Chronique Hypno5e - Sheol

Chronique Hypno5e - Sheol

Chroniques 24 Février 2023

Bon, et bien comme souvent, je vais chroniquer un de mes groupes préférés, sans avoir la certitude d’en être capable. Je commence donc cet exercice par des excuses, car je sais qu’il sera incomplet. Et pour cause, même en étant particulièrement en phase avec l’œuvre, je sais pertinemment que je n’ai pas les clés pour interpréter toutes les très nombreuses références littéraires et cinématographiques présentes dans cette musique. Mais bon, je vais faire de mon mieux.

Aujourd’hui, je vais vous parler d’Hypno5e, un des groupes qui me terrifie le plus autant qu’il me passionne. Je parle de terreur, mais c’est simplement parce que je sais que chacun de leurs albums va me retourner le cerveau et les émotions comme personne, et que je ne vais pas en ressortir indemne. Hypno5e, c’est un groupe originaire de Montpellier, qui office dans un style qualifié de cinématographique, qui emprunte au Post-Metal, au Post-Rock, au Sludge, au Hardcore, avec un mélange qu’eux seuls savent faire. Un produit unique et résolument moderne, sans forcément être aussi névrosé que moi à l’approche de ce projet, je vous invite tous et toutes à y jeter une oreille.

Moi, mon aventure avec ce groupe commence avec le label Pelagic Records, dont ils sont l’un des nombreux fruits, en 2016, alors que je découvre un album absolument incroyable, leur troisième, Shores of the Abstract Line, qui me renvoie vers mes habituelles tristesses. Le sentiment de nostalgie que cette musique me fait éprouver est extrêmement fort, et avec leur deuxième disque, Acid Mist Tomorrow, je me rends compte que toutes les références qui sont minutieusement insérées dans ces albums, de la même manière que pour The Ocean, sont les miennes. En tant qu’amoureux des mots, je ne peux qu’apprécier quand des groupes font des efforts surhumains pour s’inspirer de textes et reprendre des classiques d’autres auteurs. Le plus fou, c’est quand on parle d’auteurs que toi-même tu aimes et connais. Et pour toutes les références qui me sont inconnues, je sais par avance qu’elles vont me plaire (et ça a jusqu’à présent toujours été vrai). Vous y trouverez Albert Camus, Jean Cocteau, Jean-Luc Godard, Antonin Artaud et bien d’autres.

Si Hypno5e nous proposent une musique technique et complexe, ce qu’il est fort important de noter vis-à-vis de toutes ces inclusions textuelles, c’est que celles-ci sont samplées, et entrecoupent les morceaux comme de vieux enregistrements d’un temps révolu. C’est peut-être déroutant pour bien des gens, mais j’adore ça. Enfin, revenons à nos moutons. En 2019 sortait A Distant Dark Source, une branlée monumentale qui est arrivée suffisamment au mauvais moment de ma vie pour me mettre KO pendant plusieurs semaines. J’étais tellement mal en point que je l’ai écouté comme un dégénéré tous les jours pour être sûr de me faire suffisamment de mal. Bon, Hypno5e, ce n’est pas toujours facile à écouter, c’est pas très drôle et ça peut être émotionnellement dur, et dans mon cas, l’ensemble du projet résonne très largement avec mes propres problèmes pour que je chiale ma race quand j’en écoute. L’album en question m’avait laissé songeur à bien des égards, le plus important étant le dernier morceau « Tauca, Pt. II (Nowhere) », qui me flingue encore à ce jour quand je l’écoute, entre son intro qui commence par un extrait de La Valse des adieux de Louis Aragon, et qui se permet de se la jouer Black Metal après trop de douceur et de mélancolie, afin d’asséner un ultime coup fatal à l’auditeur. Ce n’est pas de cet album dont il est question ici, et pourtant, nous allons devoir en parler. Comment ça « Partie II » ? Je connaissais très bien la discographie du groupe, et j’ai eu beau chercher, je ne trouvais de partie I nulle part. Alors qu’en plus, cette histoire du lac Tauca en Bolivie me passionne et m’évoque les mêmes sentiments que dans mon approche à l’océan, entre nostalgie, désir, besoin d’un retour à la source du soi… Bref, je me triture le cerveau à chercher quelque chose qui n’existe pas. Et en fait, on oublie que c’est tout l’album A Distant Dark Source qui est la « Partie II » de quelque chose. 

Alors, je ne vous cache pas que quand Hypno5e ont teasé leur nouvel album avec cette illustration, au centre de laquelle se trouvait un énorme I, j’ai su que j’allais enfin avoir ce que j’attendais depuis plus de trois ans.


Le 24 Février est sorti le nouvel album d’Hypno5e, Sheol. J’étais autant heureux qu’habité par une certaine appréhension, sachant que le groupe allait accueillir sur cet opus un nouveau line-up, Charles Villanueva à la basse et Pierre Rettien à la batterie, leurs prédécesseurs ayant quitté l’aventure pour suivre de nouveaux horizons. Sachez cependant que toutes mes appréhensions sont aujourd’hui dissipées, car les deux nouveaux sont des tueurs ! Revenons brièvement au titre de l’album. Le Sheol, c’est un genre d’équivalent au monde des morts en hébreu. Ça annonce la couleur. Et en parlant de couleurs, regardons de plus près la pochette de l’album, qui se trouve être un collage de différentes peintures faites par le père du chanteur/guitariste/compositeur du groupe, Emmanuel Jessua. 



On pourrait qualifier ce collage de minimaliste, dans le sens où l’ensemble grisâtre laisse peu de choses apparaître. Un visage de profil, fermé ; ce qui semble être des astres, aux tons plus chauds ; de vagues silhouettes ; quelques mots… Pour tout vous dire, je ne sais pas trop quoi vous raconter à propos de cette pochette. Hypno5e se voile toujours d’une brume mystique qui laisse l’auditeur se faire son avis sur tout ce qui est exprimé dans son œuvre. Il en est de même pour les paroles, qui ne sont jamais livrées avec l’album, et que l’on doit déterminer autant que possible à renfort d’écoute attentive et d’imagination. Quoi qu’il en soit, le gris, la terre craquelée, nous rappellent à des ambiances mornes, au néant. On peut sans doute associer cette terre au lac Tauca (car la partie I est bien sur cet album !), un immense désert salé de l’altiplano bolivien, car de lac il n’y a plus depuis des millénaires… On remarque quelques mots : « Rien ne peut », « rien d’autre », « Et l’essentiel saute aux yeux immédiatement », « Trois siècles d’amour ». Je ne sais pas si l’une ou l’autre de ces phrases a une origine précise. J’imagine que oui, connaissant l’œuvre du groupe, mais je n’ai pas les références. La dernière citation est également le titre d’un roman d’une auteure belge, Eva Kavian, mais je ne la connais pas, et c’est bien possible que ce soit juste une coïncidence.

Bref, vous pouvez vous imaginer que dans tous les cas, l’album dont il est question ne sera pas très fun. Je n’ai pas toutes les références qui s’y trouvent, je vais faire mon possible pour expliciter celles que j’ai. Je vais aussi faire ce que je peux vis-à-vis des paroles, que je vais interpréter autant que faire se peut à l’oreille. C’est parti. Comme à leur habitude, les montpelliérains nous gracient d’une galette d’une bonne heure, découpée en 8 pistes. Comme souvent, ceci dit, plusieurs de ces pistes sont en fait plusieurs parties d’une seule et même grande pièce musicale. Voici la liste des morceaux :

  1. Sheol – Part I – Late Sorrow

  2. Sheol – Part II – Lands of Haze

  3. Bone Dust

  4. Tauca – Part I – Another

  5. Lava From The Sky

  6. The Dreamer and His Dream

  7. Slow Steams of Darkness – Part I – Sacred Woods

  8. Slow Steams of Darkness – Part II – Solar Mist

Avant de continuer, je vous encourage à vous laisser transporter par l’album, que vous pourrez écouter en suivant ce lien :





Sheol – Late Sorrow & Land of Haze

Je me permets de parler simultanément de l’ensemble qui fait le premier morceau. La première partie est une courte introduction, avant le corps du morceau dans la seconde. Bien que cette intro soit courte, je vais prendre le temps d’en parler assez longuement. On redécouvre la musique du groupe avec une guitare acoustique sur un vrombissement grave et lointain, au-dessus desquels un poème de César Vallejo, poète péruvien, est récité. L’espagnol n’est pas rare dans la discographie du groupe, certainement parce que le chanteur/guitariste est d’origine bolivienne. Le poème en question s’appelle Heces, qui est un mot que je ne vous traduirai pas ici, je vous laisse chercher (non, je déconne, ça veut dire fèces, et je ne mens pas). Outre le titre surprenant, lisons ensemble le texte :

“Esta tarde llueve, como nunca; y no tengo ganas de vivir, corazón. Y yo recuerdo las cavernas crueles de mi ingratitud; mi bloque de hielo sobre su amapola.

Mis violentas flores negras; y la bárbara y enorme pedrada; y el trecho glacial. Y pondrá el silencio de su dignidad con óleos quemantes el punto final.

Por eso esta tarde, como nunca, voy con este búho, con este corazón. Y otras pasan; y viéndome tan triste, Esta tarde llueve, llueve mucho. ¡Y no tengo ganas de vivir, corazón!”

On en retiendra l’absence de fun : “Cet après-midi il pleut comme jamais, et je n’ai pas envie de vivre, mon cœur. Cet après-midi, comme jamais, je pars avec cette solitude, avec ce cœur. D’autres passent, et me voient si triste. Cet après-midi, il pleut, il pleut beaucoup. » L’instrumentation s’arrête un instant et dans un silence assourdissant, la première ligne du poème est répétée : « Je n’ai pas envie de vivre, mon cœur ». Je ne sais si ce poème est un monologue avec lui-même ou s’il est adressé à un être cher, il témoigne toutefois d’un point très important de la musique d’Hypno5e, les émotions négatives telles que la dépression, la mélancolie, les idées noires. Le morceau commence ensuite véritablement à la fin de cette introduction. Les guitares lourdes démarrent dans un élan qui se rapproche du Djent, avec des sons aigus qui fulgurent dans un sens puis dans l’autre au-dessus de ce premier riff grave, jusqu’à ce que la voix rauque et écorchée du chanteur se fasse entendre dans un premier cri de détresse, très vite accompagné d’une courte séquence de blasts pour appuyer son propos. La lourdeur reprend sur ces terres de brume, une ambiance plus légère s’installe avec un nouveau sample en espagnol, et des guitares acoustiques accompagnent le chant désormais clair d’Emmanuel Jessua. On alterne entre moments lourds et passages planants, comme toujours, avec des élans très techniques, qui pourrait nous faire penser à du Mathcore. Les chants criés et chantés se superposent, pour un morceau qui s’illustre par une ambivalence d’agressivité et de douceur. Un nouveau sample en français m’échappe, à mon grand désarroi, car ils ne sont pas toujours dans des instants de silence, et pas aisés à discerner, à l’heure actuelle il me manque deux ou trois mots pour les compléter. Cela ne fait que renforcer le mystère, accompagné de chant clair et de cordes éthérées (claviers, violoncelle). Un jeu de batterie qui va dans tous les sens nous rassure quant au fait que le petit nouveau est plus qu’à la hauteur. Un autre sample en anglais résonne, « She said the world’s gonna die » ; le morceau s’alourdit pour sobrement enchaîner sur la suite.

L’ambiance mystérieuse, mystique et brumeuse du groupe, que j’associe souvent au plus grand mystère, celui de l’océan, dont la brume forme l’essence même du mystère et de la légende dans le premier chapitre de mon bouquin préféré, Moby-Dick, est un élément clé de l’entièreté de la discographie d’Hypno5e. « Land of Haze » n’est pas le premier morceau à apporter la brume, si l’on se réfère aux morceaux « Brume unique obscurité », ou « East Shore – Landscape in the Mist » sur de précédents albums. Tout dans ce projet est un jeu d’ombres étrange où l’auditeur est laissé là, rêveur, à s’imaginer quoi faire de cette musique. Et le mystère reste entier et se développe encore dans le morceau qui suit.


Bone Dust

Le groupe ici expérimente plus loin que d’habitude, sur un morceau plus doux, essentiellement en chant clair, accompagné d’un trio de cordes. Emmanuel Jessua nous transporte comme s’il nous chantait une berceuse menant vers un passé lointain, comme s’il nous contait des histoires venues d’un temps où le lac Tauca était encore rempli d’eau. Un sample en français intervient avant que la batterie ne prenne les devants. « Ce corps qui nous contient ne connaît pas les nôtres. Qui nous habite est habité. Et ces corps les uns dans les autres sont le corps de l’éternité. » Le texte récité nous provient du film Le Testament d’Orphée, sorti en 1960, troisième volet de la trilogie d’Orphée de Jean Cocteau, qui du Sang du poète (1932) à son testament en passant par Orphée (1950) traite de la vie et de la mort du poète, mélangeant surréalisme et récit autobiographique. Des films bizarroïdes que je vous conseille, bien que j’aurais du mal à vous expliquer pourquoi je les apprécie. Après trois minutes, les guitares prennent vie et le côté Post-Metal du groupe s’exprime à merveille sous les cris du chanteur.

Les paroles nous évoquent des rêves déments, qualifiés de « suicidal dreams » ; je ne sais quelles visions les poètes peuvent avoir dans leurs moments les plus courroucés, mais j’ai le sentiment que « Bone Dust » nous invite à explorer ces démences qui hantent notre sommeil. Entre ça et le titre, qu’on peut traduire par « poussière d’os », on croit s’étendre dans les méandres de notre passé, car tout nous invite à la nostalgie et à la contemplation. C’est là qu’est la limite à mon interprétation, car comme je vous le disais, le groupe fait le choix de ne pas dévoiler ses textes, et ainsi donc, nous devons faire un effort interprétatif qui par nature est limité. J’espère toutefois avoir pu transmettre l’esprit du morceau. Passons à la suite.


Tauca – Part I – Another 

Je ne vous cache pas que c’était le morceau que j’attendais le plus en voyant la tracklist de Sheol. La partie I que j’attendais tant était juste là, à portée de mes oreilles. C’est un morceau purement acoustique, qui pourra rappeler « Central Shore - Tio » sur Shores of the Asbtract Line (un morceau très cher à mon cœur) ou justement les pièces acoustiques d’Alba – Les Ombres errantes. Les paroles, cette fois, je vais pouvoir bien vous en parler, car naturellement, une bonne part du texte est directement liée à la partie 2 du morceau, « Nowhere » qui se trouve sur A Distant Dark Source. Avant de parler « d’Another », je vais vous expliquer un peu de quoi il retournait dans le précédent album. « Depuis des mois et des mois, je savais à quoi m’en tenir. Je connaissais le fond de l’abîme. Qui parle ? Mais qui vous voudrez. Il y a diverses façons de se taire, il y a diverses façons d’être seul. » La Valse des adieux d’Aragon nous accueille pour qu’ensuite le chant nous emporte dans le vide intense de la solitude, d’abord dans le calme, puis avec la violence la plus sauvage qu’il nous ait été donné d’entendre de la part du groupe.  C’est un cri qui exprime ce désir de survivre dans une nuit sans étoiles où tout nous a abandonné. Mais est-ce un réel désir ou un manifeste montrant que le locuteur n’est plus vraiment vivant ? Celui-ci est à la recherche du frisson que procure le sentiment de se sentir vivant. Ce que je comprends, pour ma part, c'est que ce sentiment n’habite pas, ou plus, notre personnage, car il n’y a plus personne avec lui. Mais alors, dans la partie I, qu’allons-nous avoir ? Il y est toujours question de solitude, mais peut-être le passé était-il plus radieux, car une certaine lumière s’en échappe, là où sur A Distant Dark Source, tout était plus sombre qu’Erebus (divinité grecque des ténèbres, au cas où).

Je vais commenter le texte comme je peux, à partir de ce que j’ai compris. « Tauca – Part I – Another » est donc le début du voyage exprimé dans l’album précédent. On voyage dans les brumes au travers d’un miroir qui semble nous projeter dans des souvenirs oubliés. « Belated memory of the days / It’s the end of the mirror / I can’t remember this memory and the other ». Comme dans la seconde partie, le texte évoque la solitude, comme une vieille amie. Toutefois, si dans Distant Dark Source on évoquait la recherche d’une personne disparue, cette première partie évoque le temps où cette personne était là. C’est ce « another » recherché. Pour ce faire, le protagoniste apostrophe sa mère pour lui dire que tout va bien : « And mother, in the space, I feel in the haze I’m not alone / In the edge / In the fever not alone ». Mais ce souvenir s’envole, car ensuite on nous rappelle ce qui clôt la partie II : « In the end, [there] won’t be anyone else ». Le chemin vers le lac asséché est semé d’embûches, comme si notre personnage avait peur, ou peut-être honte de s’y rendre, même s’il est irrémédiablement attiré par ses rivages. « I can’t even dream of you / There’s another, I can’t even hold her », il est très clair que ces souvenirs, et cette personne aimée ont disparu. Alors pourquoi ce trajet vers le passé, si on le sait perdu ? Voyage mélancolique pour accepter la mort ou la fin d’une ère, d’un amour. Mais accepte-t-on vraiment ce passage quand on se laisse volontairement submerger par nos émotions ? La purge cathartique à la grecque que ça m’évoque marque cette intention de se laisser noyer, comme le laisse sous-entendre « The train stops, and we go, talking as we cry, rain over me let me go / Rain over me let me drown ». La catharsis échoue cependant, car le morceau se finit exactement de la même manière que la partie II : « Watch, hear the call all around us / Through the darkest of night / Waiting for the blast of feeling alive / In the end, in the end, [there] won’t be anyone else ». Bien que ce morceau soit bien plus lumineux que sa contrepartie sur l’album précédent, le résultat est le même, et il nous emmène vers le déchirement qui clôture la partie II. 


Lava From The Sky

Le morceau continue dans la douceur et la mélancolie entamée sur la piste précédente. « Your face turned pale / So dreams ran away at the edge of time » avec une envolée éthérée qui me rappelle Leprous. Des nappes atmosphériques et oniriques nous envahissent jusqu’à l’arrivée de guitares saccadées, qui s’accentuent avec gravité sur les ouïes innocentes de l’auditeur. Une seconde partie acoustique, avec des claviers distants, nous envoie du rêve. « Your voice and your flesh in despair / Your two lives reaching the end », des paroles douces en chant clair poétique sur le violoncelle d’un invité de marque, Rapahël Verguin, qui sonne résolument comme du classique moderne, et m’évoque les récents travaux de Bruit ≤ (un projet toulousain aussi sur Pelagic Records qui vaut le détour). Le morceau se conclut sur du pur produit d’Hypno5e, qui nous rappelle fortement ce qui a été fait sur le précédent album, avec la touche onirique propre à ce morceau par-dessus.

Je vous invite à regarder également le clip associé au morceau, très joliment fait, qui, comme la pochette de l’album, est construit comme un collage d’œuvres peintes par le père d’Emmanuel Jessua, avec en plus Mickael Pinelli, l’acteur principal du film Alba – Les Ombres Errantes (aussi réalisé par le chanteur/guitariste) pour conter l’histoire du morceau et qui, désespérément, traverse ces étendues boisées à la recherche d’un quelque chose perdu il  y a bien longtemps. Comme la musique, le clip est entrecoupé de citations affichées à l’écran. La première, dont je n’ai pas l’auteur, donne le ton : « Les morts rêvent mais leurs rêves n’ont pas la force de venir au jour ». Je soupçonne ces mots de provenir en réalité des paroles de A Distant Dark Source, car la citation suivante « Pourtant j’erre ici comme si j’errais dans tes rêves » en provient (sur le morceau « On the Dry Lake »). On en revient à la recherche de cette personne disparue sur le bord du lac « Sur ces berges, les inflexions brisées de ta voix restent sans écho ». L’image que cette phrase évoque nous rappelle la conclusion du film Alba, qui conte une histoire similaire, et qui, à mon sens, peut-être inclue sans problème dans l’ensemble que forment A Distant Dark Source et Sheol. Plus largement, différents éléments de ce qui est exploré ici étaient déjà présents sur les précédents albums du groupe, que de toute façon, personnellement, j’interprète comme un continuum. « Dis, viendras-tu ? Reviendras-tu toujours ? / Où étais-tu ? Quand je me suis réveillé, tu n’étais plus là ». Ces deux dernières citations dans le clip soulignent bien cette angoisse de la perte d’une personne chère, et bien que lacunaires dans le sens où ce ne sont que quelques mots sur un morceau de plus de 8 minutes, elles sont représentatives de la mélancolie générale qui coule dans les veines du groupe.


The Dreamer and His Dream

Le morceau commence sur de languissantes notes de violoncelle, pour créer cette couleur nouvelle apportée par les cordes, qui est très présente sur cet album, une première pour le groupe. Du haut de ses 12 minutes et 45 secondes, entre passage Modern Classical et guitares syncopées, cette piste nous emmène dans toute la variété que le groupe a à nous offrir aujourd’hui, des séquences très calmes comme des mouvements plus extrêmes, avec des sauts de l’un à l’autre constamment, comme le sait si bien le faire le groupe. Normalement, si vous êtes un humain normalement constitué, vos poils devraient se hérisser à plusieurs reprises.

On ne peut que se demander quel est ce rêve que le rêveur porte. Je n’ai pas la réponse à cette question, et je pense que chacun doit se faire la sienne. Si je peux toutefois apporter ma pierre à l’édifice, j’imagine que tout ceci est encore une fois lié aux différents sentiments ressentis sur les rivages du lac, dans un savant esprit mêlant souvenirs et imprécis et mélancolie présente. Les voyages de la nuit sont sans doute les plus propices à ce genre d’exercice. Le morceau se conclut, sur ses trois dernières minutes, sur une partie claire, entre Post-Rock et Prog Rock, avec une citation de Charles Bukowski : « There is something wrong with me, besides melancholia », qui provient de son poème « Melancholia » (dont vous aurez deviné le sujet), issu du recueil The Pleasures of the Damned. Il est question d’être totalement désinhibé par cette mélancolie, tellement sa présence est naturelle et totale. De quoi rêve le mélancolique ? Rêve-t-il seulement ? 


Slow Steams of Darkness – Sacred Woods & Solar Mist

Comme pour le premier morceau, la dernière pièce de l’album est coupée en deux parties. « Sacred Woods » en est l’introduction, et c’est donc par là que nous allons commencer. Elle contient une citation extraite du film Les Enfants du Paradis, sorti en 1945 et écrit par Jacques Prévert. Deux voix, une femme, puis un homme, échangent : « Des fleurs, une couronne. Je le disais, c’est un enterrement. / Le mien peut-être. / Vous êtes fou Baptiste ; pourquoi dites-vous cela ? / Pourquoi Baptiste n’aurait pas lui aussi son petit enterrement ? Comme tout le monde. Je vous assure, Garance, j’y pense de temps à autre. Joli sujet de pendu, Baptiste emportant son secret dans la tombe. / Taisez-vous donc, c’est idiot de raconter des choses pareilles. / Son secret Garance, sa petite lueur, souvenir d’une nuit où il s’y crût heureux, pour toujours. » Cette citation prend la moitié des deux minutes de l’introduction, et est ancrée dans un passage du film dans lequel l’un des principaux personnages, Baptiste, subit de plein fouet un échec amoureux, qui le poursuivra tout au long du film ; et dans ce sens il s’aligne avec le sentiment de désir inassouvi et de désespoir que l’on retrouve dans cet album Ainsi, la quête vers le lac d’Hypno5e et la quête de l’amour véritable et la répression des sentiments de Baptiste dans le film se superposent. Après ce sample, la voix claire d’Emmanuel Jessua reprend du service sur une douce ligne de piano. 

La deuxième partie du morceau commence dans la continuité directe de l’introduction. Très vite, les guitares oppressantes et chaotiques démarrent. Assez vite, une nouvelle citation se lance, dont je ne suis pas sûr de l’origine : « Vous savez qui je suis ? Oui, dites-le, la mort. Vous appartenez désormais à un autre monde. J’appartiens désormais à un autre monde. Vous obéirez à mes ordres. Je prends bonne note de vos insolences. Ne regardez pas en arrière, à ce petit jeu il y en a qui se changent en statues de sel ! » Entre résolution à la mort, et référence au mythe d’Orphée, il semblerait que les lentes vapeurs des ténèbres soient le décor d’un univers entre deux mondes, où, dans les limbes, l’individu se perd à vouloir refuser son sort. Juste après cet extrait, le chant reprend en saturé, et crie le titre du morceau : « Slow steams of darkness, rising », et avec ces mots nous entoure de fumée. On se laisse transporter vers des passages plus doux, jusqu’à un prochain sample qui mélange deux poèmes de Robert Desnos : Le Dernier poème et J’ai tant rêvé de toi ; qui frisent avec l’amour et le surréalisme, dans lesquels l’auteur demeure ombre pour toujours, à la recherche de fantômes. Encore une fois, on navigue entre les thèmes de l’amour disparu, de la perte, de la mélancolie et de la solitude. Le sample laisse la place au chant clair et éthéré d’Emmanuel Jessua, qui, derrière des guitares lumineuses nous emmène sous un ciel étoilé, à regarder le temps qui passe. Le morceau se termine sur une montée en puissance façon Doom/Sludge bien grave, qui grésille à en décoller les tympans, sur un dernier cri écorché du chanteur, comme si ces fumées des ténèbres avaient explosé sous un pression grandissante. Un outro d’une minute au piano nous rappelle la fin de l’album précédent, qui lui aussi nous avait laissé sur une note de piano, à ceci près que cette fois-ci, la note est mélancolique, là où A Distant Dark Source s’était terminé sur une pointe de mystère. Ainsi, nous sommes là, l’album fini après plus d’une heure de retournements incessants, à se demander ce qu’il se passera ensuite.

On en sait déjà quelque chose, dans une certaine mesure. Le groupe a décrit les deux albums comme un ensemble cyclique, à la façon du mythe de Sisyphe, là où se termine A Distant Dark Source, Sheol commence, et en même temps, là où Sheol se conclut, A Distant Dark Source commence. On s’en rend mieux compte en se disant que les premier et dernier morceaux, « Sheol » et « Slow Steams of Darkness » sont ceux qui stylistiquement se rapprochent le plus de l’album précédent, quand le reste au milieu prend sa propre voie, plus lumineuse que sur le reste de la discographie, avec de nombreuses cordes qui viennent ajouter de nouvelles couleurs au son du groupe, en maintenant l’intense mélancolie qui caractérise le groupe.


Je suis toujours très touché par ce que propose Hypno5e, pas juste parce que je suis un névrosé complètement éclaté, mais parce que les textes et les ambiances me font voyager dans mon propre désespoir, et même si c’est un des groupes qui me fait le plus chialer sur terre, l’explosion d’émotions que leur musique me procure me soigne un petit peu, à chaque fois. 

Bref, il ne fait aucun doute que les fans du projet vont trouver ce qu’ils recherchent dans Sheol, et découvrir de la nouveauté dans les compositions de ce nouvel album. Comme à chacune de leurs sorties, on fait face à un incontournable de tout ce que l’on peut apparenter au Prog moderne, au Post-Metal et à tout ce qu’on peut bien vouloir y incorporer. Même si l’album est peut-être plus doux qu’un A Distant Dark Source ou Acid Mist Tomorrow, il viendra quand même taper là où ça fait mal. A chaque album, je me demande ce qu’ils pourront proposer ensuite, tellement j’appréhende l’écoute (et oui, la barre est très haute). Quand A Distant Dark Source est sorti, je me disais qu’il serait impossible de faire mieux que Shores of the Abstract Line, et on m’a prouvé le contraire avec brio. Sheol est différent, mais c’est un grand album tout autant que son prédécesseur. La seule chose qu’il me reste à faire, c’est de vous inviter à fermer les yeux et à l’écouter. Concentrez-vous dessus, ce n’est pas de la musique qu’on écoute en bruit de fond. On s’immerge dans cet univers singulier qu’est le leur jusqu’à la dernière note.

Si je devais vous donner un dernier conseil, toutefois, c’est de vous ruer à leurs concerts lorsqu’ils commenceront très prochainement. C’est une expérience exceptionnelle, qui, encore une fois, fait mal par où elle passe (ma flaque de larmes au pied de la scène du Rock’n’Eat en est témoin). Baptiste (le vrai de Metal Sound Media, pas celui des Enfants du Paradis) et moi-même iront les voir en mars et si tout se passe bien, nous les interviewerons, et vous pourrez, à ce moment-là, en savoir plus sur le projet, le nouvel album et explorer plus en détail leur œuvre au travers des très nombreuses questions que nous voulons leur poser. Ceci étant dit, il est temps de clore officiellement cette chronique, qui est déjà bien assez longue. Je m’excuse encore une fois pour le caractère lacunaire de cette dernière, on fait ce qu’on peut quand on n’a pas les paroles, mais j’espère avoir pu illustrer ce disque comme il se doit avec mes mots.


Au revoir, à bientôt.



A propos de Hakim

Hakim, il ne faut pas le tenter. Tout est prétexte à pondre une chronique de 582 pages (Tome I seulement). De quoi vous briser la nuque en lâchant la version imprimée depuis une fenêtre. Un conseil : Levez les yeux !