Fractal Universe - Rhizomes Of Insanity
Chroniques
24 Avril 2019
Les Lorrains de Fractal Universe n’ont décidément pas finis leur ascension ! Recruté par Metal Blade Records, le groupe a sorti son second album « Rhizomes Of Insanity » le 19 Avril dernier. Les ayant découvert avec leur premier EP « Boundaries Of Reality », c’est surtout leur précédent album « Engram Of Decline », qui m’a subjugué. Je considère sérieusement cet album comme un aboutissement de toutes les meilleures choses que le Tech Death et le Prog Death ont eu à offrir ces dernières années. Du coup mon attente quant à ce nouvel album était énorme. Fractal Universe est selon moi le « jeune » groupe le plus prometteur qu’il m’ait été donné d’entendre, et nous avons la chance d’avoir ce groupe chez nous en France. Ce second album marque donc l’occasion pour moi de confirmer (ou non) les grands espoirs que j’ai pour groupe.
Je n’aurais jamais cru un jour écrire ça dans une chronique sur Fractal Universe, mais il y a de bonnes choses… et de mauvaises choses. Bon ok j’exagère, il y avait déjà quelques trucs qui me faisaient grincer des dents sur leurs précédentes sorties, mais c’était tellement insignifiant par rapport à toute les folies que le groupe proposait ! En fait, j’attendais de Rhizomes Of Insanity qu’il soit une véritable explosion créative comme l’a été Engram Of Decline. Sauf que ce n’est pas le cas, et c’est normal, quand un groupe est hors du commun, on ne peut pas lui demander de devenir hors du commun du commun.
Fractal Universe poursuit simplement le chemin entamé avec Engram Of Decline, en ajoutant des nouveautés à son style. Là où c’est regrettable, c’est que la majorité des bons côtés de Rhizomes Of Insanity proviennent du fait qu’il est l’héritier de Engram Of Decline. C’est à la fois appréciable, car Engram Of Decline et un pur chef d’œuvre, mais en même temps décevant, car à côté de ce chef d’œuvre, Rhizomes Of Insanity fait pâle figure à ne pas atteindre la quasi perfection de son aîné, même si on ne peut pas vraiment lui en vouloir.
Mais je tiens à rester clair : c’est un excellent album, et je somme quiconque lisant ceci d’aller l’écouter si ce n’est pas déjà fait. C’est un pur joyau d’efficacité, de mélodie et de pertinence musicale. Mais la raison que j’ai trouvée qui justifie la qualité de cet album ne me convient guère. Cette raison, c’est que Rhizomes Of Insanity est un album de Fractal Universe, tout simplement. En prenant en considération tout ce que ce groupe a montré aux travers de ses sorties précédentes, il n’y a pas à débattre bien longtemps : Fractal Universe est un groupe de malades. Ses membres, et particulièrement son compositeur principal, Vince Wilquin, sont de véritables maîtres pour ce qui est de créer des morceaux bourrés de détails, intéressants, subtils, et efficaces, qui mériteraient d’être analysés en profondeur. Mais en sachant tout cela, Rhizomes Of Insanity a-t’il bénéficié d’un traitement aussi rigoureux que ses prédécesseurs ?
Je ne le pense pas. C’est sans doute ce manque de rigueur qui m’a dérangé à plusieurs reprises durant mes écoutes de l’album. Cette sensation de découvrir un morceau, de décortiquer les différentes parties des guitares qui se répondent pour former un riffing cohérent et intelligent, de se plonger dans l’ambiance instauré par les discrètes nappes de synthés et les accords chargés des guitares, de se laisser emporter par le groove déchaîné de la batterie de Clément Denys, dont la performance est absolument folle, pour tout d’un coup, tomber sur un riff et se demander « attend, qu’est ce ça vient faire là ça ? J’écoute vraiment le même groupe ? ».
J’ai plusieurs exemples en tête, mais le plus flagrant est sans doute celui de Architectural Aberrations, qui est malgré tout un de mes morceaux préférés de l’album. On nous balance 3 minutes ultra intenses, avec des riffs explorant le registre aigu des guitares avec des accords dont les notes se frottent les unes aux autres, un palm mute tranchant, une batterie très directe mais remplie de fioritures intéressantes, formant une sorte de mélange entre Vektor et le Obscura de Diluvium. Avec en final un solo plein de feeling, très lyrique et somptueux, bref, ce morceaux ne peut qu’être parfait ! Et bien c’était sans compter sur le choix de faire revenir, après le solo final, un riff anecdotique entendu plus tôt dans le morceaux, qui avait une fonction transitoire, mais en beaaaaacoup plus lent, et donc plus lourd, et donc plus chiant.
Bon pour le coup on parle d’un riff qui intervient en fin de morceau. À titre personnel quand j’écoute Architectural Aberrations, je coupe toujours juste après le solo pour ne pas avoir à perdre 30 secondes à écouter ce riff dont l’intérêt m’échappe totalement. Mais il y a des fois où ce genre de riff apparaît par surprise en plein milieu d’un morceau ! Et là c’est plus problématique, comme dans Parabola Of Silence, où l’on doit se taper un passage du même genre avant le refrain final, ou Fundamental Dividing Principle, qui est le morceau le moins bon de l’album selon moi, de par ses riffs, certes envoûtants, mais très simplistes, avec peu de saveur, et de sa progression quasi inexistante tant le morceau est répétitif par endroits et inutilement long. Et ce n’est pas le solo de saxophone qui, bien que brillamment exécuté par le père du guitariste Hugo Florimond, Jean-Marc Florimond, viendra sauver tout ça. Son apparition n’est pas marquante, elle n’est pas accompagnée d’une ambiance propice comme cela fut le cas sur Backwordsmen, morceau de Engram Of Decline où le solo de saxophone est très justement placé. Prendre du metal et mettre un solo de saxophone par-dessus, ça fait juste un solo de saxophone, ça ne met pas en valeur le timbre si particulier de l’instrument, qui aurait pu, sur ce coup, être remplacé par une guitare.
Bon, je crache sur ces petits riffs occasionnels qui me déplaisent, mais je ne vais pas tous les mettre dans le même panier (ou la même poubelle). La grande majorité (malheureusement pas tous) de ces riffs ont une légère touche ambiante assurée par de discrets arrangements, comme des subtils arpèges de guitare clean, qui donnent une sonorité intéressante, comme si l’ambiance était un support à la violence.
Le morceau Chiasmus Of The Damned est une bonne illustration de cela, et je salue par ailleurs l’audacieuse décision de clôturer l’album sur une composition aussi singulière. Il se dégage de ce morceau une véritable aura nébuleuse, pure, qui n’est pas sans rappeler des sonorités présentes chez Virvum ou encore Gojira. Exit la technique, ce morceau est une sorte de nuage tumultueux sur lequel on atterrit après avoir escaladé les échelons de la virtuosité et de la maîtrise. On sait que c’est la fin du voyage, on profite alors des dernières envolées lyriques des guitares et d’un solo majestueux pour dissoudre définitivement la folie humaine dans une outro minimaliste, sobre, mais terriblement lourde de sens.
Allez, dernier point sur lequel j’étale ma déception et je passerai aux qualités de l’album. Les structures des morceaux sont répétitives, déjà vues, et rebutantes. Je ne vais pas m’attarder là-dessus longtemps car il n’y a pas grand chose d’autre à dire. Il suffit de voir que la longueur des morceaux tourne autour de 4-5 minutes pour sentir que ça ne va pas être fameux à ce niveau là. La plupart des titres suivent une structure très simpliste et peu ambitieuse, avec des riffs très souvent, répétés. Heureusement, on n’a pas le temps de s’ennuyer grâce aux nombreux changements d’ambiance au sein des morceaux, mais justement. Les morceaux sembles compactés, et à cause de cela les changements d’ambiance se font très brusquement, voire maladroitement par endroit.
Il est également à noter que Fractal Universe a fait le choix de mettre énormément en avant les refrains dans cet album, ce qui ne me dérange pas en soit, mais cela se fait clairement au détriment des structures globales des morceaux, les refrains prennent souvent à eux seuls un bon tiers des titres, alors qu’on pourrait avoir un tout autre panel de nouveaux riffs développés à la place. Certains me diront que c’est pour être plus direct, plus efficace, bref d’accrocher l’oreille plus facilement. Personnellement j’appelle plutôt ça du recyclage, mais soit. Cela crée une sorte de bipolarité dans la démarche du groupe. Certains riffs sont ultra prenants, efficaces, mélodiques mais assez triviaux sur le plan musical. D’autres sont ultra recherchés, pertinents, innovants, mais assez peu accrocheurs. Bon, évidemment, Fractal Universe a suffisamment de talent pour réussir à concilier ces deux partis pris dans la plupart des cas, à la manière de Gorod, mais on sent encore quelques maladresses à ce niveau-là.
Bon, sans transition, parlons de tout ce qui est mega bien sur cet album !
La bonus track est excellente. Bon, ça ressemble un peu à une blague après tout le mal que j’ai dit de l’album, mais c’est vrai ! Cette reprise de Collective Engram (issue de Engram Of Decline) en version acoustique apporte une énorme fraîcheur, avec une ambiance tribale vraiment unique qui se rapproche un peu de Venomous Coils Of A Holy Fallacy, également issue de Engram Of Decline. L’idée même d’un autre morceau (nouveau, cette fois) entièrement acoustique comme cela me semble même vraiment bonne, tant que cela reste aussi bien maîtrisé.
Mais pour revenir à l’album en lui même, on a droit à un panel d’effets ambiants extrêmement bien géré, et surtout bien dosé. Vocodeur, flanger, phaser, tremolo… Et même le travail sur le son en général est excellent, soutenu par Flavien Morel, qui s’est déjà occupé du mix et du mastering de Engram Of Decline. Le groupe a une réelle identité à ce niveau là, avec des guitares sans plus de distorsion qu’il n’en faut, une basse profonde et massive, et un son de batterie très naturel.
On sent également un gros investissement dans la voix de Vince Wilquin, qui alterne growls, chant clair, chant saturé, et chuchotements. Une telle diversité vocale est très appréciable, tant qu’elle reste bien dosée, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Par exemple, j’espère que vous aimerez le chant saturé de Vince, parce que vous allez l’entendre sur absolument tous les refrains ! Mais cela suit l’un des partis pris du groupe qui est de vouloir faire des refrains catchy, en plus d’être une expérimentation intéressante brisant les barrières liées au genre du Death Metal, donc pourquoi pas.
Un autre point qui j’ai beaucoup apprécié sur cet album et qui corrige l’un des rares défauts de Engram Of Decline selon moi, c’est cette illusion du minimalisme. Sur le précédent opus, j’avais parfois l’impression que le groupe en faisait des tonnes pour pas grand-chose, en créant des passages ultra puissants, très évocateurs et intenses, mais pas si intéressants que ça au final (je pense notamment à Scar Legacy Of Hatred, qui est certes, ensorcelante, voire hypnotique, mais qui stagne dans son ambiance malsaine et ses riffs dissonants et lourds). Sur Rhizomes Of Insanity, c’est l’inverse. Fractal Universe arrive à créer des atmosphères ultra prenantes grâce à des riffs qui semblent simplistes aux premiers abords, mais qui sont bourrés d’arrangements, de doublure harmonique, d’effets aux synthés, le tout sans tomber dans la surenchère. J’en veux pour exemple le couplet de Oneiric Realisations, qui rompt l’élan crée par le riff principal pour nous plonger dans une aura, mystique, obscurée, très travaillée, sans nous noyer dans des contrepoints ultra complexes dont on n’aurait pas besoin, bien que cela manque un petit peu des fois.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire que je continue d’étaler les différentes qualités de cet album, tout d’abord parce que mes collègues chroniqueurs ne manqueront pas de s’en charger, mais surtout parce que continuer à vanter les mérites de Rhizomes Of Insanity reviendrait à vanter les mérites de Fractal Universe en général tant cet album est empreint de leur style si particulier. Le but de cette chronique était d’essayer d’expliquer pourquoi j’estimais cet album comme inférieur à son prédécesseur, en relevant notamment ses défauts. Mais malgré sa prétendue infériorité, il s’inscrit tellement dans la continuité de Engram Of Decline que ses qualités sont quasiment identiques. Je pense donc que si je devais vraiment expliquer les qualités de Rhizomes Of Insanity, il faudrait que je consacre un dossier complet à la discographie de Fractal Universe. Mais qui sait quand cela arrivera.
Dans tous les cas, il faut aller écouter cet album. C’est du Fractal Universe, on y retrouve l’essentiel de l’identité et du talent du groupe, et même si je semble déçu, il va malgré tout occuper ma playlist pendant un bon moment tant il m’est cher. Rhizomes Of Insanity permettra sans doute à Fractal Universe, soutenu désormais par Metal Blade, d’étendre son influence et de propager son génie au sein de nouvelles formations, ce qui ne peut qu’être bénéfique.