Interview Silent Skies
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21 Février 2022
Le vendredi 11 février 2022, j’ai pu m’entretenir avec Vikram Shankar à propos de la sortie du second album de Silent Skies, un projet en duo avec le chanteur Tom S. Englund d’Evergrey, et de la suite que le combo nous réserve…
Le créneau étant limité, je n’ai pas pu poser toutes les questions que je désirais, mais l’interview reste passionnante, du moins je l’espère. Je ne peux que vous souhaiter une bonne lecture. (crédit photo de l'image de couverture : Patric Ullaeus)
G : Pouvez-vous vous présenter brièvement pour les personnes qui vous découvrent avec cette interview ?
Vikram Shankar : Bien sûr ! Je m’appelle Vikram Shankar, je suis le pianiste, producteur, co-auteur et la moitié du projet Silent Skies. Je joue aussi dans d’autres groupes : Redemption (NDLR : à ne pas confondre avec la formation française du même nom, on parle ici du groupe américain avec Tom S. Englund au chant) et Lux Terminus pour ne citer qu’eux. Et nous venons de sortir un nouvel album il y a tout juste une semaine et c’est chouette de pouvoir en parler aujourd’hui !
G : Lors de l'annonce de votre nouvel album, vous aviez aussi annoncé votre changement de label. Qu'a apporté Napalm records pour cet album ?
V.S. : Napalm est un super label ! Il est un des plus importants dans notre niche musicale ! Ce qui est cool avec eux : nous (Tom et lui) avons un background orienté Metal, nous adorons ce style et nous jouons tous les deux dans des groupes de Metal, mais Silent Skies n’en est absolument pas un. Cependant, Napalm a mieux compris que certains autres labels, ou même que d’autres personnes, qu’il y avait aussi de la place pour d’autres styles de musiques que le Metal et que les fans de ce genre sont aussi attirés par d’autres musiques qui peuvent en partager quelques valeurs communes : le côté sombre, les émotions comme source première d’inspiration, … et qui leur parlent tout autant. A vrai dire, nous ne sommes pas le premier groupe non Metal que Napalm a signé (NDLR : on peut citer Auri entre autres) et je ne pense pas qu’on sera le dernier, car ils comprennent vraiment cet esprit.
G : J’espère aussi !
V.S. : C’est vraiment chouette de travailler avec de telles personnes.
G : Tom S. Englund m’avait partagé que votre premier album avait mis trois ans à sortir après sa composition. Et du coup combien de temps a mis celui-ci ?
V.S. : Cela a été bien plus rapide cette fois ! Pour Satellites, nous avions mis deux ans à le composer puis deux autres années pour le sortir alors que l’écriture et l’enregistrement de Nectar nous a pris trois mois. Nous avons fait quelque chose que j’apprécie beaucoup lors de l’écriture : nous enregistrions toutes nos idées en tant que démos, mais dans la qualité nécessaire pour qu’elles puissent être intégrées directement dans la version finale. Il n’y avait donc pas vraiment de différences entre l’étape des démos et de l’enregistrement. A l’exception près pour le grand piano où je suis retourné chez moi pour enregistrer sur un vrai piano pour que le rendu sonne mieux et soit plus organique. Mais aussi pour donner une dimension plus intimiste que seul le réalisme peut apporter.
Par conséquent, nous avons presque tout enregistré lorsque l’on composait l’album. Du coup, c’était un truc assez fou que l’on puisse écrire et enregistrer tout l’album en l’espace de 2-3 mois. C’était vraiment un procédé unique, naturel et complet à la fois : écrire, enregistrer, produire et pré-mixer l’ensemble de l’album.
G : Vous l’avez écrit avec Tom S. Englund cette fois-ci ?
G : C’est vraiment une idée intéressante !
V.S. : En fait, c’est un son assez fréquent parmi les compositeurs contemporains et modernes comme Ólafur Arnalds ou Nils Frahm qui font vraiment de belles choses avec un tel système. Nils Frahm a même sorti un album sous le nom de « Felt » (NDLR : feutre) pour faire découvrir cette pratique à son public j’imagine.
Je possède beaucoup de bibliothèques logicielles de piano ; dont « Felted Grand » que je peux utiliser lors de sessions d’écriture, mais le fait d’enregistrer sur son album et faire soi-même l’installation n’est pas forcément simple. Mettre le feutre sous les cordes alors que tu ne peux pas vraiment y accéder, faire en sorte qu’il n’y ait pas de buzz, que la pression soit bien répartie : c’est quelque chose d’assez exigeant ! Mais à la fin de la journée tu te dis : c’est mon instrument ! J’ai grandi en jouant avec, je l’ai moi-même feutré, j’ai enregistré directement dessus : il n’y a donc pas un piano au monde qui sonnera comme le piano que l’on entend dans Nectar. Et je pense que c’est vraiment cool comme identité sonore !
G : De plus, comme c’est le vôtre, vous pouvez en faire ce que vous voulez comme ajout.
V.S. : Exactement ! En plus, l’accordage de mon piano était vraiment une énigme lorsque j’ai dû le faire. Et avec le morceau de feutre, tout ce que tu pouvais jouer sonnait extraordinaire via la captation des microphones placés au plus proche des cordes, mais si tu t’asseyais et tu jouais normalement, l’amplitude sonore était tellement plus faible qu’à l’accoutumée que le tout est à peine audible. C’était vraiment l’enfer à jouer. Mais bon, on le fait pour l’art (rires) !
G : Mais le résultat est excellent !
V.S. : C’est vraiment le meilleur son de piano que j’ai enregistré pour un album. Le piano de Satellites était un « 9 foots Concert Grand Piano » et réussir à avoir un meilleur son avec mon piano d’enfance a quelque chose de vraiment spécial.
G : Cet album semble bien moins minimaliste que son prédécesseur, que ce soit sur le travail des arrangements instrumentaux et vocaux. Est-ce venu naturellement ou était-ce un de vos objectifs ?
V.S. : Je ne dirais pas qu’on avait spécialement d’objectif excepté de faire un très bon album. Je pense qu’on avait cette idée commune que nous allions faire tout ce qui était en notre pouvoir pour avoir le meilleur son possible. Nous en sommes arrivés donc à un point où nous avons fait des choses que nous n’avions pas faites pour Satellites, mais que nous avions jugées nécessaires pour amener notre musique à un autre niveau. On peut notamment entendre plus de synthétiseurs. Il y en avait sur Satellites, mais pas dans cette quantité et certains provenaient de logiciels, les moyens que j’avais à l’époque, et maintenant j’ai tout ce que tu peux voir derrière moi (NDLR : Vikram donnait l’interview dans son studio entouré de ses claviers et synthétiseurs analogiques)
On a donc utilisé tous les outils que nous avions à notre disposition pour injecter de la fraîcheur à cet album : plus de touches électroniques comme des beats ou des percussions électroniques,…
G : Et un violoncelle !
V.S. : En vérité, il y a du violoncelle sur les deux albums, à chaque fois joués par Raphaël Weinroth Browne. Mais avec Nectar, il a joué un rôle plus créatif : nous lui avons donné plus de liberté artistique pour apporter davantage de caractère et contribuer au paysage sonore d’une manière vraiment intéressante ! Il a vraiment su apporter de la profondeur aux chansons. Quand tu écoutes l’album avec un casque, tu perçois cette immensité qui n’est pas vraiment perceptible autrement. Je pense que nous avons réussi à garder notre son intimiste et minimaliste tout en améliorant l’atmosphère sonore. Notre musique fonctionne sur deux niveaux : le cœur est intimiste et petit tout en étant imposant et riche.
G : Il est vrai qu’il y a des subtilités que je n’avais pas saisies quand j’écoutais l’album juste avec mon ordinateur. L’écouter avec un casque le rend plus subtil !
G : Jacob Hansen est au mix et mastering. Sa présence a-t-elle changé quoi que ce soit à votre façon de faire ?
V.S. : D’une certaine manière, nos deux albums avaient une forte identité musicale avant d’arriver au mixage. Pour le premier, nous avions Christer-André Cederberg qui ne fait pas partie de la sphère Metal. Son travail le plus Metal est certainement les quelques albums qu’il a faits pour Anathema et qui étaient vraiment bons ! Je pense qu’il a aussi travaillé sur un album de Circus Maximus ou quelque chose du genre (NDLR : il a aussi collaboré avec Tides From Nebula ou Leprous sur leur morceau Running Low). Bref, il est plus orienté vers sur des groupes Rock/Pop dans son travail de tous les jours et il a fait du bon travail en construisant le son de Satellites tel qu’il est. Mais Tom et moi avons toujours été très attentif sur l’état de l’album avant son mix.
Pour Nectar, certaines sessions réunissaient entre quatre-vingts et cent pistes de claviers et percussions et je les ai sous mixées avant de les envoyer à Jacob Hansen. Ce qui fait que Jacob recevait une dizaine de pistes de claviers avec l’ensemble déjà pré-produit et concentré en plusieurs échantillons. Du coup Jacob a plutôt fait un travail de mixage sur les échantillons : il y avait beaucoup de choses qu’il n’avait pas à faire comme du travail d’ajustement du volume sonore au sein des différents échantillons. J’ai conçu le son avec beaucoup d’égalisation et de dynamisation, beaucoup d’étapes que certaines personnes pourraient déjà considérer comme du mixage. Sur la partie des claviers et des synthétiseurs, il y a eu donc pas mal de travail fait en amont, par contre nous n’avons rien touché aux parties vocales de Tom. Donc la plus grande partie des voix que vous entendez fait partie de la magie de Jacob, tout comme le grand piano dont il a cultivé le son d’une bien belle manière.
D’un point vue général, il n’a pas eu à faire grand-chose, mais de facto, qu’il soit la personne qui l’ait fait, qu’on profite de son écoute, son expertise et sa sagesse rendent l’album meilleur. Après, nous aurions pu le faire nous-mêmes tout en ayant un bon résultat, mais le fait qu’il nous ait aidé à travailler sur les derniers 25% l’a transformé de bon à super.
Et c’est aussi chouette pour lui, car il n’a pas trop l’opportunité de faire de musique de ce style, mais plutôt différents styles de Metal. Il a donc eu la possibilité d’explorer le logiciel de dynamique (NDLR : « dynamic range »), chose pour laquelle il est très bon, mais dont il n’a pas forcément la possibilité de travailler dessus souvent. Je pense qu’il a bien aimé travailler avec nous !
G : Surtout qu’il connaît bien la voix de Tom S. Englund.
V.S. : Exactement ! Il a dû faire 4-5 albums d’Evergrey, il a aussi travaillé sur l’album de Redemption sorti en 2018, où nous (Tom et Vikram) étions, et est en train de mixer le prochain album. Il ne peut pas s'échapper de Tom, il en doit en avoir marre à ce stade. Mais il connaît la voix de Tom si bien, tout comme son équipement d’enregistrement ; car Tom s’enregistre lui-même avec un microphone très particulier. Jacob est familier de cette chaîne de traitement du signal et il sait quand Tom lui envoie ses voix qui doivent sonner d’une telle manière alors elles devront avoir besoin de tel élément. C’était donc vraiment un choix logique pour nous que de travailler avec lui.
G : Pourquoi avoir fait le choix d'un titre instrumental comme le nom de l'album ?
V.S. : Les morceaux instrumentaux sont vraiment des morceaux particuliers. Beaucoup de nos influences à Tom et moi, quand nous parlons musique, sont des influences essentiellement instrumentales : Ólafur Arnalds, Nils Frahm, Max Richter, Ludovico Einaudi,… Il y a quelque chose dans la musique instrumentale qui donne à l’auditeur une certaine liberté. Il n’y a pas les paroles qui indiquent la manière dont on devrait penser et ressentir la musique, vous avez une plus grande liberté d’interprétation. Vous pouvez aussi y appliquer votre propre peinture émotionnelle de la vie, vos expériences de la façon dont vous vivez en tant qu’être humain. Cela peut donc signifier des choses complètement différentes selon les personnes et c’est ce pouvoir qu’à la musique instrumentale depuis plusieurs centaines d’années.
Nous avions aussi conclu Satellites par un titre instrumental et c’est quelque chose qui nous semblait encore une fois juste et qui permet de prendre du recul sur les neuf précédentes musiques et d’y réfléchir. Après avoir eu une conversation très émotionnelle avec votre partenaire, la personne que vous aimez ou n’importe qui d’autre, vous avez besoin normalement de prendre du recul pour intégrer tout ça pour déterminer ce qui s’est passé émotionnellement, rassembler ses idées et prendre une seconde pour respirer. C’est comme ça que vous digérez les choses et c’est exactement ce que nous voulions proposer en mettant un morceau instrumental à la fin de notre album ; on s’était dit que ce serait sympa de faire ainsi.
Et il faut dire que nous aimons aussi ce titre, Nectar, c’est très évocateur pour nous : le nectar, l’essence de la vie, la force intérieure, … La vie nous balance tellement de merdes et de choses dures auxquelles nous devons faire face en tant que personne. La vie peut vraiment être dure sans qu’il n’y ait moyen de l’éviter. Le nectar est cette force de volonté intérieure qui vous pousse en avant, c’est ce que tu tires de toi-même pour t’en sortir ! L’album est en quelque sorte, un hymne dédié au pouvoir de l’esprit humain.
G : Est-ce que Tom S. Englund a participé à sa composition ?
V.S. : Je pense qu’il en a écrit le thème principal. Dans le groupe, je suis le musicien et Tom le chanteur. Mais avant d’être chanteur, c’est un guitariste et il a vraiment un très bon esprit musical : il est très doué à composer de la musique et à la produire. Il entend les détails et ses intuitions sont remarquables ! Je prends beaucoup de plaisir à me plonger dans les harmonies vocales. Je ne suis pas un excellent chanteur, certes je chante sur l’album, mais je n’en suis pas un ! En vérité, j’adore chanter et la voix humaine est l’instrument le plus puissant.
Là où je veux en venir est que nous sommes constamment dans le territoire de l’autre : j’offre toujours mes opinions sur les parties chantées, je propose des mélodies alternatives et Tom propose des choses que je peux faire avec le piano et m’écrit des parties que je peux essayer. Bien sûr, quand je joue du piano, elles deviennent une partie de moi : je les filtre dans ma conscience musicale, mais il intervient souvent sur les parties que je joue. Je crois d’ailleurs qu’il y a une partie piano de la chanson Closer qu’il a jouée et que l’on a gardée : sa prise originelle était bonne et il a su capter l’esprit d’où il voulait amener ce morceau.
G : Pourquoi avoir choisi le son d’une ouverture et de fermeture d’une porte pour le début et la fin de l’album ? Était-ce pour faciliter les écoutes en boucle ?
V.S. : Ce qui est intéressant est que ce n’était pas du tout intentionnel. J’ai enregistré le morceau Nectar avant la première piste de l’album, Fallen From Heart, et une fois la prise finie, je me suis levé et je suis parti en ouvrant la porte. Ce n’était pas intentionnel ou joué, je l’ai juste fait et oublié de le couper à la fin du fichier que j’ai envoyé à Tom. Et il me disait : « Belle prestation ! Et tu sais, les bruits de pas à la fin du morceau, on devrait les garder, ça sonne vraiment bien ! ». Et du coup, quand je travaillais sur Fallen From Heart, il m’a dit : « Tu devrais marcher jusqu’au piano et nous aurons cette expérience auditive ». C’est ce qui donne l’impression à l’auditeur qu’il écoute une prestation complète jusqu’à la fin de l’album : je m’assois et je joue ce concert pour lui ! Si tu mets un casque, tu as le sentiment que nous donnons un concert, car tu peux entendre plusieurs imperfections sonores d’origine humaine comme : la chaise qui bouge, des bruits d’os, Raphael qui se déplace en prenant une inspiration lorsqu’il doit jouer une phrase émotionnelle au violoncelle. Ainsi avec ton casque, tu as le sentiment d’entendre une performance live dans ton salon ou quelque chose du même style. Du coup les bruits de pas que l’on entend au début et à la fin donnent vraiment l’impression que j’arrive, que je joue dix chansons puis que je m’en vais. Le tout en attendant vos applaudissements ! (rires)
G : Ça me rappelle les trois morceaux bonus de Hymns For The Broken où l’on entend le groupe parler et rigoler avant les prises.
V.S. : J'aime vraiment ces morceaux ! On devrait garder toutes ces imperfections d’enregistrement, peut-être pas pour tous les styles de musique, mais au moins pour celui-là. Surtout que l’essence même de Silent Skies est d’être authentiquement humain : ce que nous sommes, ce que nous ressentons, pensons et faisons, et c’est ce que nous donnons au monde. Ce qui est quelque part d’une honnêteté brutale et je pense que c’est à ça que les gens se reconnaissent ; ils essaient de se rapprocher des choses qui leur sont honnêtes. Et quand un artiste donne au monde une véritable réflexion de qui ils sont, c’est bien plus simple pour tout le monde de se reconnaître à travers elle. C’est comme si tu avais une conversation : c’est bien plus simple d’avoir une conversation profonde entre deux personnes quand les deux sont honnêtes. Alors que si les deux sont en train de raconter des conneries et que tu peux le dire, tu ne peux pas avoir une véritable conversation avec elles, elle ne sera pas profonde et n’aura que peu de sens. Et c’est la même chose avec la musique : nous avons une conversation avec vous quand vous nous écoutez et par conséquent nous sommes très honnêtes sur ce que nous sommes réellement. Et quand tu es un auditeur, tu peux le recevoir et nous renvoyer cette honnêteté et ainsi avoir presque un dialogue en écoutant notre musique. C’est le magnifique pouvoir de la musique honnête : elle est bien plus que nous qui vous jetons à la figure des choses que vous écoutez ; vous êtes plus qu’un récepteur, nous le faisons ensemble !
G : C’est notamment pour cette raison que j’aime vos deux albums ! Arrêtez-moi d’ailleurs si je me trompe, mais il n’y a aucune reprise dans cet album.
V.S. : Correct ! Ce ne sont que des musiques originales.
G : Cela a été un choix arrêté ou était-ce juste dans la continuité des événements ?
V.S. : Dans le premier album, nous avions fait la chanson Here Comes The Rain Again et nous aimons cette chanson ; nous voulions la présenter de la façon dont nous la voyons. Beaucoup de personnes l’entendent avec les beats et les synthés d’Eurythmics et pensent que c’est une chanson joyeuse alors que c’est tout le contraire : c’est une chanson très triste ! Nous avons proposé une reprise proche de notre point de vue et d’un côté assez original. Et plus important, elle sonne comme nous, nous nous exprimions à travers elle. Alors qu’avec Nectar, nous n’avons pas ressenti ce besoin. Nous avions de superbes chansons qui exprimaient très bien ce que nous voulions pour cet album, nous en sommes donc restés là.
En fait, nous avons travaillé sur plusieurs reprises que nous pensons sortir en tant que singles ou standalones. Mais quand on regarde les musiques sur lesquelles nous avons travaillé avant la sortie de Nectar nous avions beaucoup de chansons originales : 14-15 chansons en addition des 9-10 que nous avions composées pendant Satellites. Nous avons pris les choses qui nous parlaient vraiment sur le moment, entre février et mai 2021, pour faire Nectar, et les autres chansons ne nous parlaient pas autant et pas de la manière dont on voulait que l’album soit à ce moment-là. On n’a donc pas inclus les reprises, pour être honnête, elles étaient vraiment bonnes et auraient pu avoir leur place, ce n’était pas une question de qualité mais…
G : Elles n’étaient pas nécessaires…
V.S. : Nous avons une intuition particulière sur ce que notre musique a besoin lorsque nous l’écrivons. Nous sommes très attentifs sur ce qui nous parle ou non, sur ce qui doit être amélioré : une sorte « d’intuition divine » qui nous accompagne durant tout le procédé d’écriture. Si « Dieu » nous dit de ne pas mettre de reprises ou de telles chansons dans l’album, tu ne peux pas aller à l’encontre de cette intuition ; car c’est tout ce que tu as.
G : De plus, il n’y a pas de triche quand tu ne proposes pas de reprises puisque l’auditeur n’a rien sur quoi se raccrocher quand il écoute l’album : pas de nostalgie, souvenirs…
V.S. : Oui, après Tom et moi adorons faire des reprises. Et j’ai repris tant de chansons au piano dans le passé, c’était mon moyen à moi d'entrer dans le monde de la musique. Quand je reprends une chanson, j'aime la reprendre à ma manière. Je ne vais pas le faire si je ne sens pas qu’elle résonne en moi, en fait elle doit résonner en moi autant que si c’était une de mes créations. Evergrey a aussi fait de chouettes reprises à travers les années. Donc Tom et moi sommes assez à l’aise avec l’exercice : nous aimons en faire, prendre une chanson et mettre différentes perspectives pour montrer de magnifiques profondeurs cachées à cette chanson. Mais oui, comme je le disais tout à l’heure, ça nous ne parlait pas cette fois-ci.
G : J’ai d’ailleurs vraiment adoré vos versions de l’EP de Head With Wings (NDLR : Confort In Illusion).
V.S. : Merci !
G : Pour le coup, je me demandais si le groupe avait la volonté de jouer des concerts ?
V.S. : Oui bien sûr ! Nous adorons faire des concerts avec nos autres projets musicaux, donc nous voulons catégoriquement le faire ! De plus, nous avons reçu plusieurs belles offres, donc nous y réfléchissons très sérieusement. Je peux donc dire avec une certaine certitude que nous porterons ce projet en live tôt ou tard. C’est un peu difficile à organiser, même avant la covid-19 : c’est dur pour deux personnes occupées sur deux différents continents de faire une tournée ensemble. Mais je pense que c’est envisageable !
G : Super !
G : Quel est l’avenir proche de Silent Skies ? Vous disiez que le prochain Redemption était en mixage, Tom est sur le prochain Evergrey, le projet se met-il en pause pendant quelque temps ?
V.S. : Pas du tout ! Nous sommes déjà en train de préparer le prochain. Nous avons un tel élan créatif, l’énergie et le désir de continuer à faire de nouvelles choses. C’est un projet qui est vraiment super pour nous et qui n’a pas de limite à ce que l’on fasse de nouvelles choses ou qui nous inspirent. C’est un projet vraiment différent de ce que nous faisons d’habitude dans nos emplois respectifs.
Nous sommes à l’écriture du troisième opus, ce qui nous occupe plutôt ces derniers temps ! Nous y avons même fait quelques progrès. Il n’y a donc pas de ralentissement ! Ce projet a pour volonté de perdurer, nous sommes contre l’idée de sortir un disque puis de laisser partir le projet ; c’est vraiment important pour nous.
G : Pourrions-nous y espérer de nouveaux instruments tels que la harpe, flûte…
V.S. : Il y a de la place pour tout ! On ne se pose pas de barrières : il n’y a pas de styles ou d’instruments qui ne nous vont pas ou qui pourraient ne pas nous correspondre : tout pourrait nous convenir !
G : Y aura-t-il des projets d’OST de jeux vidéo ? Comme le trailer de World War Z : Aftermath qui avait été composé par vous deux… Est-ce que vous avez apprécié l’expérience ?
V.S. : En fait, nous faisons beaucoup de bandes sons de jeux vidéo. C’est une activité que Tom et moi avons commencé l’année dernière et qui est devenue une partie importante de nos vies. Pour être honnête, ces derniers mois nous avons fini la bande son d’un jeu de Saber Interactive (NDLR : Halo, Crysis Remastered, World War Z, …) « Dakar Desert Rally ». Je pense que nous y avons dépensé plus d’énergie que pour Silent Skies durant les derniers mois. Nous avons vraiment beaucoup travaillé là-dessus, mais nous adorons ça, car c’est tellement différent ! Je te disais tout à l’heure à quel point Silent Skies était émotionnellement honnête et personnel, et les OST sont certes honnêtes et potentiellement vectrices d’émotions, mais ce n’est pas notre vision de l’histoire que nous racontons mais celle que les développeurs veulent raconter. Et nous créons donc de la musique fictive pour faciliter leur vision, nous devenons des outils pour donner de la cohérence à ce qu’ils veulent dire. C’est une approche vraiment différente sur le plan émotionnel et d’une certaine manière moins épuisante. Quand tu écris une musique émotionnelle telle que Silent Skies, tu vis chaque jour de travail comme une session de thérapie et travailler dans l’industrie du jeu vidéo n’est pas comme ça : tu fais juste des trucs cools ! Tu peux vraiment expérimenter, déconner, tenter plein de choses que l’on n’aurait jamais pu faire dans nos groupes respectifs : du sound design vraiment farfelu avec des sons très étranges. Nous avons aussi participé à d’autres OST l’année dernière, sur des jeux qui n’ont pas vraiment été annoncés, dans lesquelles nous avons exploré des territoires similaires.
Nous aimons vraiment ça. Tom et moi faisons ça ensemble comme Silent Skies, nous travaillons ensemble dans Redemption, nous avons quelque chose de cool que nous faisons ensemble. Nous sommes des esprits créatifs vraiment proches et nous avons cette synergie créatrice en tant qu’artiste et compositeur que je n’ai jamais vécu avec quelqu’un d’autre. Il comprend ce que je veux dire avec ma musique et il m’aide à articuler ce que je veux dire et à être la meilleure version de moi-même. Et je fais la même chose pour lui. Nous opérons à un niveau similaire d’une manière très naturelle en tant que duo en complétant les faiblesses de chacun d’une si belle manière. Cela importe peu que nous le fassions pour Silent Skies, Redemption, une bande son pour Saber Interactive ou n’importe quel autre projet : j’adore travailler avec lui et il fait de moi une meilleure version de moi-même.
G : Est-ce que vous partagerez vos prochaines OST sur vos réseaux sociaux ?
V.S. : Bien sûr ! L’industrie du jeu vidéo à l’heure actuelle, en ce qui concerne la musique, est un des environnements le plus lucratif pour faire de la musique. Les personnes n’achètent pas autant de musiques ou ne vont pas autant au cinéma par rapport à leurs habitudes passées avec la pandémie. Ce que nous faisons essentiellement est de rester chez nous en jouant notamment aux jeux vidéo. L’industrie vidéoludique est en pleine forme aujourd’hui ! A cause de la politique et de la façon dont l’industrie fonctionne, nous pouvons travailler sur une bande son et attendre un an avant de dire que nous l’avons. Je pense d’ailleurs que l’un des jeux sur lequel nous avons travaillé va avoir son trailer le mois prochain, alors que cela date de mars avril 2021 : « Et regarde ce truc que nous avons fait il y a un an ! ». Mais en vrai, c’est cool, c’est tellement différent et amusant de faire de la musique de cette manière.
Je suis allé au conservatoire pour avoir un diplôme en composition de musique de film, donc j’adore faire de la musique pour des images. C’est vraiment quelque chose qui me motive. C’est plus facile à dire, mais si les musiciens veulent essayer de faire quelque chose de différent ils devraient essayer de composer pour des images : bande son de jeu, de films, de série télé, … Si tu trouves l’opportunité de la faire, cela t’aide à grandir tellement et à travailler avec des paramètres différents que de simplement s'asseoir en studio avec ton instrument. Être capable de faire quelque chose de fonctionnel en travaillant avec une équipe réalisant des activités artistiques diverses est vraiment passionnant et instructif !
Le créneau étant limité, je n’ai pas pu poser toutes les questions que je désirais, mais l’interview reste passionnante, du moins je l’espère. Je ne peux que vous souhaiter une bonne lecture. (crédit photo de l'image de couverture : Patric Ullaeus)
G : Pouvez-vous vous présenter brièvement pour les personnes qui vous découvrent avec cette interview ?
Vikram Shankar : Bien sûr ! Je m’appelle Vikram Shankar, je suis le pianiste, producteur, co-auteur et la moitié du projet Silent Skies. Je joue aussi dans d’autres groupes : Redemption (NDLR : à ne pas confondre avec la formation française du même nom, on parle ici du groupe américain avec Tom S. Englund au chant) et Lux Terminus pour ne citer qu’eux. Et nous venons de sortir un nouvel album il y a tout juste une semaine et c’est chouette de pouvoir en parler aujourd’hui !
G : Lors de l'annonce de votre nouvel album, vous aviez aussi annoncé votre changement de label. Qu'a apporté Napalm records pour cet album ?
V.S. : Napalm est un super label ! Il est un des plus importants dans notre niche musicale ! Ce qui est cool avec eux : nous (Tom et lui) avons un background orienté Metal, nous adorons ce style et nous jouons tous les deux dans des groupes de Metal, mais Silent Skies n’en est absolument pas un. Cependant, Napalm a mieux compris que certains autres labels, ou même que d’autres personnes, qu’il y avait aussi de la place pour d’autres styles de musiques que le Metal et que les fans de ce genre sont aussi attirés par d’autres musiques qui peuvent en partager quelques valeurs communes : le côté sombre, les émotions comme source première d’inspiration, … et qui leur parlent tout autant. A vrai dire, nous ne sommes pas le premier groupe non Metal que Napalm a signé (NDLR : on peut citer Auri entre autres) et je ne pense pas qu’on sera le dernier, car ils comprennent vraiment cet esprit.
G : J’espère aussi !
V.S. : C’est vraiment chouette de travailler avec de telles personnes.
G : Tom S. Englund m’avait partagé que votre premier album avait mis trois ans à sortir après sa composition. Et du coup combien de temps a mis celui-ci ?
V.S. : Cela a été bien plus rapide cette fois ! Pour Satellites, nous avions mis deux ans à le composer puis deux autres années pour le sortir alors que l’écriture et l’enregistrement de Nectar nous a pris trois mois. Nous avons fait quelque chose que j’apprécie beaucoup lors de l’écriture : nous enregistrions toutes nos idées en tant que démos, mais dans la qualité nécessaire pour qu’elles puissent être intégrées directement dans la version finale. Il n’y avait donc pas vraiment de différences entre l’étape des démos et de l’enregistrement. A l’exception près pour le grand piano où je suis retourné chez moi pour enregistrer sur un vrai piano pour que le rendu sonne mieux et soit plus organique. Mais aussi pour donner une dimension plus intimiste que seul le réalisme peut apporter.
Par conséquent, nous avons presque tout enregistré lorsque l’on composait l’album. Du coup, c’était un truc assez fou que l’on puisse écrire et enregistrer tout l’album en l’espace de 2-3 mois. C’était vraiment un procédé unique, naturel et complet à la fois : écrire, enregistrer, produire et pré-mixer l’ensemble de l’album.
G : Vous l’avez écrit avec Tom S. Englund cette fois-ci ?
V.S. : Non, tout a été fait à distance. Pour Satellites, j’avais juste enregistré les prises avec le grand piano à Gothenburg, mais cette fois-là j’ai tout fait sur mon grand piano aux Etats-Unis. J’ai joué sur le grand piano sur lequel j’ai appris à jouer quand j’étais plus jeune qui est maintenant dans le salon de mes parents. Du coup, j’y suis allé et j'ai installé un bon système de microphones. J’avais aussi installé du feutre entre les cordes et le marteau (NDLR : sur un grand piano, lorsque l’on appuie sur les touches, un marteau va venir frapper sur une corde correspondant à la note jouée). Par conséquent, quand je jouais dessus, j’avais un son bien plus atténué qu’à la normale qui le rendait plus chaleureux, doux et feutré. (NDLR : vous pouvez voir ci-dessous une photo d'un piano feutré - photo de Tom Gatza)
V.S. : En fait, c’est un son assez fréquent parmi les compositeurs contemporains et modernes comme Ólafur Arnalds ou Nils Frahm qui font vraiment de belles choses avec un tel système. Nils Frahm a même sorti un album sous le nom de « Felt » (NDLR : feutre) pour faire découvrir cette pratique à son public j’imagine.
Je possède beaucoup de bibliothèques logicielles de piano ; dont « Felted Grand » que je peux utiliser lors de sessions d’écriture, mais le fait d’enregistrer sur son album et faire soi-même l’installation n’est pas forcément simple. Mettre le feutre sous les cordes alors que tu ne peux pas vraiment y accéder, faire en sorte qu’il n’y ait pas de buzz, que la pression soit bien répartie : c’est quelque chose d’assez exigeant ! Mais à la fin de la journée tu te dis : c’est mon instrument ! J’ai grandi en jouant avec, je l’ai moi-même feutré, j’ai enregistré directement dessus : il n’y a donc pas un piano au monde qui sonnera comme le piano que l’on entend dans Nectar. Et je pense que c’est vraiment cool comme identité sonore !
G : De plus, comme c’est le vôtre, vous pouvez en faire ce que vous voulez comme ajout.
V.S. : Exactement ! En plus, l’accordage de mon piano était vraiment une énigme lorsque j’ai dû le faire. Et avec le morceau de feutre, tout ce que tu pouvais jouer sonnait extraordinaire via la captation des microphones placés au plus proche des cordes, mais si tu t’asseyais et tu jouais normalement, l’amplitude sonore était tellement plus faible qu’à l’accoutumée que le tout est à peine audible. C’était vraiment l’enfer à jouer. Mais bon, on le fait pour l’art (rires) !
G : Mais le résultat est excellent !
V.S. : C’est vraiment le meilleur son de piano que j’ai enregistré pour un album. Le piano de Satellites était un « 9 foots Concert Grand Piano » et réussir à avoir un meilleur son avec mon piano d’enfance a quelque chose de vraiment spécial.
G : Cet album semble bien moins minimaliste que son prédécesseur, que ce soit sur le travail des arrangements instrumentaux et vocaux. Est-ce venu naturellement ou était-ce un de vos objectifs ?
V.S. : Je ne dirais pas qu’on avait spécialement d’objectif excepté de faire un très bon album. Je pense qu’on avait cette idée commune que nous allions faire tout ce qui était en notre pouvoir pour avoir le meilleur son possible. Nous en sommes arrivés donc à un point où nous avons fait des choses que nous n’avions pas faites pour Satellites, mais que nous avions jugées nécessaires pour amener notre musique à un autre niveau. On peut notamment entendre plus de synthétiseurs. Il y en avait sur Satellites, mais pas dans cette quantité et certains provenaient de logiciels, les moyens que j’avais à l’époque, et maintenant j’ai tout ce que tu peux voir derrière moi (NDLR : Vikram donnait l’interview dans son studio entouré de ses claviers et synthétiseurs analogiques)
On a donc utilisé tous les outils que nous avions à notre disposition pour injecter de la fraîcheur à cet album : plus de touches électroniques comme des beats ou des percussions électroniques,…
G : Et un violoncelle !
V.S. : En vérité, il y a du violoncelle sur les deux albums, à chaque fois joués par Raphaël Weinroth Browne. Mais avec Nectar, il a joué un rôle plus créatif : nous lui avons donné plus de liberté artistique pour apporter davantage de caractère et contribuer au paysage sonore d’une manière vraiment intéressante ! Il a vraiment su apporter de la profondeur aux chansons. Quand tu écoutes l’album avec un casque, tu perçois cette immensité qui n’est pas vraiment perceptible autrement. Je pense que nous avons réussi à garder notre son intimiste et minimaliste tout en améliorant l’atmosphère sonore. Notre musique fonctionne sur deux niveaux : le cœur est intimiste et petit tout en étant imposant et riche.
G : Il est vrai qu’il y a des subtilités que je n’avais pas saisies quand j’écoutais l’album juste avec mon ordinateur. L’écouter avec un casque le rend plus subtil !
G : Jacob Hansen est au mix et mastering. Sa présence a-t-elle changé quoi que ce soit à votre façon de faire ?
V.S. : D’une certaine manière, nos deux albums avaient une forte identité musicale avant d’arriver au mixage. Pour le premier, nous avions Christer-André Cederberg qui ne fait pas partie de la sphère Metal. Son travail le plus Metal est certainement les quelques albums qu’il a faits pour Anathema et qui étaient vraiment bons ! Je pense qu’il a aussi travaillé sur un album de Circus Maximus ou quelque chose du genre (NDLR : il a aussi collaboré avec Tides From Nebula ou Leprous sur leur morceau Running Low). Bref, il est plus orienté vers sur des groupes Rock/Pop dans son travail de tous les jours et il a fait du bon travail en construisant le son de Satellites tel qu’il est. Mais Tom et moi avons toujours été très attentif sur l’état de l’album avant son mix.
Pour Nectar, certaines sessions réunissaient entre quatre-vingts et cent pistes de claviers et percussions et je les ai sous mixées avant de les envoyer à Jacob Hansen. Ce qui fait que Jacob recevait une dizaine de pistes de claviers avec l’ensemble déjà pré-produit et concentré en plusieurs échantillons. Du coup Jacob a plutôt fait un travail de mixage sur les échantillons : il y avait beaucoup de choses qu’il n’avait pas à faire comme du travail d’ajustement du volume sonore au sein des différents échantillons. J’ai conçu le son avec beaucoup d’égalisation et de dynamisation, beaucoup d’étapes que certaines personnes pourraient déjà considérer comme du mixage. Sur la partie des claviers et des synthétiseurs, il y a eu donc pas mal de travail fait en amont, par contre nous n’avons rien touché aux parties vocales de Tom. Donc la plus grande partie des voix que vous entendez fait partie de la magie de Jacob, tout comme le grand piano dont il a cultivé le son d’une bien belle manière.
D’un point vue général, il n’a pas eu à faire grand-chose, mais de facto, qu’il soit la personne qui l’ait fait, qu’on profite de son écoute, son expertise et sa sagesse rendent l’album meilleur. Après, nous aurions pu le faire nous-mêmes tout en ayant un bon résultat, mais le fait qu’il nous ait aidé à travailler sur les derniers 25% l’a transformé de bon à super.
Et c’est aussi chouette pour lui, car il n’a pas trop l’opportunité de faire de musique de ce style, mais plutôt différents styles de Metal. Il a donc eu la possibilité d’explorer le logiciel de dynamique (NDLR : « dynamic range »), chose pour laquelle il est très bon, mais dont il n’a pas forcément la possibilité de travailler dessus souvent. Je pense qu’il a bien aimé travailler avec nous !
G : Surtout qu’il connaît bien la voix de Tom S. Englund.
V.S. : Exactement ! Il a dû faire 4-5 albums d’Evergrey, il a aussi travaillé sur l’album de Redemption sorti en 2018, où nous (Tom et Vikram) étions, et est en train de mixer le prochain album. Il ne peut pas s'échapper de Tom, il en doit en avoir marre à ce stade. Mais il connaît la voix de Tom si bien, tout comme son équipement d’enregistrement ; car Tom s’enregistre lui-même avec un microphone très particulier. Jacob est familier de cette chaîne de traitement du signal et il sait quand Tom lui envoie ses voix qui doivent sonner d’une telle manière alors elles devront avoir besoin de tel élément. C’était donc vraiment un choix logique pour nous que de travailler avec lui.
G : Pourquoi avoir fait le choix d'un titre instrumental comme le nom de l'album ?
V.S. : Les morceaux instrumentaux sont vraiment des morceaux particuliers. Beaucoup de nos influences à Tom et moi, quand nous parlons musique, sont des influences essentiellement instrumentales : Ólafur Arnalds, Nils Frahm, Max Richter, Ludovico Einaudi,… Il y a quelque chose dans la musique instrumentale qui donne à l’auditeur une certaine liberté. Il n’y a pas les paroles qui indiquent la manière dont on devrait penser et ressentir la musique, vous avez une plus grande liberté d’interprétation. Vous pouvez aussi y appliquer votre propre peinture émotionnelle de la vie, vos expériences de la façon dont vous vivez en tant qu’être humain. Cela peut donc signifier des choses complètement différentes selon les personnes et c’est ce pouvoir qu’à la musique instrumentale depuis plusieurs centaines d’années.
Nous avions aussi conclu Satellites par un titre instrumental et c’est quelque chose qui nous semblait encore une fois juste et qui permet de prendre du recul sur les neuf précédentes musiques et d’y réfléchir. Après avoir eu une conversation très émotionnelle avec votre partenaire, la personne que vous aimez ou n’importe qui d’autre, vous avez besoin normalement de prendre du recul pour intégrer tout ça pour déterminer ce qui s’est passé émotionnellement, rassembler ses idées et prendre une seconde pour respirer. C’est comme ça que vous digérez les choses et c’est exactement ce que nous voulions proposer en mettant un morceau instrumental à la fin de notre album ; on s’était dit que ce serait sympa de faire ainsi.
Et il faut dire que nous aimons aussi ce titre, Nectar, c’est très évocateur pour nous : le nectar, l’essence de la vie, la force intérieure, … La vie nous balance tellement de merdes et de choses dures auxquelles nous devons faire face en tant que personne. La vie peut vraiment être dure sans qu’il n’y ait moyen de l’éviter. Le nectar est cette force de volonté intérieure qui vous pousse en avant, c’est ce que tu tires de toi-même pour t’en sortir ! L’album est en quelque sorte, un hymne dédié au pouvoir de l’esprit humain.
G : Est-ce que Tom S. Englund a participé à sa composition ?
V.S. : Je pense qu’il en a écrit le thème principal. Dans le groupe, je suis le musicien et Tom le chanteur. Mais avant d’être chanteur, c’est un guitariste et il a vraiment un très bon esprit musical : il est très doué à composer de la musique et à la produire. Il entend les détails et ses intuitions sont remarquables ! Je prends beaucoup de plaisir à me plonger dans les harmonies vocales. Je ne suis pas un excellent chanteur, certes je chante sur l’album, mais je n’en suis pas un ! En vérité, j’adore chanter et la voix humaine est l’instrument le plus puissant.
Là où je veux en venir est que nous sommes constamment dans le territoire de l’autre : j’offre toujours mes opinions sur les parties chantées, je propose des mélodies alternatives et Tom propose des choses que je peux faire avec le piano et m’écrit des parties que je peux essayer. Bien sûr, quand je joue du piano, elles deviennent une partie de moi : je les filtre dans ma conscience musicale, mais il intervient souvent sur les parties que je joue. Je crois d’ailleurs qu’il y a une partie piano de la chanson Closer qu’il a jouée et que l’on a gardée : sa prise originelle était bonne et il a su capter l’esprit d’où il voulait amener ce morceau.
G : Pourquoi avoir choisi le son d’une ouverture et de fermeture d’une porte pour le début et la fin de l’album ? Était-ce pour faciliter les écoutes en boucle ?
V.S. : Ce qui est intéressant est que ce n’était pas du tout intentionnel. J’ai enregistré le morceau Nectar avant la première piste de l’album, Fallen From Heart, et une fois la prise finie, je me suis levé et je suis parti en ouvrant la porte. Ce n’était pas intentionnel ou joué, je l’ai juste fait et oublié de le couper à la fin du fichier que j’ai envoyé à Tom. Et il me disait : « Belle prestation ! Et tu sais, les bruits de pas à la fin du morceau, on devrait les garder, ça sonne vraiment bien ! ». Et du coup, quand je travaillais sur Fallen From Heart, il m’a dit : « Tu devrais marcher jusqu’au piano et nous aurons cette expérience auditive ». C’est ce qui donne l’impression à l’auditeur qu’il écoute une prestation complète jusqu’à la fin de l’album : je m’assois et je joue ce concert pour lui ! Si tu mets un casque, tu as le sentiment que nous donnons un concert, car tu peux entendre plusieurs imperfections sonores d’origine humaine comme : la chaise qui bouge, des bruits d’os, Raphael qui se déplace en prenant une inspiration lorsqu’il doit jouer une phrase émotionnelle au violoncelle. Ainsi avec ton casque, tu as le sentiment d’entendre une performance live dans ton salon ou quelque chose du même style. Du coup les bruits de pas que l’on entend au début et à la fin donnent vraiment l’impression que j’arrive, que je joue dix chansons puis que je m’en vais. Le tout en attendant vos applaudissements ! (rires)
G : Ça me rappelle les trois morceaux bonus de Hymns For The Broken où l’on entend le groupe parler et rigoler avant les prises.
V.S. : J'aime vraiment ces morceaux ! On devrait garder toutes ces imperfections d’enregistrement, peut-être pas pour tous les styles de musique, mais au moins pour celui-là. Surtout que l’essence même de Silent Skies est d’être authentiquement humain : ce que nous sommes, ce que nous ressentons, pensons et faisons, et c’est ce que nous donnons au monde. Ce qui est quelque part d’une honnêteté brutale et je pense que c’est à ça que les gens se reconnaissent ; ils essaient de se rapprocher des choses qui leur sont honnêtes. Et quand un artiste donne au monde une véritable réflexion de qui ils sont, c’est bien plus simple pour tout le monde de se reconnaître à travers elle. C’est comme si tu avais une conversation : c’est bien plus simple d’avoir une conversation profonde entre deux personnes quand les deux sont honnêtes. Alors que si les deux sont en train de raconter des conneries et que tu peux le dire, tu ne peux pas avoir une véritable conversation avec elles, elle ne sera pas profonde et n’aura que peu de sens. Et c’est la même chose avec la musique : nous avons une conversation avec vous quand vous nous écoutez et par conséquent nous sommes très honnêtes sur ce que nous sommes réellement. Et quand tu es un auditeur, tu peux le recevoir et nous renvoyer cette honnêteté et ainsi avoir presque un dialogue en écoutant notre musique. C’est le magnifique pouvoir de la musique honnête : elle est bien plus que nous qui vous jetons à la figure des choses que vous écoutez ; vous êtes plus qu’un récepteur, nous le faisons ensemble !
G : C’est notamment pour cette raison que j’aime vos deux albums ! Arrêtez-moi d’ailleurs si je me trompe, mais il n’y a aucune reprise dans cet album.
V.S. : Correct ! Ce ne sont que des musiques originales.
G : Cela a été un choix arrêté ou était-ce juste dans la continuité des événements ?
V.S. : Dans le premier album, nous avions fait la chanson Here Comes The Rain Again et nous aimons cette chanson ; nous voulions la présenter de la façon dont nous la voyons. Beaucoup de personnes l’entendent avec les beats et les synthés d’Eurythmics et pensent que c’est une chanson joyeuse alors que c’est tout le contraire : c’est une chanson très triste ! Nous avons proposé une reprise proche de notre point de vue et d’un côté assez original. Et plus important, elle sonne comme nous, nous nous exprimions à travers elle. Alors qu’avec Nectar, nous n’avons pas ressenti ce besoin. Nous avions de superbes chansons qui exprimaient très bien ce que nous voulions pour cet album, nous en sommes donc restés là.
En fait, nous avons travaillé sur plusieurs reprises que nous pensons sortir en tant que singles ou standalones. Mais quand on regarde les musiques sur lesquelles nous avons travaillé avant la sortie de Nectar nous avions beaucoup de chansons originales : 14-15 chansons en addition des 9-10 que nous avions composées pendant Satellites. Nous avons pris les choses qui nous parlaient vraiment sur le moment, entre février et mai 2021, pour faire Nectar, et les autres chansons ne nous parlaient pas autant et pas de la manière dont on voulait que l’album soit à ce moment-là. On n’a donc pas inclus les reprises, pour être honnête, elles étaient vraiment bonnes et auraient pu avoir leur place, ce n’était pas une question de qualité mais…
G : Elles n’étaient pas nécessaires…
V.S. : Nous avons une intuition particulière sur ce que notre musique a besoin lorsque nous l’écrivons. Nous sommes très attentifs sur ce qui nous parle ou non, sur ce qui doit être amélioré : une sorte « d’intuition divine » qui nous accompagne durant tout le procédé d’écriture. Si « Dieu » nous dit de ne pas mettre de reprises ou de telles chansons dans l’album, tu ne peux pas aller à l’encontre de cette intuition ; car c’est tout ce que tu as.
G : De plus, il n’y a pas de triche quand tu ne proposes pas de reprises puisque l’auditeur n’a rien sur quoi se raccrocher quand il écoute l’album : pas de nostalgie, souvenirs…
V.S. : Oui, après Tom et moi adorons faire des reprises. Et j’ai repris tant de chansons au piano dans le passé, c’était mon moyen à moi d'entrer dans le monde de la musique. Quand je reprends une chanson, j'aime la reprendre à ma manière. Je ne vais pas le faire si je ne sens pas qu’elle résonne en moi, en fait elle doit résonner en moi autant que si c’était une de mes créations. Evergrey a aussi fait de chouettes reprises à travers les années. Donc Tom et moi sommes assez à l’aise avec l’exercice : nous aimons en faire, prendre une chanson et mettre différentes perspectives pour montrer de magnifiques profondeurs cachées à cette chanson. Mais oui, comme je le disais tout à l’heure, ça nous ne parlait pas cette fois-ci.
G : J’ai d’ailleurs vraiment adoré vos versions de l’EP de Head With Wings (NDLR : Confort In Illusion).
V.S. : Merci !
G : Pour le coup, je me demandais si le groupe avait la volonté de jouer des concerts ?
V.S. : Oui bien sûr ! Nous adorons faire des concerts avec nos autres projets musicaux, donc nous voulons catégoriquement le faire ! De plus, nous avons reçu plusieurs belles offres, donc nous y réfléchissons très sérieusement. Je peux donc dire avec une certaine certitude que nous porterons ce projet en live tôt ou tard. C’est un peu difficile à organiser, même avant la covid-19 : c’est dur pour deux personnes occupées sur deux différents continents de faire une tournée ensemble. Mais je pense que c’est envisageable !
G : Super !
G : Quel est l’avenir proche de Silent Skies ? Vous disiez que le prochain Redemption était en mixage, Tom est sur le prochain Evergrey, le projet se met-il en pause pendant quelque temps ?
V.S. : Pas du tout ! Nous sommes déjà en train de préparer le prochain. Nous avons un tel élan créatif, l’énergie et le désir de continuer à faire de nouvelles choses. C’est un projet qui est vraiment super pour nous et qui n’a pas de limite à ce que l’on fasse de nouvelles choses ou qui nous inspirent. C’est un projet vraiment différent de ce que nous faisons d’habitude dans nos emplois respectifs.
Nous sommes à l’écriture du troisième opus, ce qui nous occupe plutôt ces derniers temps ! Nous y avons même fait quelques progrès. Il n’y a donc pas de ralentissement ! Ce projet a pour volonté de perdurer, nous sommes contre l’idée de sortir un disque puis de laisser partir le projet ; c’est vraiment important pour nous.
G : Pourrions-nous y espérer de nouveaux instruments tels que la harpe, flûte…
V.S. : Il y a de la place pour tout ! On ne se pose pas de barrières : il n’y a pas de styles ou d’instruments qui ne nous vont pas ou qui pourraient ne pas nous correspondre : tout pourrait nous convenir !
G : Y aura-t-il des projets d’OST de jeux vidéo ? Comme le trailer de World War Z : Aftermath qui avait été composé par vous deux… Est-ce que vous avez apprécié l’expérience ?
V.S. : En fait, nous faisons beaucoup de bandes sons de jeux vidéo. C’est une activité que Tom et moi avons commencé l’année dernière et qui est devenue une partie importante de nos vies. Pour être honnête, ces derniers mois nous avons fini la bande son d’un jeu de Saber Interactive (NDLR : Halo, Crysis Remastered, World War Z, …) « Dakar Desert Rally ». Je pense que nous y avons dépensé plus d’énergie que pour Silent Skies durant les derniers mois. Nous avons vraiment beaucoup travaillé là-dessus, mais nous adorons ça, car c’est tellement différent ! Je te disais tout à l’heure à quel point Silent Skies était émotionnellement honnête et personnel, et les OST sont certes honnêtes et potentiellement vectrices d’émotions, mais ce n’est pas notre vision de l’histoire que nous racontons mais celle que les développeurs veulent raconter. Et nous créons donc de la musique fictive pour faciliter leur vision, nous devenons des outils pour donner de la cohérence à ce qu’ils veulent dire. C’est une approche vraiment différente sur le plan émotionnel et d’une certaine manière moins épuisante. Quand tu écris une musique émotionnelle telle que Silent Skies, tu vis chaque jour de travail comme une session de thérapie et travailler dans l’industrie du jeu vidéo n’est pas comme ça : tu fais juste des trucs cools ! Tu peux vraiment expérimenter, déconner, tenter plein de choses que l’on n’aurait jamais pu faire dans nos groupes respectifs : du sound design vraiment farfelu avec des sons très étranges. Nous avons aussi participé à d’autres OST l’année dernière, sur des jeux qui n’ont pas vraiment été annoncés, dans lesquelles nous avons exploré des territoires similaires.
Nous aimons vraiment ça. Tom et moi faisons ça ensemble comme Silent Skies, nous travaillons ensemble dans Redemption, nous avons quelque chose de cool que nous faisons ensemble. Nous sommes des esprits créatifs vraiment proches et nous avons cette synergie créatrice en tant qu’artiste et compositeur que je n’ai jamais vécu avec quelqu’un d’autre. Il comprend ce que je veux dire avec ma musique et il m’aide à articuler ce que je veux dire et à être la meilleure version de moi-même. Et je fais la même chose pour lui. Nous opérons à un niveau similaire d’une manière très naturelle en tant que duo en complétant les faiblesses de chacun d’une si belle manière. Cela importe peu que nous le fassions pour Silent Skies, Redemption, une bande son pour Saber Interactive ou n’importe quel autre projet : j’adore travailler avec lui et il fait de moi une meilleure version de moi-même.
G : Est-ce que vous partagerez vos prochaines OST sur vos réseaux sociaux ?
V.S. : Bien sûr ! L’industrie du jeu vidéo à l’heure actuelle, en ce qui concerne la musique, est un des environnements le plus lucratif pour faire de la musique. Les personnes n’achètent pas autant de musiques ou ne vont pas autant au cinéma par rapport à leurs habitudes passées avec la pandémie. Ce que nous faisons essentiellement est de rester chez nous en jouant notamment aux jeux vidéo. L’industrie vidéoludique est en pleine forme aujourd’hui ! A cause de la politique et de la façon dont l’industrie fonctionne, nous pouvons travailler sur une bande son et attendre un an avant de dire que nous l’avons. Je pense d’ailleurs que l’un des jeux sur lequel nous avons travaillé va avoir son trailer le mois prochain, alors que cela date de mars avril 2021 : « Et regarde ce truc que nous avons fait il y a un an ! ». Mais en vrai, c’est cool, c’est tellement différent et amusant de faire de la musique de cette manière.
Je suis allé au conservatoire pour avoir un diplôme en composition de musique de film, donc j’adore faire de la musique pour des images. C’est vraiment quelque chose qui me motive. C’est plus facile à dire, mais si les musiciens veulent essayer de faire quelque chose de différent ils devraient essayer de composer pour des images : bande son de jeu, de films, de série télé, … Si tu trouves l’opportunité de la faire, cela t’aide à grandir tellement et à travailler avec des paramètres différents que de simplement s'asseoir en studio avec ton instrument. Être capable de faire quelque chose de fonctionnel en travaillant avec une équipe réalisant des activités artistiques diverses est vraiment passionnant et instructif !
A propos de Gauvain
Jadis chroniqueur acharné, Gauvain préfère dorénavant occuper son temps libre à l'animation de lives hebdomadaires sur notre chaîne Twitch à la découverte de groupes intéressants. La légende raconte qu'on y passerait jamais de Metal... Il n'est cependant pas rare de le voir publier quelques articles à l'année quand l'envie lui prend.