Interview - Kalandra (Samhain Festival 2025)
Interviews
15 Novembre 2025
Le 31 octobre 2025, Gauvain a pu rencontrer le groupe Norvégien Kalandra pour échanger pendant une bonne trentaine de minutes sur le dernier album A Frame of Mind, leurs tournées, leur processus créatif, leur EP Mørketid ainsi que d’autres petites choses qu’on vous laisse découvrir ici.
Lors de cet entretien, nous avions la totalité du groupe, soit :
- Katrine Ødegård Stenbekk : Chant
- Florian Bernhard Döderlein Winter : Guitare, chant
- Jogeir Daae Mæland : Guitare, claviers, chant
- Oskar Johnsen Rydh : Batterie
Gauvain :
Votre album A Frame of Mind a maintenant un an. Quels sont vos ressentis par rapport à cet album, surtout après l’avoir autant défendu sur scène ?
Florian :
Il est vrai que j’ai un peu réfléchi là-dessus et je suis quand même un peu triste car nous n’avons pas encore pu jouer tous les morceaux. En vérité, nous n’avons pas encore eu le temps de tous les répéter ou de les inclure dans notre setlist. Cela me déprime un peu, mais en même temps je suis très heureux que nous ayons encore des nouvelles chansons qui nous reste à jouer sur lesquelles nous pouvons expérimenter ou faire quelque chose de neuf.
Et récemment, j’ai pu prendre le temps de réécouter l’album, car ce n’est pas quelque chose que nous faisons vraiment, et j’en suis encore fier. Je suis content de cet album !
Katrine :
Je ne pense pas être heureuse avec A Frame of Mind. Je pense que l’on aurait pu faire mieux si nous avions eu plus de temps. Mais c’est mon avis.
C’est un peu délicat quand tu ne peux pas prendre ton temps à cause des impératifs que l’on a maintenant avec nos partenaires collaboratifs et autres.
Mais aussi, si tu prends ton temps, l’argent viendra à manquer et peut être aussi l’engouement de nos fans. Donc tu dois un peu, en quelque sorte, jouer le jeu.
Cela impacte aussi le côté créatif, quand quelque chose doit paraître, tu dois être capable de dire que c’est assez bien comme ça et que ça va.
Mais c’est mon propre ressenti. Je suis vraiment contente avec The Line puisque l’on a passé plusieurs années à le faire. Je n’ai jamais vraiment été aussi satisfaite avec ce que l’on a pu sortir après.
C’est un peu triste à dire, mais c’est vrai.
Jogeir :
Nous l’avons appelé A Frame of Mind, car il était notre état d’esprit à l’époque et parfois tu dois laisser les choses suivre leur cours.
Et dans le contexte où nous sommes et où nous étions, c'est en quelque sorte ce que nous avions imaginé. Et je suis vraiment fier d'un grand nombre de ces chansons.
Et bien sûr, même avec The Line, je trouve qu’il y a des choses que j’aurai faites différemment aujourd’hui.
Mais je ne suis sûr que cela aurait été mieux ou non. A la fin du processus créatif, tu passes de plus en plus de temps et d’énergie pour de moins en moins d’amélioration
Katrine :
Tout à fait !
Jogeir :
Il faut donc toujours savoir trouver le juste milieu où l'on se dit : « Il faut en finir maintenant ».
Mais quand j’y repense, il y a plusieurs trucs que j’aurai fait autrement.
Gauvain :
Comme toujours, quand on se rappelle une chanson, on a toujours une version différente en tête.
Florian :
Je dirais que, bien sûr, on aurait pu passer plus de temps sur A Frame of Mind, et j'aurais aimé que ce soit le cas.
Mais je suis très content du résultat dans le sens où on n’avait pas beaucoup de temps pour le créer.
Et je suis super fier que nous ayons réussi à réaliser l’album de la manière dont il est. De plus, il n’y a aucune chanson qui me dérange.
Dans le sens où j’ai beau adoré The Line, il y a certaines chansons qui me mettent quand même mal à l’aise. Alors que pour moi, il n’y a aucun moment malaisant dans A Frame of Mind.
Gauvain :
C’est un vieil album, c’est vrai que cela peut sembler étrange d’entendre certaines parties
qui seraient complètement différentes aujourd’hui.
Florian :
Ceci dit, on a quelques passages comme ça dans A Frame of Mind, certaines choses que l’on ne veut plus faire.
Certaines choses une fois faites n’ont plus besoin d’être répétées ou pourront être faites autrement la prochaine fois.
Je pense que nous avons tous hâte d’écrire le prochain album !
Katrine :
Et d’en avoir le temps ! J’adorerai !
Gauvain :
C’est assez étrange de vous entendre dire que vous n’avez pas eu le temps de faire A Frame of Mind, parce que j’ai l’impression qu’il est bien plus complexe que The Line.
J’ai la sensation, dites moi si j’ai tort, que vous avez davantage expérimenté avec votre dernier album.
Est-ce moi ou est-ce quelque chose que vous vouliez faire avec A Frame of Mind comme plus d'expérimentations, essayer de nouvelles choses comme enregistrer une cabane, des sons de la nature (NDLR : Hytta) …
Ou était-ce juste une coïncidence ?
Katrine :
Il est évident que nous sommes devenus de meilleurs musiciens et musiciennes depuis The Line et d’une certaine manière dans le côté expérimental.
Évidemment, parce que je ressens les choses de cette manière, cela ne veut pas dire que les garçons ressentent la même chose.
De mon côté, je n’aime pas faire la course ou faire de la musique pour quelqu’un d’autre. J’ai besoin que ce soit pour moi et que j’aie quelque chose à dire.
Je n’aime vraiment pas quand j’ai l'impression de courir après une échéance pour le compte de quelqu'un d'autre.
De plus, je ne pense pas que j’ai pu créer mon plus bel art jusqu’à aujourd’hui et je ne sais pas si j’en serai capable maintenant que nous sommes dans ce train-train quotidien.
C’est juste une roue de hamster différente de celle dans laquelle nous étions quand nous avions nos différents emplois à temps partiel. (rires)
Jogeir :
Je pense en effet que nous avons beaucoup expérimenté avec A Frame of Mind, mais en même temps je pense que nous avons à la fois trop et pas assez fait ; si tu vois ce que je veux dire…
Gauvain :
C’est dur de trouver le juste milieu entre les deux …
Jogeir :
C’est dur à dire, c’est toujours un processus.
En tout cas pour moi, à chaque fois que j’écris, j’ai le sentiment de ne rien savoir au commencement.
Et une fois que tu as quelques idées et quelques thèmes qui sont apparus, tu atteins ce point où tu es excité par ce que tu vas créer et tu as ce besoin de l’écrire !
Tu touches le fond puis tu finis par y arriver, mais c’est un phénomène étrange.
Spécifiquement quand nous sommes tous les quatre, nous aimons travailler ensemble et nous avons différentes manières de faire, différents atouts et différentes sources de motivation. Donc c’est en quelque sorte un bateau qui a du mal à voguer vers la même direction.
Mais je pense que nos meilleures compositions naissent de ces moments où nous ne sommes pas tous et toutes d’accord, et que nous parvenons à faire ressortir les meilleures qualités de tout le monde.
De sorte que …
Katrine :
Que tout le monde puisse briller à sa façon...
Jogeir :
C’est compliqué, d’autant plus que nous sommes actuellement au tout début d’une nouvelle aventure.
Donc je pense que nous avons ce besoin d’être un peu perdus pour avancer. Du moins, j’ai ce besoin d’être un peu perdu …
Gauvain :
…Pour proposer quelque chose de neuf et frais.
Jogeir :
Et d’être curieux et ouvert à ce qui est intéressant !
Mais je suis persuadé que nous allons trouver quelque chose d’intéressant. Je suis très enthousiaste à l'idée de ce que nous n'avons pas encore créé !
Florian :
Je n’ai pas grand chose à ajouter de plus à part que je pense que nous écrivons notre meilleure musique quand nous brillons tous comme l’a très bien dit Katrine.
Mais cela ne veut pas forcément dire que tout le monde doit avoir une partie pour lui ou occuper tout l’espace.
Parce que cette étincelle peut être un changement initié par l’un ou l’une de nous sur une idée que j’avais proposée, ou même l’inverse. Cela peut être aussi une critique, retenir une idée, réfréner certaines impulsions ou même nourrir d’autres…
Donc ce n’est pas nécessairement une performance individuelle ou le processus créatif de chacun et chacune d’entre nous, mais comment nous nous gérons les uns les autres dans cet espace créatif et dans l'écriture.
Je trouve que les chansons où nous avons réussi à le faire sont difficiles à écrire, mais ce sont certaines de mes chansons préférées.
Oskar :
J’aime réfléchir en termes de couleurs. Et je pense que nous sommes encore loin d’avoir terminé l’expansion de nos expériences.
Et quand cela arrivera, nous continuerons à expérimenter de plus en plus.
De mon côté, j’ai créé un instrument lors de la dernière tournée alors que j’étais loin du groupe (NDLR : Oskar était alité ces derniers mois à cause de la maladie et avait dû être remplacé pour une tournée entière).
C’est un synthétiseur : un “soft-synth” (NDLR : un synthétiseur logiciel).
Donc, je suis vraiment super emballé à l’idée de …
Gauvain :
…Pouvoir l’essayer ?
Oskar :
Oui totalement ! Parce que c’est un instrument qui propose un nouveau son à chaque fois que joue avec. A chaque fois, apparaît une nouvelle sonorité que je ne peux recréer !
Ce qui est plutôt sympa, je trouve.
Gauvain :
C’est vraiment intéressant !
Oskar :
Pour en revenir à la question initiale, je pense que je souhaite ajouter plus de couleurs aux nouvelles chansons. Et pour atteindre ce résultat, cela peut passer par le changement des instruments, changer la structure de nos chansons…
Vous vous souvenez du processus créatif de “State of the World” ? (NDLR : Oskar parle aux autres membres)
Pour moi le génie derrière ce morceau est que je ne joue pas de la batterie !
Au tout début du processus, j’avais essayé pendant plusieurs semaines différentes choses à la batterie et je me suis dit que ça n’allait pas.
Gauvain :
Le silence était une meilleure manière de bonifier la chanson !
Oskar :
Tout à fait ! La batterie est un instrument un peu injuste où il est parfois bon de se la fermer ! (rires)
Après seulement j’ai ajouté de la batterie pour la fin du morceau alors qu’au début on essayait vraiment de se baser sur la batterie pour s’en inspirer.
Essayer d'avoir une vue d'ensemble est nouveau pour moi.
Suis-je censé jouer en général ? Ou simplement rester silencieux ?
Le silence est une autre chose importante.
Katrine :
Je suis d’accord.
Gauvain :
As-tu réfléchi à la façon de jouer les nouvelles parties sur le soft-synth ?
Comme à chaque fois il te propose un nouveau son, comment vas-tu t’y prendre pour les concerts ?
Oskar :
J’ai en quelque sorte trouvé une solution pour le faire. Mais ce n’est pas simple de proposer quelque chose d’identique, c’est vraiment basé sur l’improvisation.
Gauvain :
Donc cela sera unique à chaque fois ?
Oskar :
En effet, mais je peux aussi essayer d’apprendre où jouer les notes.
Si je me souviens, je peux apprendre à le reproduire d’une certaine façon. Mais oui, ce ne sera jamais techniquement la même chose.
Gauvain :
Cela peut être chouette que cela évolue à chaque concert selon l’ambiance du moment, quand cela peut s’aligner avec tes sentiments à chaque concert et ainsi proposer une expérience complètement différente à chaque fois. Pour les fans, je pense que cela peut devenir quelque chose de fascinant et mémorable !
Oskar :
Je pense aussi ! Mais cela le sera aussi du point de vue du musicien !
En tant que musicien, je dois changer cela. Je viens d'une mentalité d'improvisation.
J'ai étudié le jazz dans ma vingtaine. Il est naturel dans ma carrière musicale de batteur de baser les choses sur l'improvisation. Mais il faut mélanger autant que possible.
C’est intéressant en plus d’apporter de supers couleurs.
Gauvain :
Quelques mois avant votre tournée européenne en tête d’affiche, nous avions discuté de la pression d’être responsable de tout : la scénographie, la setlist, d’être le clou du spectacle, remplir la salle…
Êtes vous rassurés avec tout le soutien que vous avez reçu chaque nuit ? D’autant plus que votre prochaine tournée en Australie a déjà quelques dates complètes ?
Jogeir :
Je pense que c’est important en effet. Je me sens un peu hypocrite, car nous avons maintenant une chanson qui s’appelle “It Gets Easier” …
Katrine :
Mais ce n’est pas le cas (rires) !
Florian :
Chut ! (rires)
Jogeir :
Comme on a pu en discuter, on aurait pu reproduire le son de The Line et beaucoup de personnes en auraient été heureuses. Mais j’ai le sentiment que nous devons nous réinventer pour toutes les choses que nous faisons.
Il n’est pas simple de renoncer à quelque chose pour lequel on est doué, même si l'on n'a pas l'énergie nécessaire. Nous avons donc désormais de bons collaborateurs qui nous aident beaucoup.
Il y a plus de personnes sur la route qu'auparavant. Nous bénéficions d'une aide extérieure plus importante.
Nous faisons moins certaines choses, mais cela nous donne plus de liberté pour en faire d'autres.
Katrine :
Il y a plus de pressions, d’échéances à respecter et toujours énormément d’emails ou de travail administratif. Nous nous occupons même du merch.
Gauvain :
Et vous avez plus de temps pour les aspects artistiques ?
Florian :
Pas vraiment … (rires)
Katrine :
Jogeir s’occupe aussi beaucoup de la logistique, Oskar des finances,... Nous n’avons pas de comptable dédié, donc Oskar s’en charge.
Les nombres deviennent plus gros, mais aussi les dépenses, nous évaluons constamment.
Combien de mois avant la banqueroute, ce genre de choses..
Florian :
Est-ce que tu pourrais répéter la question, car je crois que nous avons un peu digressé ?
Gauvain :
Êtes vous rassurés avec tout le soutien que vous avez reçu chaque nuit durant votre tournée européenne ? D’autant plus que votre prochaine tournée en Australie a déjà quelques dates complètes ?
Florian :
Pour notre première tournée en tête d’affiche, c’était incroyable !
Spécialement la première partie ! Je ne veux pas parler en mal de certains pays, mais la première partie était plus ou moins sold out.
Et c’était un sentiment incroyable ! Nous nous sommes vraiment sentis appréciés. C’était cool de le faire par nous-mêmes et de voir les choses que l’on pouvait faire ! Ne pas être aussi la première partie et de jouer dans plein de nouveaux endroits ! D’autant plus que nous avons rencontré plus de fans que jamais auparavant. C’était une expérience incroyable.
Et maintenant, nous constatons que le même phénomène semble se reproduire en Australie.
C'est très gratifiant.
Jogeir :
La France était particulièrement incroyable sur cette tournée ! Vous avez été géniaux (rires) ! Les allemands pas autant (rires)...
On ne dit pas vraiment ça (discussions en norvégien)...
Katrine :
Mais, c’est un peu vrai quand même…
Gauvain :
C’est juste un public différent. J’avais pu entendre de la part de Birds in Row, un groupe de Post-Hardcore français, qu’ils avaient joués devant un public stoïque et silencieux en Allemagne. Du coup, ils se demandaient s’ils ne faisaient pas leur pire concert et toutes les personnes qui sont venues les voir à la fin étaient unanimes sur le fait que c’était leur meilleur concert et que ça avait été fantastique.
Ils ont juste une autre façon d’apprécier le concert.
Florian :
On a eu aussi cette expérience en Allemagne où certains endroits, dont on taira le nom, étaient vraiment stoïques. Pourtant ils adorent le concert, mais ne montrent pas forcément leur engouement pendant. C’est un peu la même chose en Norvège.
Katrine :
Et en Finlande !
Florian :
A moins que la foule soit saoule, nous les Norvégiens sommes d’un tempérament silencieux ou admiratif. Dans le cas contraire, nous sommes ivres et beaucoup trop bruyants sans être trop respectueux de ce qu’il se passe sur scène.
Gauvain :
Si ça peut vous rassurer, on a les mêmes ici en France (rires).
Jogeir :
Nous avons essentiellement vécu des publics très attentifs et actifs en France. A Toulouse, on a eu plusieurs huées, mais nous avions été prévenu en avance que si nous étions hués cela voulait dire que c’était une bonne chose !
Gauvain :
Cela dépend ce qu’on le dit, parfois les sons que l’on fait sont des blagues, ou des choses très sérieuses.
Cela peut être assez difficile à comprendre de distinguer les blagues des acclamations.
Nous sommes vraiment un pays difficile.
Gauvain :
Par ailleurs, avez-vous eu le temps de vous reposer ?
Parce qu’entre les nombreuses tournées et la sortie de Mørketid, je n’ai pas l’impression de voir beaucoup de temps libre.
Katrine :
Je suis un peu déprimée, je pense que c’est un peu trop.
Gauvain :
J’ai vu ces derniers temps plusieurs groupes annuler une fraction de leurs tournées européennes pour privilégier leurs santés mentales. C’est toujours difficile à faire entre créer de la nouvelle musique, partir en tournée et recommencer …
Katrine :
Comme chacun peut vivre le monde à sa façon. Certaines personnes adorent voyager et tirent leur énergie du voyage. Mais ce n’est pas moi. J’ai toujours trouvé difficile pour moi de réfléchir au moyen de se rendre d’un endroit à un autre. Je pense toujours que les choses ne vont pas bien se passer, même si c’est un petit voyage. En vérité, je n’aime pas vraiment voyager.
J’éprouve en ce moment une certaine lassitude. J’adore créer de la musique, prendre mon temps et être dans mon propre espace, mais je sens que la carrière musicale ne permet pas nécessairement d’offrir ce genre de style de vie entre les voyages et les concerts qui vont avec. Il faut être dans un état d'esprit très sain afin d’être capable de tout faire correctement.
Mais tout ça est mon expérience, je sais que les garçons ne ressentent pas la même chose.
Florian :
Je dirais que je suis entre les deux : je déteste voyager, mais j’adore les nouveaux endroits.
J’y ai réfléchi récemment et ce qui me dérange est la manière que l’on a de voyager : c’est bien trop rapide. Tout est une succession de voitures, d’avions, de trains… Toutes ces choses qui ne permettent pas de vivre l’expérience du voyage en lui-même. Parce que j’ai pu parcourir la moitié de la Norvège à pied et j’ai adoré ça !
Gauvain :
Vous n’avez pas le temps de vivre pleinement le voyage…
Florian :
Aller d’un point A à un point B, comme Katrine a pu le dire, c’est tout planifier et de se faire à l’idée. Ce n’est pas comme l’ancienne partie de nous même : l’Homme des cavernes ne pouvait pas appréhender ce genre de choses.
J'adore découvrir ces nouveaux endroits, mais c'est notre façon de voyager qui nous épuise.
Katrine :
Je suis d’accord !
Florian :
Mais pour répondre à la question initiale, nous ne prenons pas vraiment de pauses.
Nous allons bientôt en prendre. Les vacances ne sont pas quelque chose que nous avons pu nous permettre de prendre ces quatre ou cinq dernières années et on va devoir le faire.
Je vais par exemple aller en Australie un peu avant le reste du groupe pour profiter des kangourous et du soleil (rires). Tourner est vraiment difficile, mais la scène, pour rebondir à la question précédente, c’est vraiment la reconnaissance que nous recevons, les gens et l'amour qui en découlent, qui m'aide beaucoup à trouver un sens à tout cela.
Jogeir :
Je suis d’accord, j’ai ce même sentiment lorsque nous voyageons. De plus tourner est très cher d’autant plus avec nos ambitions pour nos concerts et de tout posséder nous-mêmes et de faire beaucoup de choses nous-mêmes.
Donc, chaque fois que nous partons en tournée, nous devons trouver un équilibre entre ce qui en vaut la peine financièrement. Ce qui n'est pas un exercice très amusant.
Nous avons pris cette décision, mais en même temps, c'est difficile. Et je pense que nous essayons de nous convaincre que nous y arriverons, que nous atteindrons ce stade où nous pourrons nous offrir toutes ces choses et créer toutes ces choses.
Mais si vous n'appréciez pas le processus pendant que vous le faites, est-ce que cela en vaut la peine ?
C'est la question qu’il faut se poser. C'est un peu un voyage continu, je pense, pour simplement apprécier les choses que l'on fait.
C'est donc un mélange entre travailler sur l'appréciation et lâcher prise.
Katrine :
Ou être capable d’ajuster sa vie de telle sorte à ce que l’on peut l’apprécier.
Si on peut se le permettre, comme avoir plus de temps libre, de congés pour voir où nous en sommes, ce genre de choses …
Jogeir :
Oui, mais c'est un équilibre délicat, parce que c'est une entreprise, une aventure risquée, mais aussi créative.
Et c'est ça le problème : si vous avez plus de jours de congé, alors vous avez peut-être besoin d'un autre travail. C'est difficile à accepter aussi.
Florian :
Et on peut dire que nous essayons !
Évidemment, lorsque nous sommes en tournée, nous essayons de ne pas faire les choses à moindre coût. Nous essayons d'économiser de l'argent et nous avons appris lors de la dernière tournée que faire les choses à moindre coût n'était pas la meilleure solution, car nous avons dû changer de véhicule quatre fois je crois ?
Katrine :
Et annuler un concert !
Florian :
Un concert à Utrecht au Pays-Bas que nous avons pu reporter et c’était incroyable !
Gauvain :
C’est un chouette endroit !
Florian :
Fantastique même !
Tout ça est une question d'argent, mais aussi d'énergie, de temps et tout ça.
Mais j'essaie de rester positif, car je pense que cette tournée aurait été géniale si nous n'avions pas dû changer quatre fois de véhicules et en avoir un plus confortable.
J'espère que nous gagnerons plus à l'avenir, plus de gens viendront aux concerts, plus de gens écouteront notre musique.
Cela se traduit directement par le fait que nous n'aurons plus de voitures en panne, que nous n'aurons plus à annuler de concerts, que nous ne perdrons plus le sommeil à cause de ces choses et que nous ne nous épuiserons plus.
Nous nous efforçons d'atteindre ce stade où nous serons suffisamment en sécurité pour que cela devienne encore plus agréable.
Jogeir :
La question difficile est pour toute l'industrie musicale.
On fait notre boulot, on s'en sort plutôt bien en termes de streams et d'audience, et on peut faire des tournées dans le monde entier, mais pourquoi on ne gagne pas plus d'argent ? Pourquoi doit-on vivre avec le salaire minimum ?
Et, évidemment, nous faisons notre propre truc, comme par vanité, en faisant de la musique, mais il y a, comme, dans l'avenir vers lequel nous nous dirigeons, la façon dont nous valorisons l'art et le talent musical. J'ai tellement d'amis qui essaient de devenir musiciens et qui nous admirent, parce que “vous avez vraiment réussi, vous faites des tournées dans le monde entier, vous avez tellement de streams, j'aimerais juste pouvoir atteindre ce niveau. Alors je serais heureux, et c'est en quelque sorte…”
Florian :
Alors que pas du tout. Du moins, ce n’est pas ça qui te rendra heureux.
Jogeir :
Je veux dire, il y a plein de supers moments. Par exemple, aujourd’hui nous sommes super fiers de sortir notre EP, j’en suis très heureux !
Mais c’est la question ouverte que l’on se pose : dans quelle société voulons nous vivre ?
Florian :
C'est un appel aux armes, parce que, oui, nous avons besoin que les gens écoutent de la musique, achètent de la musique, aillent à des concerts, tout ça. Mais je pense que plus les gens écoutent de la musique, plus ils veulent en écouter, plus ils veulent aller à des concerts.
De mon côté, je suis susceptible de tomber dans le piège de YouTube, où je prend beaucoup plus de plaisir à écouter de la musique, tomber dans un bon album, qu'à regarder 90 “reels” d'affilée.
Dites donc à votre public d’écouter, pas nécessairement notre musique, mais simplement de la musique.
Gauvain :
Et toi Oskar, tout va bien ?
Oskar :
Oui, j’adore tout ce que je fais en ce moment !
Bien que certaines choses soient difficiles, comme travailler dans le domaine économique. Parfois, ça va très bien, mais c'est ennuyeux à mourir. (rires)
Et c'est aussi beaucoup de pression, comme les questions juridiques, qui peuvent avoir de lourdes conséquences. Un amateur comme moi est censé en assumer la responsabilité, car je n'ai aucune formation dans ce domaine.
C'est lourd. Mais pour ce qui est de voyager, créer de la musique, jouer de la musique. Je ne me plains pas.
Et je suis heureux de pouvoir le faire, car ce n'est pas une chose acquise pour moi.
Parce que j'étais à l'hôpital. À cette époque, en avril, je n'étais pas sûr de pouvoir recommencer un jour.
Je suis donc reconnaissant chaque jour. Et j'ai beaucoup plus d'énergie maintenant. Et aussi aujourd'hui, je me suis levé tôt, j'ai pris un vol tôt et j'ai installé ma batterie, sans problème.
Il y a un an, cela aurait été un problème d'une autre manière. Jusqu'à présent, je n'ai rien à redire à ce sujet.
Gauvain :
Merci beaucoup. Normalement, c’est la fin du temps qui nous était imparti. Mais si c’est bon pour vous j’aurai encore quelques questions pour lesquelles vous pouvez juste répondre par oui ou non.
Florian :
Tu peux nous en poser une courte et on va y répondre de manière concise.
Katrine :
On va essayer de ne pas prendre une éternité à te répondre.
Gauvain :
Vous pouvez donc soit y répondre par oui, non ou par “je ne sais pas”.
En 2024, nous avions discuté d’une sortie de quelques uns de vos morceaux en acoustique (NDLR : sur les plateformes il n’existe que Ensom et With You sortis en 2021). Et j’ai pu voir qu’en 2022 lors de votre tournée avec Leprous je vous avais demandé si l’on pouvait avoir le live filmé pendant le covid (NDLR : quelques extraits sont disponibles sur Youtube) ?
Aujourd’hui, en 2025, aucune de ces choses ne sont sorties.
Donc, est-ce que …
Jogeir :
Ohhh
Gauvain :
…vous prévoyez de les sortir ?
Florian :
Les choses évoluent tout le temps… Pour le live-stream du Covid, c’est trop vieux maintenant, cela ne serait pas pertinent.
Mais peut-être dans 10 ans, quand nous regarderons en arrière et que nous retomberons sur les vieux enregistrements nous nous dirons que c’était incroyable et qu’il faudrait le sortir.
Qui sait, nous aurons peut être notre moment à la Beatles quand nous serons plus vieux.
Mais en tout cas ce n’est pas prévu pour le moment.
Gauvain :
Dernière question très rapide, vous avez sorti aujourd’hui votre EP Mørketid. Pouvons-nous nous attendre à ce que ça devienne un rituel à chaque fin d’année ? Entre la sortie du morceau “Ghosts” fin 2024 et cet EP fin 2025, après cela peut ne pas être un EP ou un album…
Katrine :
Je n’ai pas prévu de dédier mon temps à ce genre rituel.
Évidemment, les fans ont le droit de vouloir ce qu'ils veulent et de dire ce qu'ils veulent.
Et je dois simplement défendre mes capacités et celles de notre groupe.
Mais j'aime cette idée. J'y ai pensé moi-même, ce serait sympa. Et puis je me suis dit : “ha, ha, ha. Je n'ai pas l'énergie pour ça.”
Gauvain :
J’adore le groupe de Post-Rock japonais Mono qui sort depuis quelques années un EP à chaque fin d’année et c’est devenu …
Jogeir :
Une tradition ?!
Gauvain :
…un rituel de découvrir de nouvelles chansons à chaque noël, d’où ma question.
Florian :
Ce serait chouette, et comme l’a dit Katrine cela pourrait être une bonne idée.
Nous sommes pour si nous pouvions le transformer en tradition, mais faire ce genre de promesse … C’est impossible pour nous.
Jogeir :
Je pense que la seule chose que nous pouvons vous promettre est que quand nous sortirons quelque chose, nous serons heureux avec le résultat.
C’est là tout le problème, peut-être que ça n’arrivera jamais ou bien l’année prochaine …
Nous verrons bien.
Encore merci à l’ensemble du groupe d’avoir répondu à mes questions et pour le temps précieux accordé. Beaucoup n’ont pas été posées, mais cela ne rendra que meilleures nos futures discussions.
N’hésitez pas suivre le conseil du groupe et d’écouter un maximum de groupes émergents, ou non, et de soutenir la scène locale et les groupes qui viennent jouer chez vous ❤
Si jamais le groupe a sorti son dernier EP le 31 octobre 2025, part en tournée en Australie fin 2025 et jouera en Norvège à Rockfeller avec Sylvaine en 2026.
Crédit photo pour la miniature : Linnea Syversen
Et si vous voulez voir nos photos du concert, c'est par ici !
A propos de Gauvain
Jadis chroniqueur acharné, Gauvain préfère dorénavant occuper son temps libre à l'animation de lives hebdomadaires sur notre chaîne Twitch à la découverte de groupes intéressants. La légende raconte qu'on y passerait jamais de Metal... Il n'est cependant pas rare de le voir publier quelques articles à l'année quand l'envie lui prend.