Oranssi Pazuzu – Muuntautuja

Oranssi Pazuzu – Muuntautuja

Chroniques 20 Octobre 2024

Oranssi Pazuzu fait partie de ces formations rares et précieuses qui sculptent le black metal d’une manière inédite, lui redonnant sans cesse un souffle nouveau. Quand on parle de black metal psychédélique, un genre déjà en lui-même un peu marginal, les Finlandais sont devenus un repère incontournable:  le groupe capable de réinventer ce terreau fertile du metal extrême. Leur approche unique, mêlant black metal et rock psychédélique, aurait pu paraître incongrue au premier abord, mais ils ont perfectionné cette alchimie au fil des années, au point de convaincre même les plus sceptiques.

Je dois l'admettre, Oranssi Pazuzu et moi, c'est une longue histoire d'admiration quasi-fanatique. Lors des dernières 34 heures j’avais déjà décortiqué "Mestarin kynsi" avec une affection non dissimulée. Autant dire que lorsque "Muuntautuja" a été annoncé, j'étais déjà au bord de la transe, prêt à replonger tête la première dans l'univers chaotique et fascinant des Finlandais. Spoiler alert : je n’ai pas été déçu. Oranssi Pazuzu continue de me prouver qu'il est l’un des rares groupes capables de repousser les limites de la folie musicale avec une telle maîtrise.

Depuis leur début, Oranssi Pazuzu s'est imposé comme un acteur incontournable de la scène metal d'avant-garde. Chaque album témoigne de leur volonté d'explorer des territoires sonores inconnus, toujours à la recherche d'une nouvelle frontière à repousser. C'est avec "Värähtelijä" (2016) que le groupe a véritablement atteint des sommets créatifs, conjuguant leur maîtrise des ambiances ésotériques et leur brutalité musicale dans une œuvre considérée comme l'une des meilleures du genre. "Värähtelijä" reste une pièce maîtresse, une incantation hypnotique qui s'enfonce dans la psyché et y laisse des traces indélébiles. Ce chef-d'œuvre a ouvert les portes d'une dimension de folie musicale, un vortex sonore qui allait s'approfondir encore plus avec leur album suivant.

En 2020, Oranssi Pazuzu a sorti "Mestarin kynsi", un album qui a confirmé leur statut d'explorateurs intrépides de la musique noire et hallucinatoire. Cet opus marquait une nouvelle étape dans leur descente lente et inexorable dans la folie absolue, entamée avec "Värähtelijä". À travers des compositions toujours plus tortueuses et un usage accru des sonorités électroniques et industrielles, "Mestarin kynsi" incarnait une nouvelle évolution dans le chaos, tout en maintenant une cohérence implacable.

Avec leur dernier album, "Muuntautuja", Oranssi Pazuzu semble franchir un cap infernal conséquent, poursuivant cette quête sonore vers les abysses les plus sombres de l'esprit. L'album est un tourbillon d'énergie dissonante et d'expérimentations qui témoignent d'une folie grandissante. Chaque morceau semble élaboré pour déstabiliser l'auditeur, l'entraînant dans un univers où les frontières entre le réel et le surréel sont constamment remises en question.

Le groupe reste fidèle à ses obsessions : l'usage des ostinatos, ces motifs hypnotiques répétés à l'infini, et la superposition de textures musicales complexes qui enserrent l'auditeur dans une toile sonore d'une densité suffocante. Oranssi Pazuzu sont des maîtres du build-up, construisant leurs morceaux avec une tension toujours grandissante, accumulant les couches sonores jusqu’à ce que tout explose dans un maelström chaotique et cathartique. Ce leitmotiv, cette montée inexorable vers un climax étourdissant, est un de leurs signes distinctifs, et ils le maîtrisent à la perfection sur "Muuntautuja".

Le single "Valotus" se distingue particulièrement comme un choix audacieux et pertinent pour représenter l'album. Ce morceau, probablement le plus intense de tout "Muuntautuja", déborde d'une énergie frénétique et déstabilisante. Les influences noise et industrielles sont omniprésentes, avec des sonorités de basse essentiellement électronique qui créent une texture sonore abrasive et mécanique. De plus, la dissonance se manifeste ici de manière particulièrement marquée, notamment par l'utilisation d'arpèges de piano qui ajoutent une touche inquiétante et une tension palpable. Ce choix singulier d'harmonies dissonantes se retrouve également dans le morceau "Voitelu", contribuant à une atmosphère oppressante et hypnotique qui laisse peu de répit à l'auditeur.

Le chant de Juho Vanhanen est un élément central de cet album, et son évolution mérite d'être soulignée. Sa voix, déjà tourmentée et viscérale, se voit ici davantage manipulée et déformée par des bidouillages électroniques, la rendant presque méconnaissable par moments. Ce traitement vocal accentue le sentiment de malaise et de déshumanisation qui traverse l'album, comme si Vanhanen devenait lui-même une entité sonore aliénée, perdue dans l'océan sonore qu'il contribue à créer. Cette approche accentue la sensation d'une descente dans la folie, où le chant se fond dans le chaos instrumental pour ne devenir qu'un murmure du vide. Sur le morceau "Hautatuuli", son chant se fait plus murmuré, presque chuchoté, donnant au titre une dimension incantatoire et menaçante, comme si chaque mot prononcé portait en lui une malédiction prête à éclater. Ce choix renforce l'aspect ritualiste et inquiétant de l'album, accentuant encore cette sensation d'être happé dans une spirale de folie typique de l’horreur cosmique.

La pochette de l'album, en noir et blanc et extrêmement abstraite, joue également un rôle significatif dans l'immersion de l'auditeur. Contrairement aux visuels plus colorés des précédents albums, cette œuvre monochrome évoque une sorte de néant cosmique, un labyrinthe visuel de formes et de textures énigmatiques. Elle symbolise à la perfection la nature opaque et insondable de la musique de l'album, une plongée dans une noirceur insondable où les repères visuels et auditifs se dissipent. Ce choix esthétique renforce l’idée d’un univers musical en perpétuelle mutation, toujours prêt à absorber l’auditeur dans son abîme sonore.

Malgré l'excellence de nombreux morceaux, "Muuntautuja" n'est pas exempt de défauts. Les deux derniers titres de l'album peinent à maintenir l'intensité dramatique des précédents morceaux et semblent quelque peu en retrait par rapport au reste. Ils manquent de l'urgence et de la créativité qui traversent les autres pistes, ce qui crée une légère baisse de régime en fin d'album. Cette conclusion plus posée n'altère cependant pas la réussite globale de "Muuntautuja", qui reste un témoignage impressionnant de la capacité du groupe à repousser toujours plus loin les frontières de leur univers sonore.

"Muuntautuja" s'impose comme une nouvelle pierre angulaire dans l'évolution musicale d'Oranssi Pazuzu. Bien qu'il ne parvienne pas tout à fait à surpasser l'excellence absolue de "Värähtelijä" ou la puissance de "Mestarin kynsi", cet album continue d'approfondir la descente vers la folie entamée il y a plusieurs années. L'apport accru des sonorités électroniques et industrielles, la dissonance omniprésente, ainsi que l'audace de morceaux tel que "Valotus", témoignent de la volonté du groupe de repousser sans cesse les limites de leur art. Malgré une petite baisse de régime sur les dernières pistes, "Muuntautuja" reste une œuvre dense et immersive, digne héritière de la discographie labyrinthique d'Oranssi Pazuzu.

Finalement, Oranssi Pazuzu, c'est un peu comme une drogue : on sait qu'on va plonger dans quelque chose de tortueux et dérangeant, mais on y retourne quand même, avec une fascination presque masochiste. "Muuntautuja" nous rappelle pourquoi, même au cœur du chaos sonore, ils continuent de nous captiver avec une intensité quasi surnaturelle. Leur capacité à construire, superposer, et relâcher la tension reste leur véritable Violon d’Ingres, une signature sonore unique qui ne cesse de nous happer.

 



  • 1 Bioalkemisti 5:31
  • 2 Munntautuja 4:30
  • 3 Voitelu 5:21
  • 4 Hautatuuli 4:39
  • 5 • 0:52
  • 6 Valotus 6:58
  • 7 Ikikäärme 9:49
  • 8 Vierivä usva 5:27

A propos de Alexis B

Salut, ça m'arrive d'écrire des trucs. Bisous.