Chronique : Knocked Loose - A Tear in the Fabric of Life

Chronique : Knocked Loose - A Tear in the Fabric of Life

Chroniques 1 Février 2022

Mi-octobre, les héros du Kentucky, Knocked Loose, ont lancé une bombe sans prévenir. J’imagine qu’on peut qualifier cela d’EP surprise, A Tear in the Fabric of Life nous envoie une énorme baffe dans les dents, de quoi casser toutes les mâchoires d’une salle de 700 personnes, au moins. Knocked Loose, c’est du Hardcore empreint de Beatdown, sans concession. C’est brutal, et c’est à la fois profond, car là où des fois, les paroles et concepts évoqués dans le Hardcore peuvent être amenés de façon relativement simple, pour coller à l’esthétique « in your face » de la musique ; Knocked Loose ont toujours su me toucher avec leurs textes. Leur dernier album A Different Shade of Blue m’a vraiment marqué, et parle de choses qui peuvent résonner en moi. Je l’écoute très régulièrement. Force est de constater, ce nouvel EP, je l’ai fait tourner aussi. C’est un sans faute de 20 minutes de violence.

C’est un projet ambitieux que j’ose qualifier d’œuvre complète, car, au-delà de la musique, et de la pochette, dont je reparlerai plus tard, nous avons aussi un court-métrage d’animation, en noir et blanc, sobre, que l’on doit visionner avec la musique afin de tout comprendre. Pour résumer l’idée scénaristique, un couple en voiture a un accident. Le conducteur survie, mais sa compagne succombe à ses blessures. Ainsi commence le film, et l’on suit ensuite ce survivant squelettique, qui n’est plus que l’ombre de lui-même, rongé par la tristesse, les remords, plongé dans la solitude et la dépression, qui essaie de combattre les traumatismes et les fantômes laissés par cet accident, comme des cicatrices à vif dans sa chair. Le tout accompagné d’une musique ultra efficace, des cris courroucés de Bryan Garris, sur des breaks lourds comme jamais, avec des sections véloces et des blasts beats plus fréquents que sur leurs précédents disques. Tout ce que j’aime, quoi.

Prenons quelques instants pour commenter la pochette, qui est tout autant percutante que le reste.

Le titre est placé en haut à gauche, et dès lors on sait que l’EP sera déchirant, et que la vie elle-même ne s’en remettra pas. L’illustration de la pochette est une photographie aux tons rouges et noirs, très sombre, et glauque, dans laquelle une personne semble pendue, son corps inerte suspendu dans les ténèbres. On peut facilement imaginer que ce corps symbolise à la fois la mort de la compagne du protagoniste, mais aussi la peine de ce dernier. La posture du corps n’est pas celle d’un être qui aurait trouvé le repos éternel. Non, c’est celle de quelqu’un qui a souffert, peut-être même qui souffre encore dans l’au-delà, tant ceux qui restent dans le monde des vivants sombrent dans la démence, ne pouvant digérer la mort de l’être aimé.





Voici la liste des morceaux de l’EP :

  1. Where Light Divides the Holler

  2. God Knows

  3. Forced to Stay

  4. Contorted in the Faille

  5. Return to Passion

  6. Permanent


Je vous propose aussi d’écouter/regarder le film qui va avec, avant de poursuivre.


Je vais maintenant reprendre la suite des événements dans l’ordre chronologique, morceau par morceau.

Where Light Divides the Holler

L’EP commence par des bruitages pour nous mettre dans le contexte. Une clé, un contact, un moteur, la route. On entend la radio qui grésille entre news et chansons, jusqu’au crash, où le passager est projeté à travers le pare-brise au moment du choc contre un arbre au coin de la route. On commence direct avec du lourd, musicalement. Un cri strident coïncide avec ce choc, et les instruments nous font du Beatdown, on reste sur des rythmes lents, mais chaque note percute plus que la précédente. Le corps survivant se reconstitue à travers les débris, des images de brisures nous évoquent l’incompréhension du moment. Des lumières et visions aveuglantes viennent troubler l’esprit du conducteur, qui vient chercher sa compagne, qui meurt dans ses bras. L’ombre de la culpabilité et de la folie, de ses grands yeux brillants, semble venir s’emparer de ce qui reste de lucide dans le conducteur, le transformant en âme égarée. Les paroles évoquent cette perte, ce sentiment de responsabilité du conducteur, et le titre de l’EP revient dans le texte, car cet événement bouleversera sa vie à tout jamais. A la fin, on remarque ces deux lignes, soulignant l’importance de la relation des deux personnages, et le fait que le survivant sombre dans un nouveau départ caractérisé par le vide.

“We have each other and that’s all we’ll ever need”

“I am reborn in a life without you”


God Knows

Un morceau qui correspond musicalement très bien à ce qu’on connaît du groupe. On pourrait le scinder en deux : la première moitié nous propose un hardcore rapide et agressif, là où la seconde moitié martèle des breaks de Beatdown jusqu’à la fin, sur des guitares extrêmement graves et saturées, incitant au cassage de bouche dans les règles de l’art. On termine sur un petit sample tout guilleret qui répète, si je traduis ; « Dieu seul sait ce que je serais sans toi ». Ces mots illustrent parfaitement là où le texte et le film veulent en venir. Dans les images, on voit que notre personnage est accablé par la culpabilité, il ressasse les événements, voit la mort de l’autre constamment, et supporte sur son dos frêle le poids des ses remords. Il marche seul, croirait-on, mais en réalité, il est suivi par ses démons, donnez leur les noms que vous voudrez, « dépression », « peine », « culpabilité », « anxiété ». Ces créatures prennent une forme humanoïde indéfinie, des ombres noires aux globes oculaires brillant dans l’obscurité. Ce chemin, cette nouvelle route, notre personnage doit la traverser en compagnie des avatars de sa conscience. Il reste toutefois physiquement seul, et, faute de mieux, attribue son sort à une punition divine, car Dieu sait. « Dieu sait que ma place est en Enfer, c’est pour ça qu’il m’a laissé seul sur Terre »


Forced to Stay

Déjà, rien que dans le titre, on sait qu’on continue sur ce douloureux voyage de la culpabilité et de la solitude, qui ne fait que s’affirmer davantage. On peut comprendre que notre personnage aurait préféré mourir lui aussi, que d’être contraint de rester parmi les vivants. Il y a quelque chose que j’ai énormément aimé ici, musicalement, c’est l’omniprésence de riffs dissonants, assez inattendus, en plus, au début du morceau, sur des blast beats. C’était d’autant plus incongru que ces guitares ne sonnaient en rien comme du Hardcore. Elles me rappelaient des riffs de Suffering Hour, du Black/Death dissonant. Comme sur le morceau précédent, la première partie est véloce, elle blaste, et la fin envoie de breaks pour mouliner dans le pit. Les images du film ont été pour moi particulièrement évocatrices. Là où auparavant, on voyait le personnage hanté par ses démons naissants, on les voit ici prendre le contrôle. Il est d’abord seul, entouré d’arbres, le même que celui qu’il a percuté. Il s’enracine entre ces derniers, qui se transforment tous en ces ombres maléfiques aux yeux brillants. Et c’est à partir de là que s’illustre la perte de contrôle, le moment où toute cette négativité submerge l’être et prend le dessus sur sa vie. Il est brisé, et cela se comprend par l’usage fréquent de débris autour de lui, et par son bras qui se désagrège. Un trône apparaît, sur lequel il siège, les ombres le suivant comme un roi. Mais qui guide ? Une ombre encore plus colossale siège derrière lui. S’ensuit une scène glauque au possible, où les ombres forment une allée d’honneur tandis que le trône avance. Chacune des ombres, au passage de leur roi, fait offrande de ses yeux au monarque. Ainsi, il est assujetti à tous ses sujets, car autour de lui, il ne reste plus que ces avatars du vide.


Contorted in the Faille

Un morceau brutal qui alterne entre gros blasts et breaks, probablement le plus bourrin de la discographie du groupe. Il suit logiquement le précédent, en ce que notre personnage est maintenant enfermé dans sa forteresse de solitude, son esprit se corrompt, son âme se consume, et il dérive vers la folie. Symbolisée par le feu, cette corruption l’amène vers le déni, et l’apparition d’un nouveau fantôme, blanc, couvert d’un voile de lumière. Celui de la défunte. Le trône est brisé, on pourrait le croire libéré, mais évidemment, ce n’est pas le cas, il ne fait que s’enfermer plus encore dans un nouveau mensonge. Je cite :

“Now all that is left

Is to remove the weight of the earth

Now all that is left

Is to remove the dirt that holds your ghost”

Pour libérer l’être aimé, contrit par cette terre qui recouvre son corps en décomposition, il doit se mettre l’ouvrage. Le morceau se termine par un sample de bruits de pelle. Vous l’aurez compris. Pour être à nouveau réunis, il va la déterrer.


Return to Passion

Un morceau très court et violent. En effet, il dure à peine plus d’une minute. Et pourtant, en si peu de temps, il parvient à faire deux clins d’œil au précédent album du groupe, A Different Shade of Blue, aux morceaux « Guided by the Moon » et « In the Walls ». Dans le premier morceau, on nous fait savoir que, sous la lueur de la lune, seul il restera, en attendant de revoir un être perdu. Ici, c’est sous cette même lueur que notre protagoniste ira déterrer le cadavre de son aimée, pour retrouver sa passion disparue. Il nous dit qu’il la gardera en ses murs, mais cela semble être un échec, car le corps s’effrite et se rompt en plusieurs morceaux. « Return to Passion » se termine sur les murmures d’une voix féminine, qui dit, si je traduis : « Tu es en sécurité, tout va bien, je suis avec toi ». Dans le film, c’est représenté par une scène où le personnage a rangé tous les morceaux du corps dans des renfoncements d’un mur, puis réapparaît le fantôme blanc, qui vient le prendre dans se bras en lui murmurant ces mots. Est-ce une incitation à lâcher prise ? Ou peut-être est-ce une façon de se dire que son plan a réussi, que sa chère et tendre est de retour ? Deux visions qui s’opposent, le dernier morceau de l’EP nous donnera la réponse.


Permanent

Je dirais que la réponse que nous recherchons est un savant mélange des deux visions citées plus haut. Le titre « Permanent », nous invite à nous demander ce qui est permanent. Les paroles nous le répètent : « Permanent blue ». Le bleu, en anglais, c’est la couleur de la mélancolie, et de toutes ses nuances, que l’on retrouve dans l’expression « I’m feeling blue ». Il est clair que la réalité de telles circonstances est dure, voire insurmontable. Le personnage réalise qu’il ne peut plus vivre sans elle, et qu’il ne peut plus vivre avec ses remords. Il veut retrouver ce sentiment d’amour qui auparavant le faisait vibrer. Mais la mort l’a emporté. Et il se dit que seule la mort les réunira, car sans ce soleil, si je reprends ses mots, on ne peut plus grandir. Il veut mourir, c’est clair. Il veut une place à ses côtés en enfer. Il rejette la condamnation de Dieu, qui l’a laissé en exil chez les vivants. Il s’excuse, et ce seront ses derniers mots, et s’en va retrouver son fantôme chéri. Dans le film, tout explose, lui comme l’apparition revêtent des formes squelettiques, s’embrassent, et se retrouvent dans cette chaotique autodestruction. La caméra s’éloigne, et, sortant de cette forteresse, on en aperçoit plus clairement les détails, qui rappellent un conte de fées, curieusement : un château dans le ciel. Toutefois, par les lumières des visuels et les formes pointues, ont lui donnerait sans broncher un côté infernal. Si c’est le cas, alors le personnage n’a pas changé d’environnement, car le château était déjà là, laissant penser que toute sa vie après l’accident était déjà l’Enfer.


Enfin bref, je conclus : cet EP, c’est la guerre. Et c’est aussi un travail sur le deuil, et plus largement sur comment on se sent lorsqu’on est au bord du gouffre. Les images sont choquantes, elles ne proposent pas forcément de solution, car le suicide n’en est pas une. C’est plutôt un échec de toutes les autres solutions. Mais, par tout cela, cela peut donner une image assez nette du genre de choses que traversent des personnes ayant sombré dans la dépression, et qui peinent à trouver une échappatoire. Solitude, anxiété, folie, mélancolie, envies de mort, ce sont des sentiments que bien des gens ont dû/doivent encore affronter. Peu importe le contexte et les origines du mal. C’est un peu pour ça que ça me parle, je suis aussi passé par là. Sur une note plus joyeuse, l’expression de tels sentiments en musique peut servir d’exutoire, peut servir, malgré la peine ressentie, à se redresser, à mettre des mots dessus, à aller de l'avant. C'est aussi à ça que sert ce genre d'art, transformer la violence en salvation cathartique...

Bon, il faut le dire, Knocked Loose, c’est les grands la nouvelle scène Hardcore. De la musique pour ceux qui aiment par-dessus tout se battre et être tristes. Comme toujours, rien de très fun dans ce que je vous propose. Après un précédent album du tonnerre, cet EP monstrueux, que devons-nous attendre pour la suite de leur carrière ? Ce sera certainement incroyable.

En attendant, je suis sûr qu’il y a encore beaucoup à dire sur A Tear in the Fabric of Life. Je me suis évidemment permis de mentionner le court-métrage, mais le cinéma, c’est loin d’être ma spécialité, et ça pourrait être génial que des érudits du septième art bossent dessus aussi.

Allez, à la prochaine, pour plus de bagarre. N'hésitez pas à suivre le groupe sur Facebook.

A propos de Hakim

Hakim, il ne faut pas le tenter. Tout est prétexte à pondre une chronique de 582 pages (Tome I seulement). De quoi vous briser la nuque en lâchant la version imprimée depuis une fenêtre. Un conseil : Levez les yeux !