Interview Pensées Nocturnes

Interview Pensées Nocturnes

Interviews 4 Avril 2019
A l'occasion de la sortie de Grand Guignol Orchestra, j'ai eu l'occasion d'échanger avec Vaerohn, leader de Pensées Nocturnes sur l'album et sur le projet derrière le groupe. Les réponses qu'il m'a apportées éclairent brillamment sa musique et développent une approche résolument détachée de l'académisme du Black Metal. 


Radio Metal Sound
: Là où le Black Metal a une esthétique tragique et sombre, Pensées Nocturnes se distingue par son côté burlesque et bigarré. Comment t’appropries-tu les différentes esthétiques dans ta démarche ? 

Pensées Nocturnes : Pensées Nocturnes est une vision tragique de la vie et de notre société, ni trop désespérée ou fataliste, ni béatement exaltée, mais plutôt réaliste sur sa condition et sa fin. Un rire moqueur envers tout ce qui est sûr de soi, des causes défendues et de tous les combats. Les gens emplis de certitude sont mon pain quotidien. Pensées Nocturnes c’est donc la moquerie dans tout ce qu’il y a de plus facile et de plus bas, une vision cynique et nihiliste de notre ère : l’homme, son inconscience, son abrutissement, son animalité, la politique, la mort, la vie, la boisson, le sexe… Pas d’optimisme naïf, de plan sur la comète, d’amour de l’amour ou de haine de la haine, mais un rire facile, moqueur, sans idéal ni solution. Ainsi Pensées Nocturnes se joue du Black Metal, le tourne en dérision comme tout ce qui est empli de certitude. 
La majorité des groupes de Black Metal appellent à une espèce de divinité mystique, une puissance supérieure de la musique qui les guiderait dans leur approche artistique. Comme s'ils n'étaient que les pantins de cette divinité supérieure. J'estime pour ma part être le maître absolu de mes choix et un simple artisan de vibrations acoustiques. 
Pensées Nocturnes est une musique matérialiste, à boire et à manger, ici et maintenant. 

Radio Metal Sound : De même, ta musique est très bigarrée, hétéroclite. Comment composes-tu des morceaux si divers ?  

Pensées Nocturnes : Je dirais que la trame des morceaux est en général définie par la place qu’ils tiennent dans l’album mais que les détails sont eux pensés secondairement, durant la composition : un peu comme un peintre tracerait les gros traits de son tableau avant d’emprunter les pointes fines. Pour schématiser, la destination est connue mais pas forcément les chemins à emprunter, le parcours se dessinant au fur et à mesure. L’expérimentation étant prédominante dans Pensées Nocturnes il est pratiquement impossible de savoir à quoi ressemblera un morceau et c’est d’ailleurs tout ce qui fait le charme du projet : le fond est déjà pensé, ne reste plus qu’à lui trouver la forme la adéquate. Pour Grand Guignol Orchestra, certains passages datent de plus de deux ans. Fidèle à mon habitude, je pétris, travaille, retouche et remodèle sans arrêt les différents passages. Pensées Nocturnes est une pâte feuilletée que je ne cesse de plier, les couches s'empilent et s'additionnent sans répit. 
Jamais un morceau ne tombe du ciel tout cru, tout est le résultat d'un travail de tous les instants. La conséquence en est une densité certaine mais également un contrôle parfait de chaque détail. 
Tout est traité, jaugé, écouté et réécouté des dizaines de fois. La majorité des instruments sont joués par moi-même ou d'autres musiciens, comme pour le live. Il reste néanmoins un petit nombre d'ambiances ou d'instruments trop exotiques qui restent de la programmation. Le nombre de ces derniers diminue d'album en album.  

RMS : Si le travail de composition saute aux yeux, l’écriture est plus subtile dans ses jeux et dans son style. Pourtant, la qualité est bel est bien là. Dès lors, quelle importance attaches-tu à l’écriture ?  

PN : L'écriture est un élément qui prédomine la réflexion, avant même le démarrage de la composition. L'ambiance générale et les enchaînements suivent sa logique. Au-delà des multiples jeux de mots qui nécessitent une créativité de tous les instants, c'est la direction générale des morceaux qu'il convient de développer. L'écriture en français est en ce sens primordiale pour moi afin de s'autoriser le maximum de liberté et la maîtrise totale du procédé.  

RMS : Quelle démarche suis-tu en incorporant des références cinématographiques (Tontons Flingueurs, Les Valseuses, Les Temps Modernes…) dans tes morceaux ?  

PN : Je suis un bien trop piètre amateur de 7ème art pour pouvoir exposer une analyse fort à propos sur le sujet. L'idée générale reste d'inscrire Pensées Nocturnes dans le réel et la culture populaire pour ne pas en faire un ovni totalement détaché du monde. Il s'agit de faire appel à des œuvres connues de tous pour déclencher une sorte de lien à priori totalement incongru mais finalement relativement naturel avec Pensées Nocturnes.  

RMS : A travers toutes ces références, tous ces styles et toutes ces expériences, comment abordes-tu la question de la cohérence pour Pensées Nocturnes

PN : La conservation de la cohérence est un élément central de la réflexion et demeure un des points qui à mon sens s'améliore d'album en album chez Pensées Nocturnes. Il est indispensable de s'imposer le temps de la prise de recul lors de la phase de créativité et d'expérimentation. Parvenir à mettre de côté le résultat de plusieurs jours de travail par impossibilité de l'intégrer à l'œuvre globale n'est pas chose facile et nécessité une capacité d'autocritique non évidente. Il faut parvenir à jongler entre les moments de liberté, durant lesquelles la bride est totalement lâchée, et les phases de réflexion quant à la direction générale de l'album. Trouver le juste milieu entre du plat recopiage et un feu d'artifice d'idée sans aucun lien en elles.  

RMS : Pourquoi avoir choisi d’associer Grand Guignol Orchestra à un cabinet de curiosité ? 

PN : J'imagine que tu fais référence au sample de l'introduction. L'idée d'inviter un auditoire venir observer un univers encore inconnu, mélange d'objets plus incongrus les uns que les autres, me semble parfaitement correspondre à un album de Pensées Nocturnes. L'idée restant de mettre à bas certains procédés et habitudes bien trop ancrées. 

RMS : Que ce soit Poil de Lune, L’Alpha Mal, etc., l’album a une portée subversive évidente. Comment associes-tu cela à la création musicale ? 

PN : Cela devrait tout simplement être intrinsèque à tout mouvement qui s'inscrit en contre, à l'image du Black Metal. J'imagine plus mon rôle comme celui d'un lanceur de tartes à la crème fourrées de lames de rasoir que celui d'un contenteur de masse. Mon obsession de tous les instants reste de mettre à mal les auditeurs lambda de metal extrême. Il s'agit dans un premier temps de respecter les bases pour ne pas trop les perdre et ensuite contourner ces règles admises de tous afin de mettre à mal ces us et coutumes totalement dépassées. Il est toujours étonnant d'observer à quel point tout mouvement s'insurgeant contre une certaine forme de rigidité tend à s'imposer les mêmes formes de contraintes. 

RMS : Enfin, quel avenir prévois-tu pour Pensées Nocturnes ?

PN : Un nombre important de dates est à venir dans les prochaines semaines pour accompagner la sortie de Grand Guignol Orchestra. Que cela soit pour le live ou la composition nous sommes en perpétuelle recherche de nouvelles idées en termes de décor, d'instruments, ou de mise en scène. L'objectif étant de ne pas ennuyer les spectateurs ayant l'occasion de nous voir à plusieurs reprises mais surtout de ne pas tomber dans une routine languissante qui serait fort préjudiciable à notre créativité. En bref, énormément de choses non encore sont développées sont à attendre de Pensées Nocturnes.


Cependant, les mots ne pourront jamais vous faire approcher de toute l'extravagance et la fraîcheur de Pensées Nocturnes. Pour cela, je vous conseille vivement d'aller voir le groupe en concert, le spectacle est garanti ou d'acheter ses différents CDs - tous sont très bons. Pour cela, vous pouvez passer par Bandcamp, par les Acteurs de l'Ombre et vous pouvez aussi suivre le groupe sur Facebook pour s'informer de son actualité. 

A propos de Baptiste

Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.