Interview Cantique Lépreux

Interview Cantique Lépreux

Interviews 26 Février 2019
Pour la sortie de son dernier album Paysages Polaires, Blanc-Feu de Cantique Lépreux a eu la gentillesse de répondre à mes quelques questions afin de mieux comprendre la scène Black québécoise et la démarche artistique de ce nouvel album. 


Radio Metal Sound : Comment évoquer les thèmes récurrents des étendues enneigées et de la misanthropie sans pour autant rentrer dans les poncifs du Black Metal ? 

Cantique Lépreux : Tout genre a ses clichés, qui sont des forces comme des faiblesses. Le fort pouvoir évocateur du Black Metal nous a habitués à rêver de vastes forêts, de terres désolées, de montagnes infranchissables et de cosmos mouvementé. Nous avons choisi d’y faire honneur, d’en respecter les codes. En ce sens, créer des atmosphères enlevantes est plus important pour nous que d’éviter les lieux communs. Par contre, du point de vue des textes, mon approche n’est pas très conventionnelle et je pratique une écriture inspirée par les auteurs surréalistes du début du XXe siècle et par les poètes québécois des années 1960-70. On devine que ce n’est pas très commun dans le Black Metal. Ceux qui liront les paroles rencontreront un foisonnement d’images éclatées, d’associations inattendues.  

Radio Metal Sound : On qualifie souvent la scène québécoise par sa localisation, au sens où le black metal québécois a une spécificité et un grain local. Penses-tu que cela s’applique pour Cantique Lépreux et qu'est-ce qui expliquerait cela ?  

Cantique Lépreux : Oui, définitivement. Il faut savoir avant tout que c’est une confrérie à laquelle participent un certain nombre de créateurs, où les collaborations se multiplient et donnent lieu à différentes déclinaisons. Nous avons tous la même passion pour les classiques du genre. D’ailleurs, ici le soutien des autres groupes est vital, puisque la scène est limitée. On voit rarement de grands événements de Black Metal. 

Notre emplacement géographique et les conditions climatiques du Québec font que nous nous sentons proches de la seconde vague norvégienne des années ‘90. C’est quelque chose qui nous a conquis, à l’époque, dans l’esthétique de groupes comme Darkthrone, Immortal et Enslaved

Enfin, le Québec est un endroit particulièrement opposé aux abus de l’église catholique et c’est pour le mieux.  

RMS : Comment essayez-vous de développer votre atmosphère personnelle au sein d'une scène locale si florissante ? 

Cantique Lépreux : Cette réponse a trois volets. D’abord, en n’écoutant rien d’autre. Je m’isole complètement des autres groupes à certains moments pour me concentrer uniquement sur la création. Ça fonctionne bien, mais c’est un peu dangereux, à savoir que je risque de dépasser les limites du genre auquel je souhaite que le tout corresponde. 

Ensuite, en m’immergeant complètement dans un album ou une pièce qui m’attire pendant un certain temps. Ça pourrait aussi être un film ou une œuvre littéraire. Dans ce cas, il est évident que nous avons travaillé de façon à rendre hommage à d’autres groupes, que ce soit Darkthrone, Emperor, Forteresse ou Monarque

Finalement, la randonnée, la forêt, les montagnes et les rivières. Il est évident que ces éléments se sont retrouvés dans nos deux premiers albums, sauf que ce n’est pas qu’une image. Nous nous sommes éprouvés en de multiples occasions à partir dans le froid, ou encore à braver des rivières déchaînées, ou à cheminer au sommet de montagnes inconnues. Cela a fait partie intégrante de notre démarche.  

RMS : Au sein d'une scène musicale et d'un continent principalement anglophone, Cantique Lépreux fait partie de ces quelques groupes qui sortent du lot par la qualité de l’écriture en une langue vernaculaire. Quel est donc ton rapport a la langue dans Cantique Lépreux et en général ? 

Cantique Lépreux : C’est difficile de l’exprimer sans parler d’histoire et de politique… évitons-les pour le moment. J’ai toujours eu un grand intérêt pour la littérature. Il y a eu un bon moment où je me suis presqu’exclusivement consacré à la poésie, mais la fiction a repris le dessus dans les dernières années. Raconter des histoires et surtout faire rêver le lecteur, c’est un travail ardu. Ça demande du vécu, une maîtrise de la langue, une discipline à toute épreuve et surtout un talent qu’on pourrait dire inné pour insuffler aux mots une qualité viscérale. J’aime ce genre de défi. Bien sûr, pour moi il est vital d’utiliser sa langue maternelle puisque je ne vois pas comment on pourrait atteindre l’Origine autrement et mener à terme un texte. 

RMS : Le choix de René Chopin est-il un choix purement esthétique ou est-il secondé d'une revendication de la spécificité québécoise (pour ne pas utiliser le terme « identité québécoise » qui pourrait être un sujet de discorde pour certains) ?  

Cantique Lépreux : Il est toujours important pour nous de partager la culture québécoise. Il est hors de question que notre histoire, nos légendes et nos combats tombent dans l’oubli. La culture anglophone d’Amérique tente depuis longtemps de faire de nous des reliques d’un passé révolu, voire de s’imposer comme la seule culturel valable à l’échelle mondiale. 

Même en mettant de côté tout aspect politique, je mentionne toujours l’influence d’auteurs et de poètes québécois en entrevue. Hubert Aquin, Andrée A. Michaud, Gaétan Soucy, Paul-Marie Lapointe (et j’en passe) continuent à m’accompagner dans ma démarche. J’avais déjà rendu hommage à Hubert Aquin avec Mêlée des Aurores, pour notre split avec Chasse-Galerie. Il n’est pas impossible que nous utilisions des textes d’auteurs québécois à nouveau dans un effort futur.  

RMS : Le choix de l'artwork et des textes s’est-il fait après la création du concept de l’album ou bien est ce que tout a été considéré et pensé en amont ? 

Cantique Lépreux : Dès le premier album, il avait déjà été établi que le second serait aussi basé sur une imagerie hivernale. D’ailleurs, la plupart des textes avaient été écrits au même moment que Cendres Célestes. Par contre, la peinture de Loppé et les “Paysages polaires” de Chopin se sont rajoutés pendant qu’on pratiquait le matériel.  

RMS : Au vu des textes de Chopin et de l'huile de Loppé, peut-on considérer cet album comme un effort romantique ? 

Cantique Lépreux : Si on parle d’émotions poussées à l’extrême, d’attachement à la nature, de penchant pour la mélancolie et la noirceur, oui définitivement. D’ailleurs, je crois que la performance vocale est plus lyrique sur cet album que sur notre premier. Par contre, je reste prudent par rapport à l’étiquette, puisque si on écoute les grands compositeurs de la période romantique, on ne peut omettre la virtuosité présente dans une majorité d’œuvres. Le Black Metal n’est pas un style très propice à ce genre de prouesses techniques. Enfin, les compositeurs romantiques proposent beaucoup plus de nuances et les passages aux sonorités joyeuses ne sont pas rares. 

RMS : Qu’attendre du futur de Cantique Lépreux

Cantique Lépreux : Un troisième album dont la composition avance assez bien et un EP de 4 pièces aux sonorités plus malsaines ensuite.


En espérant écouter au plus tôt ce nouvel album et cet EP à venir. D'ici là, vous pouvez aller soutenir Cantique Lépreux sur Facebook et vous procurer leur dernier album Paysages Polaires sur Bandcamp ou chez Eisenwald afin d'apprécier toute la qualité de l'oeuvre. 

A propos de Baptiste

Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.