Slift - Ilion

Slift - Ilion

Chroniques 3 Février 2024


En 2020, Slift, un jeune trio de Heavy Psych/Space Rock/Stoner (tout ce que tu veux qui fait planer) toulousain est entré par la grande porte avec le mastodonte que fut Ummon. Avec un savant mélange de lourdeur pachydermique et d’envolée spatiale, ce dernier avait sans aucun doute fait l’unanimité. La hype fut colossale après une performance dantesque chez KEXP. 

L’attente d’un successeur digne de ce colosse se traduisait par un amas d'excitation et d’inquiétude. Est-il seulement possible de renouveler l’exploit d’un tel opus sans tomber dans l’auto plagiat ou le simple bis repetita. La question était certainement légitime. 

Tuons le suspens dans l'œuf immédiatement la réponse et bien évidemment oui. Ilion est SANS AUCUN DOUTE un bien louable héritier d’Ummon . Je vais m’attarder quelques instants sur la pochette d’Ilion tant celle d’Ummon m’a marqué. Soyons clair, c’est un downgrade, la pochette de Caza pour Ummon est absolument intouchable. Celle d’Ilion sans être hideuse ne m’inspire aucune émotion particulière. Bien que cette dernière semble indiquer un intérêt pour le storytelling dans cet album. En effet, on semble y voir une horde de personnages humanoïdes relativement inquiétants. Ces derniers semblent faire partie de l’histoire de l’album, elle-même étant une suite directe d’Ummon. Cela a été confirmé par Slift eux même, indiquant qu’Ilion est le préquel direct d’Ummon. 

L’histoire est en effet l’élément central de l’album. L’inspiration première semble être l’Iliade et l'Odyssée d'Homère sous forme d’un space opéra extrêmement ambitieux. Ambitieux par sa longueur importante (on s’approche doucement de l’heure et demie), mais aussi ambitieux par sa production absolument massive. Cette dernière est une évolution positive sans appel. 

Rentrons dans le vif du sujet, Slift a magnifiquement réussi à succéder à Ummon, en faisant un choix radical du point de vue de la composition. Ici, la volonté du concept album se traduit par une cohérence musicale et narrative absolument irréprochable tout au long de l’album. En effet, bien que l’album flirte avec la durée d’un film, ce dernier défile devant nos oreilles avec une aisance déconcertante. C’est bien là la force d’un album aussi cohérent. Cependant, cette cohérence est aussi une de ses faiblesses. L'homogénéité ici se fait au détriment de la fulgurance, la fulgurance qui était pour moi la plus grande force d’Ummon. Ce que j'appelle la cohérence musicale, c’est cette aisance avec laquelle les titres s’enchaînent entre eux, tant il est facile de se laisser bercer par l’album du début à la fin, tant l’envie de le relancer quand on le termine est forte. 

Pourquoi une faiblesse ? Car cette cohérence fait en sorte qu’on écoute l’album d’une traite et que finalement les titres de l’album individuellement ne sont que très peu marquants. Après tant d'écoutes il est encore difficile pour moi de dire “ tel et tel passage de tel morceau est fantastique, tandis que tel et tel morceau est oubliable.” Je pense que c’est la raison pour laquelle quand les singles ont été teasés avant l’album ces derniers m’avaient laissé de marbre. Ilion est une expérience, une aventure. Tous les titres s’entremêlent, se citent mutuellement. Cela donne une fluidité à l’écoute et force une attention particulière tout au long de l’album.

 J’ai brièvement énoncé la production de l’album auparavant, il me semble important d’y revenir de manière plus rigoureuse. Comme j’ai pu le dire précédemment, la production est vraiment à un niveau stratosphérique de qualité. C’était déjà un des points forts d’Ummon et pourtant elle semble encore meilleure sur Ilion. Ici, elle est vraiment au service de la narration et permet d’accentuer brillamment les forces du groupe. Les lignes de basses de Rémi sont magnifiquement mises en avant et percent constamment le spectre sonore, permettant de donner un véritable rôle mélodique à ces dernières. La basse à toujours été un élément sonore central chez Slift, cela semble être encore plus le cas sur Ilion. Le second composant ayant subi un lifting important est le chant de Jean. En effet, ici, le chant de Jean prend des dimensions véritablement ahurissantes de puissance. La frontière entre rock et metal était déjà en questionnement sur Ummon, mais ici, il atteint des sommets avec sa voix rarement atteinte dans la scène. Le duo vocal avec son frère, lui-même contrastant toujours avec un timbre doux et planant, fonctionne toujours à merveille. Les interventions vocales de Rémi sont bien plus rares dans Ilion, mais donne une dissonance d’autant plus saisissante tant Jean est devenu imposant vocalement. Ce binôme lourdeur/légèreté errante semble être le véritable leitmotiv de Slift. Cantonné à un simple gimmick sur Ummon, il est ici sublimé par les compositions et la production. 

J’ai menti tout à l’heure quand j’ai dit qu’aucun morceau ne sortait du lot. Weavers’ Weft reste le morceau qui m’a le plus marqué. Tout y est, la voix transcendantale de Jean, la douceur de celle de Rémi. Une lourdeur qui prend aux tripes, des passages d’une quiétude apaisante. Et ce riff , mon Dieu ce riff, à faire pâlir les groupes de doom les plus gras existant. Et le génie de Slift est de prendre le riff le plus puissant de l’album et de le saupoudrer du chant hypnotique de Rémi, puis plus tard le réutiliser pour interrompre une outro atmosphérique inquiétante. Un grand moment. 

Slift font déjà partie des grands du genre, ils sont pour moi déjà les plus grands. Cet album témoigne d’un véritable recul pris par rapport à leur son. C’est l’album de la maturité pour le groupe. Je trépigne à l’idée d’écouter cet effort en live (oui car Slift même à trois sont colossaux en live). Nous sommes en janvier et déjà face à un des albums de l’année. 


  • 1 Ilion 11:08
  • 2 Nimh 9:38
  • 3 The Words That Have Never Been Heard 12:31
  • 4 Confluence 8:36
  • 5 Weavers' Weft 9:41
  • 6 Uruk 9:54
  • 7 The Story That Has Never Been Told 12:34
  • 8 Enter the Loop 5:02