Interview Bliss of Flesh

Interview Bliss of Flesh

Interviews 29 Juin 2019

Black-Death farouche des Hauts-de-France, Bliss of Flesh n'est clairement pas là pour rigoler. J'ai pu discuter avec le guitariste Sikkardinal et le chanteur Necurat au Hellfest de cette année et j'y ai découvert une vision très personnelle et radicale de la musique. 


Radio Metal Sound : Empyrean est sorti il y a un peu plus d’un an de cela et a été pas mal apprécié de la critique française et internationale. Pensez-vous que vous avez trouvé une maturité musicale ou au moins un équilibre de composition qui vous convient ?

Sikkardinal : On est entièrement d’accord avec toi, le terme « maturité musicale » est peut être un peu désuet mais on a eu l’impression de franchir un palier, ne serait-ce que dans le temps de composition pour là où on voulait et puis il fallait finir la trilogie sur Dante avec panache et une certaine cohérence par rapport à la thématique qui voulait que ça se retrouve dans l’esprit de la musique, dans l’ambiance dans laquelle on s’était projeté. Après à titre personnel je ne m’arrêterais pas à Empyrean car on vient de terminer la composition du prochain album et j’ai là encore l’impression qu’on a franchi un palier encore supplémentaire. Mais oui, on avance, dans la façon de créer : on apprend de nos erreurs, ce qui est très bien c’est qu’on en commet énormément du coup on s’enrichit à chaque fois de ça – errare humanum est sed perseverare diabolicum, l’erreur est humaine mais persévérer dans l’erreur est diabolique. On persévère dans pas mal de choses mais en tous cas musicalement on avance et on change quelques trucs. On progresse techniquement, on progresse dans la façon de composer et j’ai l’impression qu’on le fait sans perdre pour autant notre identité c'est-à-dire que depuis le premier album ou même les démos on a une ligne directrice qui est la même, d’être en adéquation avec ce qu’on a envie de faire, d’avoir un ressenti sur nos compositions et je vais même te dire de suite que j’écoute que ce que je fais, les autres groupes m’emmerdent donc si ce que je compose ne me plaît pas j’ai plus rien à écouter. Il faut donc que je trouve suffisamment de trucs pour avoir du plaisir à mettre des titres dans la bagnole et ça oblige à se dépasser à chaque fois. Ce qui est très bien c’est que je suis pas le seul à le faire, on est cinq à le faire pour pas dire plus d’ailleurs car on a d’autres membres du groupe autour qui font partie de l’ensemble, que ce soit l’infographiste, l’ingénieur son et cetera. On est tous sur la même thématique et ce que tu vois là n’est qu’une étape, on a encore des choses à dire, des choses à prouver à nous-mêmes.

Radio Metal Sound : C’est quand même radical comme démarche de n’écouter que ce que tu composes quand même !

Sikkardinal : Je caricature un peu mais franchement quasiment.

Necurat : Pour rebondir là-dessus, Empyrean pour le composer je me suis mis à n’écouter aucune musique pendant six mois parce que j’avais besoin d’être dans autre chose. Pourtant je suis un gros consommateur de musique mais du coup j’ai fait six mois en ne voyant pas grand monde car il fallait que je sois dans l’état d’esprit là. Le nouvel album on est dans totalement autre chose. Après pour l’histoire d’avoir une méthode de composition, je pense que le nouvel album on est dans totalement autre chose. Après pour l’histoire d’avoir une méthode de composition, je pense que Empyrean était le troisième chapitre, il fallait un aboutissement, que le fin soit faite comme elle le devait et bien faite et du coup je pense qu’on avait vraiment besoin d’avoir quelque chose de raisonnablement bien fait et je pense qu’on a fait ça avec Empyrean. L’album suivant on est dans autre chose et là où Sikkardinal parle de palier supplémentaire, ce nouvel album marque aussi une étape importante dans la vie du groupe avec l’arrivée de Victus à la guitare puisque Pandemic est parti après Empyrean. Du coup Empyrean on en parle mais pour nous il est déjà loin, on est déjà dans autre chose.

 

RMS : Vous venez de finir votre trilogie sur la Divine Comédie et malgré la spiritualisation qui a eu lieu avec Empyrean, vous restez toujours dans les miasmes charnels – c’est la dualité que vous imposez à votre concept. Qu’est-ce qui motive votre attachement à la dualité esprit et corps profane ?

Sikkardinal : Peut être une spiritualité qui est assez proche de celle des Cathares au final qui considéraient que la matière elle-même fait partie de la vie et qu’il serait totalement absurde de ne pas la considérer comme partie intégrante de l’univers en soi et qui parlent du tout, de toutes les parties qui le composent et évidemment la chair en est une. Le plus important dans la spiritualité c’est surtout la transcendance, tu as besoin de partir des miasmes charnels pour réussir à les sublimer. Si tu ne te consacres qu’à la spiritualité tu manques de corps, c’est comme ça que je le perçois, comme ça que je le ressens et c’est ce qu’on a voulu marquer dans notre musique, jusque dans le nom du groupe comme tu l’as très judicieusement remarqué. Ce qui marque aussi tout ce qu’on fait musicalement c’est cette espèce de paradoxe qui tiraille l’âme humaine en nous : nous sommes un mélange de fini et d’infini, de perfection et d’imperfection et ce mélange entre la spiritualité et la matière retranscrit très bien la dualité qui nous anime, la force qui est créée de ce conflit c’est de là que vient notre rage, notre colère.

 

RMS : On parlait justement de l’équilibre entre profane et spirituel et justement, comment retranscrivez-vous cet équilibre dans la musique même du groupe ?

Sikkardinal : Si tu écoutais les morceaux de Bliss of Flesh joués à la guitare acoustique, ce qu’on a pensé faire à un moment, t’aurais pas du tout l’impression d’écouter du Metal extrême. Ce qui nous intéresse justement c’est d’avoir une forme de musique qui s’écoute, qui se réécoute, qui conserve une part de mystère en elle-même, qui est propice à avoir plusieurs degrés de lecture et qui se fait forcément par une forme de prise aux tripes. Si c’est de la violence pure en elle-même, c’est quelque chose qui va te saouler au bout de dix minutes, un blast pendant vingt-cinq minutes d’album c’est très sympa mais au bout d’un moment c’est quand même relativement chiant. Si t’arrives à alterner les ambiances je trouve que t’as plus de choses à dire et puis pour mettre en valeur quelque chose t’as besoin de jouer sur les contrastes, comme il n’existe pas de lumière sans ombre pour moi c’est le même principe, j’ai l’impression qu’en musique pour réussir à valoriser un riff t’as besoin qu’autour il y ait parfois une petite touche plus subtile, quelque chose qui va te rester en tête. Si à la fin d’un album de Bliss of Flesh t’as aucun riff qui te reste en tête c’est que j’ai échoué dans ce que j’ai voulu faire.

RMS : Et toi Necurat comment justement travailles-tu ta voix pour rendre compte de cette dualité ?

Necurat : Tout d’abord je procède un peu différemment, c'est-à-dire que la dualité je m’en branle, c'est-à-dire que je compose vraiment en fonction de ce que la musique m’inspire. Certes j’ai à l’esprit cette dualité mais je ne la matérialise pas et je ne la verbalise pas de la même manière que Sikkardinal. Par contre ce qui est important et qui à mon sens fait notre force c’est que ce que lui fait à la guitare, l’émotion qu’il veut faire passer à la guitare, je la perçois et je la ressens et c’est ce qui me permet de composer ce que je compose à ce moment donné sur tel riff et pas sur un autre. Du coup sur Empyrean qui est un album très démonstratif, y avait vraiment un besoin d’avoir un travail au niveau du chant, en termes d’arrangements etc. Le nouvel album, j’en parle rapidement, l’idée est toujours la même : ce qui me nourrit dans Bliss of Flesh, c’est vraiment sa musique, sa mélodie, les émotions qu’il fait passer. Certes y a une thématique globale et une thématique particulière dans un thème d’album mais moi ce qui va guider toute ma démarche c’est la musicalité avant tout. Du coup d’un album à un autre, d’un riff à un autre, le taff ne sera pas le même, je ne peux pas me dire « faut que je bosse ça », « faut que je travaille tel chant », je ne suis pas dans cette démarche là, c’est vraiment ce que m’inspire la matière première et la musicalité de la musique de Bliss of Flesh.

 

RMS : Une question sur les concerts désormais : vous avez une musique assez taillée pour le live, un Black-Death assez efficace que vous allez régulièrement défendre en festival (Hellfest, Motocultor…). Est-ce un choix de composition délibéré ou est-ce le résultat de la violence de vos compositions ?

Sikkardinal : C’est une bonne question dans la mesure où on ne compose pas du tout en pensant à ce que les gens attendent. Au moment où les riffs viennent on est pas du tout en train de se dire « j’espère que public va aimer », « est-ce qu’ils vont bouger sur le riff là ? », on s’en branle royalement. Par contre quand on choisit les morceaux qu’on veut réussir à faire en live, on a envie nous de pouvoir rentrer dans quelque chose qui nous permet de recréer notre univers. Si la durée du set nous permet de faire des morceaux un peu mid-tempo avec parfois des intros un peu plus longues pour monter un peu la complexité de la musique qu’on veut créer alors on va choisir des morceaux un peu plus variés. Si comme aujourd’hui on se retrouve avec un set de trente minutes, tu tailles pas un set de trente minutes comme un set de quarante-cinq ou même d’une heure. On prend en compte ces choses là pour ce qu’on va faire en live. Après pour ce qu’on nous donne comme chance, comme temps, on peut présenter et on présente même des sets relativement variés.

Necurat : Pour compléter ça on accorde vraiment de l’importance aux lives donc au-delà de l’aspect compo’, si on fait de la musique c’est pas pour jouer l’album dans le garage, il faut que l’album vive sur scène, il faut qu’il se passe quelque chose. On est pas en mode « on va composer pour du live » mais pour compléter ce que disait Sikkardinal, si on est là sur scène c’est qu’on a quelque chose à dire et à vous cracher à la gueule. C’est un peu comme un peintre, tu fais ton truc, c’est une proposition qui est la nôtre, c’est comme ça qu’on voit les choses. Après tu prends ou pas, on en a rien à branler, ce qui est sûr c’est que nous on aura craché ce qu’on a à cracher.

Sikkardinal : Et on a jamais réussi à faire un concert sans être transcendé par ce qu’on jouait. Impossible, si ça arrive un jour faut qu’on arrête.

Necurat : Exactement et c’est pour ça que le live est aussi quelque chose un peu entre parenthèses. Pour rebondir sur le show de ce matin j’arrive pas trop à expliquer ce qui s’est passé, j’étais à la fois acteur et spectateur de ce qui se passait et c’est comme ça que ça doit fonctionner. On s’est senti habité.

RMS : Mais alors comment approchez-vous l’aspect spectaculaire de vos lives ? On y a vu un beau décorum, un numéro de cracheur de feu…

Necurat : On a déjà répondu à deux-trois trucs mais le live c’est vraiment quelque chose d’un état de transe, je suis vraiment dans autre chose. J’ai mon deuxième moi qui prend le dessus, c’est une autre facette de ma personne qui est mise en avant dans ce moment là et c’est comme une sorte de transe, d’état second. Moi ça fait très longtemps qu’on est en train de bosser sur les sets de manière générale mais le Hellfest on l’a travaillé, tu viens pas là par hasard parce que t’as vu de la lumière, si t’es là c’est que t’es dedans, tu dois défendre ton truc. Et du coup il a fallu du temps pour être dedans et du temps pour redescendre, il faut articuler des paliers de décompression depuis tout à l’heure et pour ma part je redescends petit à petit.

 

RMS : Pour revenir sur l’album, y a beaucoup de références classiques, des textes en latin, le livre d’Enoch… Qu’est-ce qui motive cela, quelles sont vos influences et comment incorporez-vous ça dans le groupe ?

Sikkardinal : Peut être le fait d’avoir une volonté, que ce soit à travers la musique ou à travers autre chose, de lutter contre l’obscurantisme et la pensée sclérosée et qu’au final pour y arriver y a pas trente-six-milles moyens de le faire et la meilleure des chose qui ait jamais existé c’est la lecture. Ne serait-ce que pour essayer d’avoir une vision du monde un peu plus large et se découvrir soi-même par la pensée des autres et puis réaliser ce qui se passe autour de soi. J’espère que le combat qu’on mène d’une certaine façon, sans rentrer dans un luciférisme primaire, c’est quand même d’apporter une lumière à notre façon à nous, c’est à travers ça qu’on se retrouve dans notre musique et particulièrement dans les textes. Ca me ferait chier de faire un album avec des textes pas intéressants.

 

RMS : Comme vous y avez déjà commencé à y répondre auparavant, même si c’est vague : maintenant que vous avez fini votre trilogie sur la Divine Comédie, qu’est-ce que vous nous préparez désormais ?

Necurat : On a enregistré le successeur d’Empyrean qui s’appellera  Tyrants et qui devrait sortir début 2020 chez Listenable.

 

RMS : Ca fait vingt ans que vous existez, ça fait quand même une certaine expérience même au sein de la scène Black et du coup avec tout votre recul et votre expérience, comment vous vous sentez par rapport à la scène et à ses acteurs ?

Sikkardinal : Vieux. Pour ma part je suis agréablement surpris de voir à quel point y a une activité musicale en France, je trouve qu’on a énormément plein de bons groupes français, qui ne sont parfois pas suffisamment mis en valeur avec un complexe injuste par rapport à ce qui se passe à l’étranger. D’un autre côté on est dans une société où tout va tellement très vite que les gens veulent aussi une forme de consommation extrêmement rapide ce qui empêche de pouvoir poser des choses plus calmement et de se faire ne serait-ce qu’une progression méritée, t’as l’impression que maintenant il faut que tout tombe tout cuit tout de suite et que plus rien ne se mérite. Or pour moi à vaincre sans péril tu triomphes sans gloire.

 

RMS : Une dernière question, très large : c’est votre inauguration du Hellfest, j’aimerais avoir votre ressenti par rapport à cette scène Black assez particulière puisqu’il y a les amateurs de Black très sérieux et le côté festif du Hellfest.

Necurat : Alors, moi la scène Black, étant dans le milieu depuis quelques années, je suis très partagé car tous les mecs qui me parlent de la scène Black ils ont à peine vingt balais et concrètement pour avoir vu ce qui se passe l’histoire se répète et ce dont t’es en train de me parler, le côté tranchant entre le festif et le Black sérieux et bah y a vingt ans c’était peut-être le Hard-rock et y a toujours eu ces mouvements où ça discutait « est-ce qu’on est intègre ou intégré ? ». Pour ma part j’en ai rien à branler de tout ça car ce que j’ai envie de mettre en avant c’est vraiment que peu importe la scène Black Metal, ce que je sais c’est que nous on fait ce qu’on a à faire. Après on nous met dans les cases qu’ils ont envie mais nous au moins on aura le sentiment d’avoir fait ce qu’on avait à faire et d’avoir notre conscience pour donc le reste j’ai même pas envie d’en parler

Sikkardinal : Très bien dit, je suis entièrement d’accord avec ce qu’il a dit.


Merci beaucoup à Necurat et Sikkardinal pour le temps qu'ils m'ont accordé. Si votre nuque vous démange, jetez-vous sur leurs CDs, disponibles sur Bandcamp ou chez Listenable Productions et si vous souhaitez les voir en concert, tenez-vous au courant via leur page Facebook

A propos de Baptiste

Être ou ne pas être trve ? Baptiste vous en parlera, des jours et des jours. Jusqu'à ce que vous en mourriez d'ennui. C'est une mort lente... Lente et douloureuse... Mais c'est ce qu'aime Baptiste ! L'effet est fortement réduit face à une population de blackeux.