Havok - V
Havok est un groupe de Thrash américain. Ils arrivent tout droit du Colorado avec leur cinquième album signé chez Century Media Records et sorti en mai 2020, une œuvre au nom plutôt singulier puisqu’il ne contient qu’une lettre, V. Le groupe Havok a vu le jour en 2004 et est composé de quatre membres : le chanteur et guitariste David Sanchez, le batteur Pete Webber, le guitariste Reece Scruggs et Brandon Bruce, le bassiste, dernier arrivé dans le groupe puisqu’il n’en fait partie que depuis cette année. La pochette de l’album V arbore un superbe Artwork réalisé par Eliran Kantor, une peinture mélangeant le sublime avec l’étrange de façon très poétique. Avec Conformicide en 2017, le groupe avait déjà montré une tendance à vouloir perfectionner sa qualité de composition en accroissant ses influences et V ne fait pas exception à la règle. Tout en restant cohérent avec leur style d’origine, Havok nous a réservé quelques surprises.
Pour commencer, comment ne pas s’attarder sur l’ambiance de l’album ? Des textes engagés, pleins de rancœur et de violence envers la société actuelle, des sonorités percutantes avec des basses propulsées sur le devant de la scène, des tempos rapides, des solos de guitare abusant des techniques de sweeping, de tapping ou d’allers-retours en triple-croche, une double-pédale omniprésente sur toute les compositions, tant d’éléments du Thrash qui font que cet album dégage énormément de rage. Le chant hurlé de David Sanchez mène la danse du début à la fin, peut-être un peu trop puisque cette constance rend le tout un peu homogène, rendant parfois la limite un peu floue entre les différents morceaux. On notera tout de même le morceau instrumental Dab Tsog, qui marque un tournant primordial dans l’atmosphère de l’album que l’on détaillera un peu plus tard, ainsi que de rares phrases en chant clair de temps à autres, sans oublier le refrain de Don’t do it.
Tous les titres suivent un fil conducteur : le texte. Le groupe nous présente sa vision dystopique d’un monde sur lequel règne le mensonge, le pouvoir, l’argent et l’indifférence commune, un monde dans lequel l’hégémonie de la technologie et la soumission populaire à la propagande mondiale sont sans faille et où seul un retour aux sources primitives de l’Homme et à la réflexion pourrait nous sauver. L’album se divise en deux parties distinctes, séparées par le morceau Dab Tsog. La première est une phase de dénonciation. On accuse les propagandistes qui diffusent en masse des fausses vérités, les technologies qui, peu à peu, prennent le contrôle sur nous, ou encore, les dirigeants qui utilisent la peur pour nous modeler et nous soumettre. C’est une phase de colère, mais de colère militante. Dans la deuxième, même si cette colère est toujours présente, elle devient désespérée, la folie gagne peu à peu le protagoniste, pourtant il n’est pas dupe, il sait qu’on le manipule et il le crie. Ce désespoir atteint son paroxysme dans le morceau final, dans lequel le narrateur s’adresse à la société en lui disant « Tu n’as pas été là pour moi, je ne serais plus là pour toi ». Le morceau, tout aussi brutal que les autres, se termine pourtant comme il a commencé, une mélodie acoustique à la fois sombre et paisible, qui n’est pas sans rappeler les outros de Opeth et qui pourrait laisser sous-entendre que le protagoniste a fini par passer à l’acte… Petite anecdote, l’expression “Dab Tsog” est un terme Hmong désignant la créature légendaire qui écraserait et étoufferait ses victimes lors de la paralysie du sommeil. De quoi alimenter davantage la métaphore de la société oppressante.
Bon, les textes c’est bien beau mais qu’en est-il de la musique ? Le groupe tire visiblement ses influences dans la sonorité des grands groupes de Thrash. On entendra facilement Megadeth raisonner dans le titre Fear Campaign, Pantera dans Ritual of the Mind, ou encore, après un riff en tapping hypnotisant, la rythmique de Interface with the Infinite qui peut faire penser au style de Metallica dans les années 80. Havok s’approprie parfaitement ces différents styles de composition, qui sont finalement reliés par une ambiance cohérente. Le jeu de batterie de Pete Webber ne passe clairement pas inaperçu, de par sa technique et son intelligence, s’il en est, qui nous offrent des rythmes bien différents sur un même riff et des breaks très rapides qui viennent casser la monotonie à chaque instant. Ces riffs typiques du Thrash sont mis en valeurs par une basse très présente tout au long de l’album qui ne suit pas toujours la guitare et qui se prend parfois à faire un peu de slap, ce qui fait que régulièrement pendant l’écoute, on se fait la réflexion : “Tiens, il se passe quelque chose dans les graves”. Ces lignes de basse restent malgré tout relativement simples, ce qui n’est pas le cas des solos de Reece Scruggs qui en vient même à nous apporter sa petite dose de Speed Metal dans l’affaire, mais attention, avec l’authenticité du Thrash. On peut même entendre quelques loupés sur certains solos, ce qui ne fait selon moi que mettre davantage en valeur le talent et la technique de ce monstre de la gratte, à l’heure où la musique est de plus en plus lissée informatiquement.
Une fois la transition de Dab Tsog passée, on accélère le rythme avec un morceau aux allures de Death Metal, Phantom Force qui s’enchaîne, pour monter encore d’un cran, avec Cosmetic Surgery. Et on arrive au trio final en commençant par la folie de Panpsychism : une intro acoustique un peu inquiétante, une batterie plus complexe, une basse en roue-libre, le tout avec un petit arrière-goût de Prog. Puis, Tout en gardant cette dynamique instrumentale pour les drums et la basse, on passe à Merchant of Death, le dernier coup de gueule de l’Opus. Et pour finir, Don’t Do it, un titre plus explorateur de 8 minutes avec plusieurs particularités qui le démarquent du reste de l’album. Outre le fait qu’il s’agisse du morceau le plus long, c’est aussi le plus lent de l’oeuvre, créant ainsi cette ambiance lourde et grave liée au thème du morceau, le suicide. Mais, c’est aussi paradoxalement le plus rapide avec une forte accélération du tempo vers la fin, l’expression de la rage du chanteur qui explose une dernière fois avant de s’éteindre sur un fond de twins guitars acoustiques qui est, soit dit en passant, la version unplugged d’un des riffs de Panpsychism. Et enfin, comme je l’ai dit plus haut, c’est le seul morceau chanté, en partie, avec un chant clair, pour accentuer le contraste lent/rapide instauré par le changement de tempo. Là encore, on sent que l’influence du Metal Progressif n’est pas bien loin.
Bilan, avec cet opus, Havok nous fournit selon moi un des albums les plus aboutis de leur discographie. Un album qui raconte une histoire sombre et actuelle avec une excellente production et de bonnes idées de compositions. Une écoute super agréable et parfois surprenante, tout ce qu’on peut attendre d’une oeuvre comme celle-ci, voire même un peu plus ! Le seul petit point négatif restera tout de même cette carence en “chant clair” qui aurait pu diversifier davantage les atmosphères de l’album. Un détail largement compensé par les nombreuses qualités de ce projet, que je conseille vivement.