Chronique : Tagrest - To Bask in Heroic Tales of Yore

Chronique : Tagrest - To Bask in Heroic Tales of Yore

Chroniques 30 Septembre 2023

Bonjour à toutes et à tous,

Pour la chronique d’aujourd’hui, nous allons partir d’un pays où le Black Metal n’est pas légion, mais la présence de quelques projets dans ce style ravit votre chroniqueur préféré : partons au Maroc. La scène Rock/Metal/Punk n’y est pas florissante, malheureusement, mais les quelques groupes qui la nourrissent sont énervés, et dans cette chronique nous allons parler du premier album de Tagrest, groupe autoproclamé d’Atlantean Black Metal, originaire de Casablanca, qui vient de sortir son premier album, To Bask in the Heroic Tales of Yore.

Je vais commencer par discuter de la terminologie derrière le style du groupe, par rapport à l’adjectif « Atlantean ». Dans le Black Metal, nous sommes tous friands de diverses mythologies, de Fantasy et de récits épiques comme on en exploite beaucoup dans ce genre de musique. On pensera naturellement à l’Atlantide de Platon, repris par des groupes comme Bal-Sagoth, Atlantean Kodex ou Atlantis Chronicles. Et bien qu’on aime cet univers ici, ce n’est pas vraiment ce dont il est question. Car le Maroc est le pays le plus approprié pour employer l’adjectif « atlantéen ». Car si une des très nombreuses théories plus ou moins tirées par les cheveux placerait l’Atlantide au niveau du pays, le Maroc est très simplement bordé par l’Océan Atlantique d’un côté et le massif montagneux de l’Atlas de l’autre. En ce qualifiant d’Atlantean Black Metal, Tagrest se positionne en héritier de la culture locale, entre l’Atlantique et les peuples berbères issus de l’Atlas et des montagnes, qui représentent une très grande partie de la population actuelle du pays. On notera bien entendu la présence du symbole du drapeau berbère sur le logo du groupe, la lettre yaz, de l’alphabet tifinagh, utilisée pour la langue berbère.

Pourquoi parler de ce groupe ? Et bien, au-delà du fait d’avoir bien aimé leur premier album, j’apprécie pouvoir faire découvrir d’autres cultures, provenant de pays où le Metal ne fait pas l’unanimité. De plus, la culture en question ici est aussi la mienne, c’est donc l’occasion ou jamais d’en parler.

Tagrest, que l’on peut traduire par « hiver », se conforme dès le départ à une identité Black Metal que l’on pourrait qualifier de « grim and frostbitten » comme Immortal en leur temps. Bon, je ne vous cache pas que l’hiver au Maroc est un peu plus doux qu’en Norvège. Après un premier EP, Epitome I: Forlorn Fatherland en 2022, qui avait plutôt une saveur d’hommage à Summoning avec un Black épique/atmosphérique comme les autrichiens le font bien. Le premier album, To Bask in Heroic Tales of Yore, s’aligne plus volontiers vers des mélodies et des rythmes plus rapides, et pourra rappeler la vague finlandaise avec des groupes comme Havukruunu ou les incontournables grecs de Rotting Christ, dont ils avaient par ailleurs enregistré une cover sur leur premier EP. Côté thèmes abordés, comme dit précédemment, l’océan et la culture locale font loi, comme la pochette faite par Ahmed Mejbri le laisse présager avant même d’écouter l’album.

Dans un style et une palette de couleurs qui peut rappeler les peintures d’Adam Burke (Nightjar Illustrations), nous découvrons Casablanca, la ville d’où le groupe est originaire, mais surtout son phare, derrière lequel les rayons du soleil dessinent le yaz, la lettre berbère, symbole de son peuple. L’histoire de cette région et de ses habitants vous sera contée au travers de 8 morceaux, pour une durée de 41 minutes et 46 secondes, dont voici la liste :

1.     Ashen Pharos
2.     Anfa Imziki
3.     Land of the Dying Sun
4.     At the Ghastly Shores
5.     Casablack Metal
6.     Amerruk (Interlude)
7.     Solemn Retribution
8.     Amastan (The Protector)

 

Vous pouvez par ailleurs écouter l’album en intégralité ici :

Ashen Pharos & Anfa Imziki

« Ashen Pharos » est une courte intro où des percussions viennent se superposer à des bruits de bords de mer, vagues et goélands inclus. Un synthétiseur nous approche pour rentrer dans le premier morceau, « Anfa Imziki », dont le titre fait référence au quartier d’Anfa, à Casablanca, et à son phare, que l’on voit sur la pochette. Les paroles illustrent la majesté du paysage, du port, et des hommes sur le rivages, les courageux.

Musicalement, on se rend compte dès ce premier morceaux des avancées techniques du groupe par rapport à leur premier EP. Le son proposé est d’une plus grande variété, on a affaire à un Black mélodique, avec un son toujours un peu Raw (comprendre une production à l’ancienne), qui oscille entre des moments mid-tempo épiques, des sections plus rapides avec des blast beats, et d’autres moments agrémentés de guitare acoustique. En bref, ça rappelle un peu ce qu’on retrouve dans ce qu’on tend à appeler le Pagan Black Metal.


Land of the Dying Sun

Un morceau oscillant de la même manière entre mid-tempos et blasts qui vient apporter, en plus des cris habituels, du chant clair. Enfin, plutôt que du chant, ça s’apparente plutôt à une forme de narration solennelle. L’intro du morceau a un super riff qui suit cette volonté solennelle et même un petit « ÜGH !!! », comme le veut le Black Metal. A la manière du morceau précédent, on s’intéresse ici au paysages et à la gloire du Maroc et du peuple berbère. Le titre, « Land of the Dying Sun », construit à la manière de l’expression « Land of the rising sun » couramment associée au Japon, fait référence à la situation géographique du pays. Pour celles et ceux qui dormaient en géographie, le Maroc se situe au Nord-Ouest du continent africain. C’est l’occasion par ailleurs de corriger une erreur fréquente commise par beaucoup en France comme ailleurs, qui est d’appeler sans trop y réfléchir tout ce qui provient du monde arabophone comme « l’orient ». Pour rappel, Maghreb, ça veut dire l’occident, donc ça répond tout de suite à la question posée. Bref, le titre du morceau se pose là comme un blason, un emblème, symbolisant la gloire de cette région et de son peuple.

 

At the Ghastly Shores

Ici, on a un morceau plus lent, avec un rythme qui rappelle plus du Heavy Metal classique, qui ravira les fans de Metal old-school, en même temps qu’il montre la volonté de Tagrest de faire briller leur différentes influences, qui sont résolument ancrées dans les années 80 et 90. Le morceau nous raconte une histoire en mer, où les puissants ancêtres du peuple local se sont perdus en mer, ont perdu leur force et leur pouvoirs, et sont tombés en disgrâce, hantant à jamais les rivages brumeux de la région. Le morceau se conclut à nouveau sur ne partie narrée, ramenant un petit moment de calme avant la suite, qui sera le morceau le plus énergique de l’album.

 

Casablack Metal & Amerruk

Dès les premières secondes, le morceau part à toute vitesse avec un rythme entre Speed Metal et D-Beat, et des riffs et lignes vocales entraînantes. Bref, un hymne. Et c’est exactement ce que le morceau veut être à mon avis : une représentation claire de ce que Tagrest est et de la musique qu’ils jouent, leur identité, quoi. Le jeu de mots sur le titre est facile à comprendre. Le nom de la ville Casablanca est un héritage espagnol, la « maison blanche », devient ici la « maison noire » pour donner son genre à ce morceau et à la musique du groupe : le Casablack Metal. C’est en même temps une lettre d’amour à la ville par les musiciens qui viennent de là-bas, et en même temps un cri d’indépendance anticolonialiste (pour rappel, le Maroc a été protectorat français et espagnol, ça n’a pas toujours été très fun et est devenu indépendant en 1956).

Le morceau se conclut et nous amène vers « Amerruk », un interlude qui vient reprendre le thème d’identité du morceau précédent par son titre, qui est le mot berbère qui donnera le nom moderne du Maroc. Ce passage acoustique rappellera bien plus les musiques traditionnelles marocaines que quoi que ce soit de « Rock ». D’ailleurs, je me faisais la réflexion que ce serait très intéressant pour un tel groupe d’ajouter des instruments et des compositions traditionnelles à sa musique, ça marcherait certainement du tonnerre, et c’est rare dans le Metal. Des groupes comme Acyl ou Al-Namrood ont pu le faire, par exemple, mais c’est encore peu fréquent.

 

Solemn Retribution

Voici résolument le morceau le plus agressif de l’album. Et là on a des riffs qui me rappellent clairement des groupes de Pagan/Melodic Black Metal à la Havukruunu. Du haut de ses 6 minutes, le morceau nous entraîne dans la bagarre, entre gros blasts, mid-tempos épiques qui font maintenant la marque de fabrique du groupe et paroles guerrières. En effet, ici le texte ne va pas par quatre chemins, on est sur des choses assez typiques dans le Black Metal, à base de vengeance, de destruction et de vents d’hiver, avec au centre un personnage (le morceau est écrit à la première personne) qui vient d’Amerruk pour répandre sa colère. En bref, ça dépote !

 

Amastan (The Protector)

Voici le dernier morceau de l’album, un objet ambitieux puisqu’il dure plus de dix minutes, et est découpé en trois actes, comme on peut le voir dans le texte des paroles. Le morceau commence par une partie acoustique qui nous renvoie stylistiquement directement à l’interlude « Amerruk » plus tôt sur l’album, tranchée, littéralement, par le son d’une épée que l’on dégaine de son fourreau. Le premier acte est résolument guerrier, et dans la continuité du morceau précédent, et présente le personnage « Amastan » (littéralement, le protecteur) qui part exercer sa vengeance. Un nouvel interlude acoustique vient faire la transition vers le deuxième acte, qui reprend ce côté Heavy épique qu’il y avait sur « At the Ghastly Shores », avec un chant clair, grave et solennel et des cris qui montent parfois vers un registre Black dépressif. Cet acte montre Amastan voguer vers le chemin de la rédemption, qui est mis en valeur dans le troisième acte, où ce dernier a enfin acquis la sagesse des anciens et peut se reposer malgré les tourments de sa vie passée. Le morceau se conclut sur un solo de guitare calme et mélancolique, avant de finir sur un rythme martial et une ultime conclusion acoustique, où reviennent les vagues et les goélands que l’on entendait sur l’intro de l’album. Ainsi, la boucle est bouclée.

 

Pour conclure, Tagrest, avec To Bask in the Heroic Tales of Yore, nous offre un premier album à mon sens bien au-dessus de leur premier EP, et très simplement un bon premier album, qui appelle autant aux influences de groupes comme Bathory et Rotting Christ que Summoning et Havukruunu, par des musiciens venant d’un coin où il n’est pas tous les jours facile de jouer et d’enregistrer du Black Metal, donc chapeau. Hâte d’entendre la suite. Seul regret, pour le moment, l’album n’est disponible qu’en digital (moi et ma passion pour les CDs et vinyles…). Si toutefois à l’avenir un format physique et du merchandising sont proposés, je serai volontiers le premier client ! Bref, seul l’avenir nous le dira ! En attendant, je ne peux que vous encourager à écouter Tagrest et leur Atlantean Black Metal !

 

Je finis par une note qui n’a rien à voir avec la musique, mais je profite de cette plateforme pour faire passer le message. Vous n’êtes pas sans savoir que début septembre, un tremblement de terre meurtrier a touché le Maroc. Heureusement, personne dans ma famille n’a été atteint, mais nombreux sont celles et ceux qui ne peuvent pas en dire autant… Je connais un peu le coin où se situe l’épicentre du séisme, dans les montagnes. On ne s’en rend pas forcément compte dans les médias, mais c’est une région où se trouvent des tas de petits villages ruraux souvent très pauvres, et il ne fait malheureusement aucun doute que certains ont été littéralement rayés de la carte…

Je laisse ici un lien de La Croix Rouge par lequel vous pouvez faire des dons si vous le souhaitez et si vous en avez les moyens :

https://donner.croix-rouge.fr/urgence-maroc/~mon-don

Malgré cette note finale que j’aurais aimé ne pas écrire, j’espère que cette chronique vous a plu.

-Au revoir, à bientôt.

PS : Si vous voulez également voir la petite vidéo de présentation de la chronique publiée sur YouTube, c'est par ici :

A propos de Hakim

Hakim, il ne faut pas le tenter. Tout est prétexte à pondre une chronique de 582 pages (Tome I seulement). De quoi vous briser la nuque en lâchant la version imprimée depuis une fenêtre. Un conseil : Levez les yeux !