Bruit ≤ - The Age of Ephemerality

Bruit ≤ - The Age of Ephemerality

Chroniques 6 Mai 2025

Bruit ≤ - The Age of Ephemerality ou quand la musique instrumentale devient un manifeste politique

Le 25 avril 2025 est sorti le nouvel album des Toulousains Bruit ≤ chez Pelagic Records. Après avoir écumé le monde en compagnie de M83, annoncé une tournée en première partie d’Alcest et quelques dates en tête d’affiche, The Age of Ephemerality est enfin là à portée d'écoute ! Du moins si vous l’achetez ou si vous allez sur Bandcamp, car Bruit ≤ est absent des plateformes traditionnelles de streaming musical.

L’album se décompose comme suit :

  • Ephemeral
  • Data
  • Progress / Regress
  • Technoslavery / Vandalism
  • The Intoxication of Power

En avril 2021 sortait The Machine is Burning And Now Everyone Knows it Could Happen Again qui a soufflé les fans de Post-Rock. Un album grandiloquent et impressionnant par sa forme et son fond engagé.

Et on peut dire sans se tromper que Bruit ≤ réitère avec ce nouvel opus. Le message politique, les expérimentations sonores ainsi que les crescendos sont toujours plébiscités.

Bruit ≤ fait donc du bruit avec une encore plus grande maîtrise, ou du moins montre avec plus de force son attrait pour l’expérimentation et la recherche de son.

On pourra naviguer entre des sons étranges, une chorale, des effets de guitare impressionnants, notamment enregistrés avec la réverbération d’une église, des jeux de sample de discours…

Bref, ici on cherche à faire plus impressionnant que la fois précédente !

Toutefois, nous ne sommes pas dans la démonstration de moyens techniques ou la surenchère gratuite. Car nous sommes avant tout ici pour découvrir une histoire, celle de la fugacité ; une aventure éphémère d’une quarantaine de minutes retranscrite de la plus belle des façons.

Ephemeral

L’album s’ouvre donc sur Ephemeral, soit dit en passant, le titre le plus court jamais écrit par le groupe, mais aussi le premier single sorti. On peut dire que le groupe sait faire les choses consciencieusement, une introduction planante et organique subitement coupée par une arrivée grandiloquente des autres instruments électroniques et du bruit pour nous indiquer que notre périple débute brusquement sans crier gare.

C'est donc avec cette drôle de fanfare, quelque peu inquiétante, que s’ouvre The Age of Ephemerality, un crescendo brutal qui vient nous sortir de notre tranquillité manifeste. Avant d’être, lui aussi, interrompu brusquement par une simple mélodie organique.

En trois minutes, Bruit ≤ nous a spoilé tout son album : notre voyage sera chaotique, semé d'embûches, d’interruptions brutales, d’instruments électroniques et d’instruments organiques.

Data

Pas le temps de souffler que l’on est aspiré par Data. Bonjour les percussions électroniques, les bruits incongrus et étranges qui nous emmènent vers l’apparition de Mark Zuckerberg qui nous dit que tout ce vacarme est “le futur que vous voulez voir et qu’[il] espère vous allez rejoindre” !

Le morceau est puissant, comme à son accoutumée, Bruit ≤ fait du grand Post-Rock avec des crescendos avec des mélodies dynamiques et changeantes. Les recherches sonores et d’intensité sont remarquables.

Bien sûr, Mark Zuckerberg reviendra nous hanter sous la forme de samples trafiqués en nous rappelant les chiffres de connexion ou d’accès à Meta. Mais cela ne battra certainement pas la surprise de cette fausse page de réclame en plein milieu du morceau. La musique devient alors monotone et Mark Zuckerberg nous annonce que “ça va vous donner un ressenti de ce que pourrait être le futur” !

De plus, son arrivée brisant complètement une montée d'intensité quasi continue depuis le début du morceau et à son point le plus culminant a vraiment de quoi être frustrante. Comme quoi, je reconnais bien là le côté taquin des Français.

Heureusement pour nous, on aura le droit à un autre pic d’intensité pour évacuer notre frustration ainsi que quelques phrases jouées piano et guitare acoustique (ou un banjo ?).

Progress / Regress

Progress / Regress pourrait nous rappeler brièvement leur titre Renaissance avec ce début très apaisé, mais avec plusieurs couches d’instruments variés.

On se laisse porter aisément par le violoncelle, puis par le violon qui nous emmèneront vers certaine la plus belle explosion cacophonique que j’ai pu entendre. Les instruments se mélangent, se troublent, mais au milieu du chaos, le violoncelle reste stable et nous guide vers un chaos de plus en plus séduisant et entêtant.

Tel un vrai parcours de montagne russe, les crescendos vont et viennent avec plus ou moins d’intensité pour nous conduire vers la bouillie de sons qu’est la fin du morceau. Les percussions électroniques de Data sont revenues pour alimenter cette bouillie où s’articulent plein d’effets sonores plus étranges les uns que les autres, comme pour signaler, le tout en même temps, un déraillement, un rembobinage et un signal d’alarme.

Technoslavery / Vandalism

Après avoir été ballotté, le combo synthétiseurs, violon et violoncelle est le bienvenu sur Technoslavery / Vandalism. Évidemment, un gimmick que j’aime beaucoup prendra place progressivement pour nous apporter de plus en plus de pistes instrumentales pour former un tout cohérent et majestueux.

Mais cette beauté sera de courte durée, car rattrapée par un clavier au bruit de sonar, les instruments saturés signeront leur retour pour nous confronter à un mur sonore dense et massif.

Comme quoi, nous n’avons pas encore fini d’être transportés dans cet univers impitoyable et chaotique, comme l’explicitera la conclusion de ce morceau : entre une explosion de bruit et une chorale tantôt lugubre, tantôt lumineuse.

The Intoxication of Power

Du bruit parasite, puis un ensemble de cuivres, il est l’heure de découvrir le morceau final : The Intoxication of Power. Un son qui nous rappellerait presque certaines musiques d’introduction de films dramatiques. Puis viendront la batterie ainsi que les percussions électroniques pour nous apporter un peu de son industriel dans toute cette grisaille. Même le violon ne sera pas là pour nous apporter une quelconque touche de légèreté, mais au contraire renforcer l’aspect mélancolique de ce morceau. Bien entendu, nous serons petit à petit attirés vers un crescendo par l’arrivée progressive et subtile de nouvelles mélodies et d’instruments.

D’ailleurs, nous aurons même le droit à un effet de dégringolade et de remontée puissante orchestrée d’une main de maître. Bref, on voyage dans une musique progressive extrêmement puissante où les montées et descentes sont impressionnantes sans être lassantes. Et bien sûr, nous aurons le droit à notre apothéose de fin marquée par un coup de canon !

Et quoi de mieux que de nous marquer en concluant ce morceau magistral par des extraits d’une interview de George Orwell sur la BBC Four et qui paraphrase une bonne partie d’un dialogue de 1984 :

“There will be no emotions except fear, rage, triumph, and self-abasement.

This is the direction where the world is going in, at present times.

There will be the intoxication of power. Always, at every moment, there will be the thrill of victory, the sensation of trampling on an enemy who is helpless. If you want a picture of the future, imagine a boot stamping on a human face—forever.

The moral is a simple one : don’t let it happen. It depends on you.”

Soit :

« Il n'y aura pas d'émotions exceptées la peur, la rage, le triomphe et l'humiliation de soi.

C’est là où se dirige le monde à l’heure actuelle.

Il y aura l'ivresse du pouvoir. Il y aura toujours, à chaque instant, le frisson de la victoire, la sensation d’écraser un ennemi impuissant. Si vous voulez une image du futur, imaginez une botte piétinant un visage humain - pour toujours.

La morale est simple : ne laissez pas cela arriver. Cela dépend de vous.”

Par ailleurs, si vous n’avez pas vu le clip, foncez le découvrir, car il vous montrera l’intensité palpable via les différents musiciens enfermés dans les travaux de la nouvelle ligne de métro toulousaine (si j’ai bien reconnu les tunnels).

Pour conclure, Bruit ≤ a encore frappé fort en nous délivrant un véritable tour de force que de faire encore mieux que la première fois. Si le quatuor continue ainsi, nos attentes ne seront toujours que plus hautes, et j’espère qu’elles seront toujours comblées !

En tout cas, The Age of Ephemerality est un album dense et impressionnant qui démontre que le Post-Rock a encore de bien belles choses à nous faire découvrir et entendre !

L’album est accompagné d’un livret d’une vingtaine de pages qu’il me tarde de découvrir, où on pourra j'imagine y découvrir les photos des coulisses de l’enregistrement ainsi que quelques phrases illustrant leur message politique.

Je vous laisse donc avec la description écrite sur Bandcamp, et que j'imagine aussi dans l'album, que j’ai pu vous traduire :

Nous espérons faire partie des damnés qui refusent d’avoir foi en leurs maîtres et qui font tout pour échapper aux caméras dans les rues.

Ces damnés sont les ennemis en nous et il est vital pour nos maîtres de déformer le sens de leurs mots pour saper leurs convictions.

Les opposants politiques sont des émeutiers.

Les défenseurs de ZAD sont des éco-terroristes.

Celles et ceux qui dénoncent des génocides sont contre la paix.

La guerre est la paix / L’ignorance est la force.

La liberté est l’esclavage / Le mal est le bien et le bien est le mal.

L’obscurité est la lumière / La lumière est l’obscurité.

A la fin, tout n’est que bruit, ou au pire du bavardage…

On vous aime.

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Si j’avais pu remarquer la facilité qu’avait The Machine is Burning And Now Everyone Knows it Could Happen Again de se répéter en boucle, The Age of Ephemerality est un album à part entière : il ne constitue pas une suite directe au précédent, du moins, il ne s’enchaine pas parfaitement musicalement, et la fin est abrupte et ne laisse pas de place au recommencement d’un cycle : nous sommes arrivés au bout du voyage, au point névralgique où tout se décidera après.

A propos de Gauvain

Jadis chroniqueur acharné, Gauvain préfère dorénavant occuper son temps libre à l'animation de lives hebdomadaires sur notre chaîne Twitch à la découverte de groupes intéressants. La légende raconte qu'on y passerait jamais de Metal... Il n'est cependant pas rare de le voir publier quelques articles à l'année quand l'envie lui prend.