Chronique : You and I in the Gap, de Birds in Row et Coilguns
Bonjour à toutes et à tous,
On revient en ce début d’année 2024 avec une première chronique relativement courte (ou pas), puisqu’il s’agit là d’un EP. Mais pas n’importe lequel ! C’est un EP collaboratif qui réunit les groupes Birds in Row et Coilguns. Ensemble, ils ont sorti en digital et vinyle You and I in the Gap en ce mois de février. Avant d’en parler plus en détail, quelques mots sur les deux groupes concernés.
Tout d’abord, Birds in Row, que l’on ne présente plus sur Metal Sound Media, groupe de Post-Hardcore/Screamo originaire de Laval, en Mayenne, qui ne cesse de faire parler de lui, tant pour ses textes percutants que pour ses performances live riches en émotions. Leur dernier album, Gris Klein, sorti en 2022 chez Red Creek, le nouveau label des suédois de Cult of Luna, a fait des émules. Personne de normalement constitué pourra vous dire que c’est nul. C’est une tuerie. Je ne vous bassine pas plus avec le groupe, mais puisqu’on y est, je vous invite à aller lire la chronique de leur dernier album (rédigée par les soins de votre chroniqueur préféré) et l’interview que j’ai conduite avec eux au Post in Paris 2023 sur notre chaîne YouTube.
Ici :
Et là : https://metalsoundmedia.com/articles/402/chronique-birds-in-row-gris-klein
Si je vous ai déjà pas mal parlé des mayennais par le passé, je n’ai pas encore eu l’occasion de vous parler de Coilguns. Coilguns est un groupe suisse, originaire de La Chaux-de-Fonds, qui officie dans un mélange de Noise/Hardcore que certains qualifient parfois de chaotique. Côté chaos, je ne peux que vous inviter à aller les voir en live. Je les ai vus deux fois, et à chaque fois il se passe des dingueries. Il n’y a pas beaucoup d’occasions de se faire ligoter par un chanteur et son câble de micro dans la vie de tous les jours, par exemple. Louis Jucker, chanteur et parfois guitariste, vient probablement d’une autre planète. Bref : TOUT CASSER. Et accessoirement, ils sont vachement sympas, ils m’ont fait un petit dessin la dernière fois que je les ai vus ! Même s’ils n’ont pas cessé de tourner et d’être (hyper)actifs ces dernières années, comprenant la sortie d’un live au Soulcrusher Festival aux Pays-Bas en 2022 et deux nouveaux titres Shunners/Burrows sortis en 2021, techniquement, leur dernier album, Watchwinders, est sorti en 2019. D’ailleurs, allez l’écouter.
Ici :
Evidemment, je recommande chaudement l’écoute des deux groupes indépendamment, mais là, il est question d’une collaboration qui va un peu changer la donne. Des EPs joignant plusieurs groupes, il y en a à la pelle, avec une méthode type « chacun ses morceaux ». Mais non : Là, les deux groupes se sont réunis au studio « The Apiary », à Laval, bien connu des amateurs de musiques qui officient dans le Post-Hardcore/Post-Metal (qui par ailleurs est géré par Amaury Sauvé, le frère du bassiste de Birds in Row), pour enregistrer les trois morceaux qui composent cet EP ensemble. Il y a donc 7 musiciens simultanément au travail, Bart et Quentin de Birds in Row prennent chant et guitare ; Jona de Coilguns les rejoint également à la guitare Joris et Luc, respectivement de Birds in Row et Coilguns sont les deux à leurs batteries respectives ; Kevin de Coilguns à la basse et Louis au chant. Bref, ça fait du monde !
Indéniablement, cette collaboration les a fait sortir de leur zone de confort et aura permis des tester des trucs que ni l’un ou l’autre groupe ne font, tout en restant complémentaires. Si cette sortie est apparue sur Bandcamp le 2 février 2024, elle a quand même été bien teasée au départ. Sur les trois morceaux de l’EP, deux d’entre eux étaient apparus sur le quatrième tome de la revue Mowno toute fin 2023, qui nous avaient offert un petit disque 7 pouces pour nous faire découvrir le truc. Je dis « tome » parce que plus qu’une revue, c’est un vrai bouquin avec une couverture rigide, et c’est franchement sympa. Il y a d’ailleurs dedans une interview avec Birds in Row et une avec Amaury Sauvé du studio The Apiary, dans lesquelles ils parlent notamment du processus de composition, d’enregistrement derrière l’EP. Malheureusement, le numéro de Mowno en question est Sold Out sur leur site… Il fallait s’y prendre avant ! Mais voilà quand même un peu ce à quoi ressemble le livre. Il y a des tas d’autres interviews, et pour les amateurs et amatrices de la presse musicale, c’est vraiment cool, donc je vous invite à suivre cela pour d’autres numéros !
Voici leur site internet :
Bref, je m’égare, revenons à l’EP You and I in the Gap. Trois titres, deux groupes, plein d’instruments et plein de mots dans les paroles pour 16 minutes de musique. Comme d’habitude, je vais parler un peu de la musique, du texte, du visuel. Voici déjà la liste des trois titres de l’EP :
1. Stranding Shelters
2. The Blessing
3. You and I in the Gap
Je vous invite avant de lire la suite d’écouter l’EP, ici :
Avant de parler un à un de ces trois morceaux, on va d’abord regarder ensemble l’artwork de l’EP, réalisé par Bart, qui fait aussi de la peinture, et qui n’a d’ailleurs pas manqué de faire référence à cet art sur Gris Klein.
Comme vous pouvez le voir, l’artwork est directement reproduit sur le vinyle lui-même, et se présente sous forme de disque transparent avec un important contraste qui se joue avec le noir. Les formes représentées semblent abstraites mais dans tous les cas rendent l’objet fini très joli. On croirait y apercevoir des yeux, presque. Dans cette abstraction, on se demande ce que l’on voit. Est-ce que c’est ça, « the gap » ? Un trou, une ouverture, un fossé, un vide ? Je ne tergiverserai pas plus là-dessus. Je précise toutefois que sur l’image ci-dessus, vous avez la version claire du disque, mais il existe aussi en deux autres variantes, l’une bleue et l’autre rouge. Faites votre choix vite avant que ce ne soit Sold Out !
Stranding Shelters
On commence avec un morceau de 6 minutes, avec un côté Punk bien présent au début, puis quelque chose d’assez typé Noise qui rappelle bien le produit de Coilguns. Dans l’ensemble, j’ai le sentiment de reconnaître des moments similaires aux temps plus calmes de Gris Klein, le dernier Birds in Row, mélangés à un peu plus de Noise et à des expérimentations vocales moins abrasives, qui viennent renouveler la façon d’approcher le chant de Bart, nourris des différentes choses que Louis emploie déjà avec Coilguns. C’est assez déroutant de bien connaître la discographie de deux groupes et d’écouter un disque en se disant que vraiment « c’est un peu des deux ». C’est preuve que le mélange qu’ils ont voulu exercer fonctionne bien.
Textuellement, le titre résume bien ce qui est évoqué ici, on parle de nos maisons comme d’un abri dans lequel nous sommes isolés, en proie à un dilemme prenant : sortir et faire face au monde, à ses travers, à ce qui nous y effraie, ou rester à l’intérieur, confiné dans la solitude avec pour seul camarade la coquille vide qui nous sert de corps que l’on reconnaît à peine. Et en attendant que l’on se débatte avec ce dilemme, le temps passe et rien ne se passe, justement. Le doute prend le dessus sur le reste, et se pose une ultime question : « Serai-je capable de ressortir à nouveau ? De faire face à l’extérieur ? » Et le regret s’installe, le sentiment d’avoir perdu une part de sa vie, du temps, de belles années. Le sentiment de ce morceau m’évoque les confinements que nous avons vécu pendant la pandémie. Des tas de gens, moi le premier, ont vu leurs compétences sociales s’amenuiser au fur et à mesure que l’isolation prenait place sur le quotidien, et pour beaucoup, cela aura eu des effets durables sur la vie de « l’après » confinement, où l’on aura pu rencontrer des difficultés à revivre socialement normalement. Au-delà de ce point qui fait référence à l’actualité récente, la même idée peut être appliquée à des personnes vivant des phases d’isolement dues à la dépression, au harcèlement, etc. Bref, des événements durs qui questionnent notre rapport à la vie, à l’autre et à notre capacité à vivre avec nous-mêmes et avec les autres. Le message, malgré l’expérience qu’il relate, apporte quand même quelque chose de positif, dans le sens où il est dit clairement qu’il faudrait mieux aller dehors affronter ses peurs que rester enfermé toute sa vie. Evidemment, ce n’est pas aisé, et ça peut paraître un peu candide, mais c’est un point de départ pour réfléchir à ce genre de situation, si on la vit ou si on l’a vécue.
The Blessing
Le deuxième morceau fait aussi grossièrement 6 minutes et apporte le Noise typique de Coilguns et cette approche très mélancolique au chant clair de Louis, avec un côté très Post-Punk, tout en gardant des guitares saturées propres aux deux groupes au-dessus. Le tempo est plus lent, et la composition joue pas mal sur le groove. Malgré un tempo plus lent, il se passe des choses assez complexes et variées aux guitares et à la batterie, et le morceau mérite d’être écouté attentivement Le bruit domine, on nage dedans tout du long.
Contrairement aux autres morceaux et à la tradition très ancrée dans Bird in Row de lancer du texte à profusion jusqu’à l’essoufflement, le texte ici est très réduit, mais joue, encore dans une autre tradition très ancrée chez Birds in Row (et un peu chez Coilguns également) : la répétition. Les paroles tiennent sur six courtes lignes, mais la répétition donne force et impact à celles-ci. Dans « The Blessing », la bénédiction est d’être au moins à deux, contrairement à la solitude développée dans « Stranding Shelters », où la personne perdue tend sa main pour être aidée à traverser les heures sombres qu’elle vit. Il est question de parvenir à se sentir en sécurité et tout simplement, se sentir mieux. C’est donc en ce sens la suite logique du premier morceau, thématiquement. Et s’ensuit donc la conclusion de ce (trop court) voyage, le titre éponyme de l’EP, « You and I, in the Gap ».
You and I in the Gap
Je parlais plus tôt de ce sentiment étrange où l’on remarque à quel point il y a un peu des deux groupes dans cet EP et à quel point la relation qu’ils ont dedans est limpide, fluide, fusionnelle, et que c’est vraiment à la fois Coilguns et Birds in Row. Ce dernier morceau, c’est mon préféré. Je crois qu’il mixe à la perfection tout ce que je préfère chez les deux groupes. Du Groove, du Noise chaotique de chez Coilguns, une approche Post-Hardcore agressive comme les deux savent bien le faire tout en maintenant une forte émotion, et un chant effrayant, entre délire d’un fou et Screamo, le genre qui donne envie de se rouler en boule sur le sol et d’attendre que la douleur passe. Le morceau est plus court que les précédents, un peu moins de 4 minutes, mais envoie du lourd, quoi.
« You and I in the Gap » conclut l’histoire contée depuis le début de l’EP. On y commence seul, on trouve de l’aide, un compagnon de route, et on finit « toi et moi » dans « l’interstice », un espace entre deux mondes où on se bat tous les jours pour survivre. On continue à s’y battre avec soi-même, mais au moins on n’y est pas seul pour affronter ses pires cauchemars. On reste dans cette zone, un peu comme les limbes, au bord du gouffre, piégé. Cela ne donne pas de « Happy ending », mais plutôt nous pose dans la situation continue de tout un chacun, que l’on évoquait déjà dans le premier morceau, la question de comment affronter le monde extérieur, comment continuer, quand le passé s’efface, et que le futur est « annihilé », comme le disent les paroles. Et bien, comme crié au chant, on répare le présent ; En bref, on y entrevoit un aspect important de la discographie de Birds in Row, l’idée qu’il faut améliorer le présent pour peut-être sauver le futur. Ce futur complexe était déjà évoqué par Coilguns dans Watchwinders, et en cela on voit bien la continuité de cet EP dans les discographies des deux groupes.
Et c’est ainsi que se termine cet EP. 16 minutes de qualité qui ont tout à fait leur place dans les discographies des deux groupes. Une musique poignante qui saura ravir les fans des deux, et tout amateur de Punk bruitiste pour gens tristes. On regrette presque qu’il n’y ait que trois morceaux. C’est normal, cela a été composé et enregistré en un temps très court, et dans une disposition inédite pour tout le monde. Après, peut-être qu’un jour ils se retrouveront à nouveau pour refaire cet exercice. Ce serait cool ! Quant à imaginer si cela pourrait un jour jouer en live, j’imagine qu’il faut attendre qu’un festival comme le Roadburn leur fasse une commande. Ce qui pourrait arriver, quand on pense à l’énorme collaboration commandée à Hummus Records, qui justement se trouve être le label géré par les gens de Coilguns, le supergroupe Trounce (qui, je précise, est incroyable). Bref, seul le futur nous le dira. En attendant, allez écouter You and I in the Gap.
Si vous le souhaitez, vous pouvez aussi regarder la chronique vidéo sur YouTube :
Au revoir, à bientôt.
A propos de Hakim
Hakim, il ne faut pas le tenter. Tout est prétexte à pondre une chronique de 582 pages (Tome I seulement). De quoi vous briser la nuque en lâchant la version imprimée depuis une fenêtre. Un conseil : Levez les yeux !