralentissant, les guitares vont se faire instruments d’ambiance en instaurant un passage de flottement avec un retour de la prose qui vient décrire le recueillement de cette masse graisseuse sur les plages. On retrouve ensuite un passage d’Avant-garde vers la septième minute qui est bien plus étrange par son minimalisme et son équilibre précaire puisque les tritons résonnent en ne laissant que des arpèges en harmonie branlante. C’est alors que PEB décrit le travail démiurgique de l’artisan qui transforme le détritus en ambre, offrant aux riches ce qui ne reste malgré tout qu’un détritus et nous offrant à nous un Black Metal plus véloce qui vient tronçonner l’espace sonore avant de s’arrêter net.
Sur sa suite, Déchets nés est plus… déconcertant. Commençant par un extrait de Jean-Charles Bourquin (porteur d’un délire d’invasion extraterrestre révélé par l’émission Salut Les Geeks), on ne voit pas trop ce que cette bande sonore vient faire ici. Et pourtant, Bourquin tisse un parallèle entre ces saloperies d’extraterrestres à exterminer et les humains. Sous l’apparence humoristique se cache donc une misanthropie revendiquée qui vient faire écho au titre.
La musique du morceau est un Black Metal mid-tempo où l’on sent les influences Thrash tout en incorporant plusieurs riffs intéressants. Dans son délire d’extermination, le morceau est plus racé et martial que ses prédécesseurs et le jeu entre « déchets nés » et « déchaîné » met en parallèle le vice humain et la haine qu’il suscite. Porteur d’un slogan galvanisant, le morceau est de loin le plus prenant d’Ambre Gris et le titre dans lequel Edremerion montre le plus sa capacité créatrice en mêlant le Black Metal à différents styles et en harmonisant des jeux de guitare radicalement antithétiques. Et si on peut reprocher aux autres morceaux leur fin un peu trop brusque, pas assez inspirée, on regretterait presque qu’un morceau aussi catchy que celui-là se finisse sur un passage d’ambiance aux effets qui grésillent.
Cependant, cette critique peut être nuancée par le constat que la transition vers le dernier morceau est plutôt naturelle puisqu’on retrouve cette même réverbération dans Les étoiles ne sont pas pour l’Homme. D’une manière encore plus revendiquée que pour Deûle, le groupe y critique la modernité et sa fuite vers l’avant à la conquête de nouvelles planètes à coloniser après avoir pourri la Terre jusqu’au ciel. Le Black alterne entre la désarticulation et la cacophonie aux blastbeats et à la double-pédale que les notes piquées et syncopées viennent saupoudrer d’une mélodie plus distincte. Bien plus que la voix grave et lente que nous avons déjà entendue, Les étoiles ne sont pas pour l’Homme apporte cette fois ci deux nouvelles voix aux effets de radio vieillie qui nous expliquent le désarroi de l’homme lorsque les portes des cieux se referment devant lui, le condamnant à la déchéance qu’il mérite.
C’est alors assez logiquement que ce passage, ode à la mort que nous avons bien cherchée, se fait avec un Black Metal virulent alors que PEB égraine toutes les étoiles qui nous échappent et que nous ne verrons jamais que de loin. On peut par ailleurs noter l’audace d’avoir fini le morceau sur un cri rauque tenu en soliste qui perce durement par son agressivité avant de laisser place à l’atmosphère spatiale des synthés.
« Edremerion, c’est l’infini mis à la portée des caniches ». Cette phrase revendiquée par le groupe semble synthétiser tout ce qu’est Ambre Gris. A l’exact opposé de l’amour que l’on trouve originellement dans cette phrase se trouve la misanthropie et la noirceur du Black Metal. Dans un mouvement célinien, le groupe critique la modernité et sa lourdeur : égoïsme, finance, superficialité, servitude… c’est tout l’appareillage de l’homme infirme que le groupe méprise en mêlant la littérarité des textes et le quotidien des mots. L’influence de Céline est donc immense, tant dans le sentiment global qui se dégage de l’album que dans son écriture ou dans son thème.
Pour ce qui est de la musique, Edremerion semble hésitant - hésitant entre l’innovation de l’Avant-garde et ses œuvres complexes et le Black Metal plus rudimentaire mais efficace. Car si l’album a de bonnes idées de composition et des passages créatifs, il n’apporte rien de véritablement nouveau et c’est regrettable puisqu’on sent que certaines idées auraient pu être exploitées plus en profondeur et le mixage est parfois un peu trop lisse ce qui ne permet pas de profiter du relief des passages plus complexes. On est donc sur album de Black Metal qui plaira à n’en pas douter aux amateurs du genre mais que sa timidité dessert puisqu’il manque quelque peu d’identité. Ambre Gris est donc un bon album mais quelque peu frustrant au regard du potentiel que laisse entrevoir Edremerion, je ne peux donc qu’encourager le groupe à radicaliser son art et à laisser éclater au grand jour son identité musicale.
Bien que celui-ci n’ait que cinq morceaux, l’album est d’une durée convenable puisque les morceaux ne descendent jamais en-dessous de sept minutes. Alors allons jeter un coup d’œil, renifler un peu cet Ambre Gris qu’a vomi Edremerion.
Dès l’ouverture de l’album notre contrat est à moitié rempli: on a le gris, il ne manque que l’ambre. Tirant son nom d’une rivière des Hauts-de-France au cœur des bassins miniers - la Deûle, le premier morceau débute par des bruits étranges, comme des râles possédés. L’ambiance est d’emblée annoncée : le rythme à la croche saccadée et les deux notes doublées de la guitare créent une bizarrerie musicale dont la mélodie ressort sans qu’on puisse pour autant l’identifier d’un seul trait. On peut déjà noter la présence d’un chant hurlé assez compréhensible qui décrit la Deûle souillée, polluée et canalisée. Car si la chanson longe une rivière, c’est pourtant l’exacte antithèse du bucolique : rien n’est sain ou libre, la rivière transporte tous les vices de l’homme et reflète la misanthropie du groupe envers l’homme délétère. On retombe ensuite dans un Black plus classique et fourni où l’espace sonore est bien plus investi ce qui dénote avec la sobriété de la première partie au registre Avant-garde. Après une reprise du premier thème, le groupe va inaugurer un troisième moment, plus chaotique, où les guitares laissent longuement trainer leurs notes tritoniques avant d’entamer en chœur un trémolo picking qui inclut les fluctuations précédentes jusqu’à se ralentir pour une quatrième partie plus lente qui clôt notre croisière par une ambiance froide et saturée.
On passe ensuite à un morceau au titre plus évocateur : Lèpre. Tissant la dédicace de l’album à Peder Olsen Feidie, le morceau nous conte l’histoire d’un jeune homme éclopé dont la joie a tourné au malheur. On a alors une ambiance moins misanthrope qu’auparavant mais plus sombre et déprimante. C’est donc assez logiquement que le morceau se présente dans un Black Metal assez classique dont la vraie spécificité ne se dévoile qu’à la fin de la troisième minute : collant à cette aura d’asile, les râles d’ouverture d’album reviennent nous hanter alors qu’une voix rauque et grave dégoise son texte. Enumérant les maladies et les blessures, PEB montre par ses hurlements aigus ou gutturaux qu’il n’est pas un chanteur de pacotille avant de céder la place aux guitares pour un retour à un Black Metal orthodoxe mais néanmoins efficace puisque son crescendo en vitesse et en intensité lui permet de prendre de plus en plus d’ampleur.
Le troisième titre, Ambre Gris, dévoile enfin le thème de l’album : on y retrace l’itinéraire de l’ambre gris, une substance puante et molle excrétée par les cachalots qui devient un bon excipent de parfum si on le laisse sécher.
Les guitares de R et de T entament ce morceau par des riffs houleux soutenus par les harmonies résonnantes et lointaines des guitares. Rappelant par moments la scène québécoise, s’en suit alors un Black au tempo médium et marqué plutôt prenant. Ralentissant, les guitares vont se faire instruments d’ambiance en instaurant un passage de flottement avec un retour de la prose qui vient décrire le recueillement de cette masse graisseuse sur les plages. On retrouve ensuite un passage d’Avant-garde vers la septième minute qui est bien plus étrange par son minimalisme et son équilibre précaire puisque les tritons résonnent en ne laissant que des arpèges en harmonie branlante. C’est alors que PEB décrit le travail démiurgique de l’artisan qui transforme le détritus en ambre, offrant aux riches ce qui ne reste malgré tout qu’un détritus et nous offrant à nous un Black Metal plus véloce qui vient tronçonner l’espace sonore avant de s’arrêter net.
Sur sa suite, Déchets nés est plus… déconcertant. Commençant par un extrait de Jean-Charles Bourquin (porteur d’un délire d’invasion extraterrestre révélé par l’émission Salut Les Geeks), on ne voit pas trop ce que cette bande sonore vient faire ici. Et pourtant, Bourquin tisse un parallèle entre ces saloperies d’extraterrestres à exterminer et les humains. Sous l’apparence humoristique se cache donc une misanthropie revendiquée qui vient faire écho au titre.
La musique du morceau est un Black Metal mid-tempo où l’on sent les influences Thrash tout en incorporant plusieurs riffs intéressants. Dans son délire d’extermination, le morceau est plus racé et martial que ses prédécesseurs et le jeu entre « déchets nés » et « déchaîné » met en parallèle le vice humain et la haine qu’il suscite. Porteur d’un slogan galvanisant, le morceau est de loin le plus prenant d’Ambre Gris et le titre dans lequel Edremerion montre le plus sa capacité créatrice en mêlant le Black Metal à différents styles et en harmonisant des jeux de guitare radicalement antithétiques. Et si on peut reprocher aux autres morceaux leur fin un peu trop brusque, pas assez inspirée, on regretterait presque qu’un morceau aussi catchy que celui-là se finisse sur un passage d’ambiance aux effets qui grésillent.
Cependant, cette critique peut être nuancée par le constat que la transition vers le dernier morceau est plutôt naturelle puisqu’on retrouve cette même réverbération dans Les étoiles ne sont pas pour l’Homme. D’une manière encore plus revendiquée que pour Deûle, le groupe y critique la modernité et sa fuite vers l’avant à la conquête de nouvelles planètes à coloniser après avoir pourri la Terre jusqu’au ciel. Le Black alterne entre la désarticulation et la cacophonie aux blastbeats et à la double-pédale que les notes piquées et syncopées viennent saupoudrer d’une mélodie plus distincte. Bien plus que la voix grave et lente que nous avons déjà entendue, Les étoiles ne sont pas pour l’Homme apporte cette fois ci deux nouvelles voix aux effets de radio vieillie qui nous expliquent le désarroi de l’homme lorsque les portes des cieux se referment devant lui, le condamnant à la déchéance qu’il mérite.
C’est alors assez logiquement que ce passage, ode à la mort que nous avons bien cherchée, se fait avec un Black Metal virulent alors que PEB égraine toutes les étoiles qui nous échappent et que nous ne verrons jamais que de loin. On peut par ailleurs noter l’audace d’avoir fini le morceau sur un cri rauque tenu en soliste qui perce durement par son agressivité avant de laisser place à l’atmosphère spatiale des synthés.
« Edremerion, c’est l’infini mis à la portée des caniches ». Cette phrase revendiquée par le groupe semble synthétiser tout ce qu’est Ambre Gris. A l’exact opposé de l’amour que l’on trouve originellement dans cette phrase se trouve la misanthropie et la noirceur du Black Metal. Dans un mouvement célinien, le groupe critique la modernité et sa lourdeur : égoïsme, finance, superficialité, servitude… c’est tout l’appareillage de l’homme infirme que le groupe méprise en mêlant la littérarité des textes et le quotidien des mots. L’influence de Céline est donc immense, tant dans le sentiment global qui se dégage de l’album que dans son écriture ou dans son thème.
Pour ce qui est de la musique, Edremerion semble hésitant - hésitant entre l’innovation de l’Avant-garde et ses œuvres complexes et le Black Metal plus rudimentaire mais efficace. Car si l’album a de bonnes idées de composition et des passages créatifs, il n’apporte rien de véritablement nouveau et c’est regrettable puisqu’on sent que certaines idées auraient pu être exploitées plus en profondeur et le mixage est parfois un peu trop lisse ce qui ne permet pas de profiter du relief des passages plus complexes. On est donc sur album de Black Metal qui plaira à n’en pas douter aux amateurs du genre mais que sa timidité dessert puisqu’il manque quelque peu d’identité. Ambre Gris est donc un bon album mais quelque peu frustrant au regard du potentiel que laisse entrevoir Edremerion, je ne peux donc qu’encourager le groupe à radicaliser son art et à laisser éclater au grand jour son identité musicale.
A propos de Baptiste
Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.